(parole en marchant - 10 mars 2017 à 19h23)

— Avant il ne faisait que trop écouter les intérieurs de lui ; en s’adressant aux autres, il en parlait tout le temps ; mais il s’aperçut peu à peu qu’il discutait bien trop des discernements de lui et ne prêtait pas suffisamment attention aux en-dehors de lui ;
— entends donc autour de toi !
— Alors un jour, puis pendant des semaines, peut-être des mois, on ne sait pas trop, il cessa de parler, il ne fit que tendre l’oreille…
Il vécut quelques moments comme cela en ermite, pour que sa parole ne brouille point son esprit et de le laisser percevoir dans son parcours, dans sa marche, le monde autour de lui ; sans interférer, simplement prêter attention et voir ; surtout écouter, tant qu’il pouvait détenir ce sens, ainsi il entendit !

« Mais pour pouvoir
pareillement esgourder le monde,
tu dois préalablement te taire ! »

(parole en marchant - 10 mars 2017 à 19h28)

Alors, il écouta d’abord le chant des oiseaux… longtemps ; dans les forêts, dans la nature isolée de tous, il s’asseyait là où marchait lentement, prêtait l’oreille à chaque mélodie, essayait d’en mémoriser le moindre détail, la plus grande diversité ; peu à peu une musique venait, il s’en émerveilla tant, que cela suscitait la perception de nouvelles sonorités, des craquements d’abord, s’ajoutait ensuite à ces chants, d’autres pas, le bruissement du vent, le mouvement des nuages qu’apportait celui-ci ; le scintillement du soleil, qui, à travers cette vibration, de l’astre du jour, donnait cette lumière qui faisait trembler les feuilles de bien des plantes, découvrait les pétales de certaines fleurs les matins ; ou certains soirs comme l’Onagre qui en quelques minutes, ouvre sa corolle jaune pâle aux papillons de nuit. Il écouta le son de ses pas, le crissement que produisaient les frondaisons mortes sous ceux-ci ; puis, sa perception peu à peu s’affina, il s’arrêta de plus en plus, pendant des minutes, puis parfois des heures, assis sur un tronc couché, il s’enivrait des mouvements de la nature. Il sentait la vibration que transmettait le ver de terre près de ses pieds, le bruit d’un insecte volant, le murmure des arbres qui, à travers un son très amorti, émettaient une agitation indolente, assourdie, mais tellement présente, qui fait comprendre qu’une forêt est une forêt. Il éprouva en lui que le monde demeurait en perpétuelle vibration ; il ne restait plus qu’à le percevoir, ses oreilles ne devenaient plus le seul capteur, indistinctement tout son corps entrait en résonance avec l’univers environnant et pour cela, il dut trouver un long murmure autour de lui-même, se taire au plus profond de soi ; une petite voix lancinante lui disait « arrête donc de réfléchir, un moment, tais-toi et écoute ! Tu sauras bien en rapporter par la suite, à travers ces murmures, ces vibrations, si étonnantes, ce que la nature a laissé au fond de toi, imperceptiblement… Chute ! Fais silence… »

(parole en marchant - 10 mars 2017 à 19h32)

(version)

C’est ainsi qu’on le trouverait parfois au fond d’un bois, dans un paysage quelconque, assis là, à tenter de discerner le monde, pour mieux le ressentir et ne pas chercher qu’à l’entendre, l’éprouver avec tous les sens possibles ; permettre que tout ce qui le compose soit en communion avec ce qui l’entoure ; longtemps, il ne faisait que murmurer et parler de cela, le disait aux autres, ce qu’ils devaient accomplir, mais ne l’appliquait pas à lui-même ; en cela, il était handicapé, il devait rattraper ce grand retard, cet éclipsement qu’il avait introduit en lui, à ne pas suffisamment percevoir ; de ces ressentis-là, mille fois au-dessus de cette sensation quand on fait l’amour, ce que l’on peut éprouver envers un autre être ; cette communion-là, avec la nature, avec le monde, prenait une ampleur sans commune mesure où il sentait que l’univers entier le traversait, jusqu’au moindre discernement, jusqu’à la moindre particule ; par moment, il percevait son passage entrer en résonance avec un des éléments de son corps, dans sa cervelle de pauvre niais ; ce monde peu à peu, hors de ses semblables, par-delà celui des hommes, lui devenait de plus en plus extraordinaire ; il découvrait ce que l’on ignorait aux primes abords, cette diversité incommensurable qu’il percevait, mais qu’il ne put ressentir convenablement au début, parce qu’il ne sut se taire suffisamment, voilà…

(texte ajouté le soir - 10 mars 2017)

Un long chemin était encore à parcourir tant cet effort de discernement lui semblait nécessaire au-delà de l’évitement de cette tâche ; il devrait s’enivrer de cet entendement malgré la froideur de son écoute ; il devait vaincre cette défaillance et passer outre. Les sols mugissaient d’un avis féroce qui pouvait amener à croire qu’ils éructaient contre lui, mais non, cela ne se peut ; comme pour tous les êtres, par ici, la nature est nourrie de la terre et l’on ne peut se défaire de cela, elle nous construit ; la belle affaire ! Comme pour chaque achèvement, chacun de nous finira toujours par se décomposer à un moment ou un autre pour que nous y retournions à ce sol qui nous a un jour constitué et sur lequel nous nous sommes animés, comme pour vaincre une insanité ; puis, comme si cela se devait, pour un rien, un énervement, voir une mouche s’élever et puis l’écraser, s’en délecter puis recommencer avec de plus folles envolées, des volatiles de tous bords, avec des projectiles qu’on élabore. Ah ! toujours, avançons, de la flèche aux boulets, puis l’obus, puis la bombe, puis nos tombes, les reboucher après une hécatombe. De l’escarmouche à la guerre généralisée, pour mainte fois l’embraser l’affolante vie que vous menez. C’est si facile le massacre d’une chose animée, quelle dureté trouvez-vous à la préserver et peut-être se dire l’aimer un peu plus. Cette injustice que vous faites à vous-même où donc est-elle née ? Dans les bas-fonds de nos tanières jadis, une intruse rusée gela vos mains ; ou serait-ce au vilain génome mal barré qui gêna quelques gènes pour casser l’ambiance avec nos loupiots, ces progénitures au destin guerrier ? Ce que vous disiez, je l’ai entendu, il y a peu dans la bouche d’un orateur, il avait des idées de profanateurs et savait bien manier le mot ! Il s’argumentait de termes attribués à la science, pour la dépecer de vains propos opportunistes. Il a pris le jour l’élégance d’un prince avec ses adorateurs. Comment voulez-vous que l’on s’y retrouve dans son vil chant de beau parleur ? Encore une fois, vous devrez soit le subir ou le déposer, son pouvoir d’usurpateur ; voilà ! nous en sommes là !