Contexte : à propos de la part d’ego dans nos dialogues, nos échanges, nos discussions, nos conversations, comme vous voudrez… İpanadrega ne cesse d’arpenter cela et tente de relier tenants et aboutissants, il y discerne dans ce mécanisme comme une volonté de compréhension exacerbée du vivant qui agit en nous, les savants décrivent cela comme un aspect du réflexe « d’homéostasie » (réf. ?) ; mais un fait distordu lèse notre esprit et ajoute une… fêlure.

(parole en marchant - 7 oct. 2017 à 18h57)

(version)

Euh ! Je t’écoute, mais je dois te dire aussi en même temps que je t’écoute d’une oreille distraite et je recherche les arguments de ma propre existence pour les faire prévaloir par-dessus ce que tu amènes, les fruits de ton éloquence ; puis dans ce jeu, ce dialogue de sourds, on va prétendre diverses choses en essayant de raisonner sur des sujets qui viennent interrompre le discours de celui à qui l’on s’adresse… C’est étrange, ces échanges, de toujours vouloir avoir le dernier mot sur le vôtre, cette manière de pratiquer, cette manière de mettre… Je t’écoute, certes ! Je t’écoute oui, à condition que je puisse ajouter de mon expérience, et te dire ce qui représente nos différences, ce qui fait suite à mon entendement ; alors, si l’on extrapole, pour celui qui prête tant attention à autrui, se peut-il qu’il exhibe un égo à ce point amoindri pour qu’il n’en ramène pas, sur sa propre cause, sur ses propres connaissances ; non ! cela varie d’un être à l’autre ; ainsi, celui qui a trop peu argumenté, dans une solitude grande, s’en venant à exprimer sa vie ne peut plus s’arrêter dans sa parlotte ininterrompue, il doit trouver la juste mesure qui nous permettrait une discussion équilibrée ; de trop en rajouter empêche de laisser bavarder son semblable, qu’il puisse avoir son opinion, que le vôtre ne puisse prévaloir systématiquement sur le sien, rechercher un accord équitable…

(c’est le problème bien banal de l’affect)

Des dialogues étranges, ces dialogues de sourds, où chacun radote sur sa propre expérience, n’arrivent pas à émettre des généralités, ne pas parler de soi, de ne nullement se raconter ; mais au contraire, à tout instant, en tout point ce besoin d’affirmer son existence, de revenir à soi à chaque fois, par-dessus le soi des interlocuteurs, essayer d’y adjoindre une domination par moments… Alors s’il n’y parvient pas, sa réplique, sa parade, ne s’avère pas au point ; il… il y a de temps à autre quelques défaillances de l’esprit, comme celle de celui-là qui écoutent ce texte s’il n’y trouve rien à redire, il s’efface contrarié, vaincu, peut-être. En regardant de plus près, vous rencontrerez de curieux discours où l’égo de chacun s’exprime aveuglé souvent ; ce sont là la plupart des discussions humaines, chacun affirmant sa noble cause qui doit l’emporter sur autrui. Quitte à se montrer parfois altruiste à ce point, pour ne pas émettre d’idées momentanément et absorber sans broncher toutes celles des autres, cela en est-il de même pour tout animal, quand il dialogue, quand il échange, amène de l’information à celui qui la reçoit, afin qu’elle lui serve ; quel drôle d’apprentissage cela lui apporte-t-il ? L’expérience de « l’autre » représente un enseignement facile à qui sait entendre, surtout s’il ne le coupe point dans son propre exposé, qu’il puisse le mener jusqu’au bout à son tour…

Il se posait toutes ces questions : « toutes les existences en sont-elles à ce point dans des racontements aveugles de son prochain », où autrui perçoit indistinctement en arrière-cour les propos de celui qui parle, puis, ses argumentations s’en approprient indirectement, sans dévoiler qu’il admit son discours, le sien au final, prévalant toujours ; il est de ces fiertés inavouées ? Cet affrontement, au-dedans de soi, se fait plus ou moins consciemment dans des logiques obscures que l’égo submerge, titille, exaspère, bouleverse et déraisonne parfois quand il sublime le reste, quand l’on s’exprime avec « moi moi moi moi moi » tout le temps dans la bouche ! Mais « moi » n’est pas tout, « moi » n’est pas lui en face, avec qui vous discutez, c’est ça l’ennui.

Cette quête de l’existence quand votre voisin trouve une ouverture vers une oreille quelque peu attentive, qui écouterait son discours si vous l’accompagnez d’une parlotte ininterrompue… İpanadrega pensa que ce peuple innommé se montrerait avide de recevoir un tel discours, de la part de leurs visiteurs, d’entendre une pareille mélopée, ils s’en gaveraient, ils s’attrouperaient tout autour pour qu’il ne s’arrête pas, attisant son émoi, sa perception, qu’il leur jette tout, comme ça, au-devant de l’assemblée, tout ce que sa mémoire lui amène… Il s’imagine ces gens l’encerclant, le pousser à de plus vastes expressions, avec d’extrêmes flatteries, afin qu’il assène à sa cour fugitive, momentanée, cette parlotte ininterrompue jusqu’à la fatigue ultime ; beaucoup cherchent cette extase de soi-même pour se vider l’esprit lors d’un manquement de trop, comme cette affirmation sans cesse rabrouée, rejetée, quand on ne peut la développer devant ses semblables, banni à un tel point que c’est la parole du plus fort qui toujours prime…

Et même le plus fort, qui ne cesse de s’écouter, veut que sa voix domine, s’enorgueillit de son beau discours, qu’il trouve… qu’il trouve authentique, merveilleux, ou qui tend à vouloir faire croire que celui-ci devient la vérité que l’on est obligé d’admettre ; de toute façon, vous n’aurez pas le choix, vous devrez rentrer dans sa croyance à lui ; c’est ainsi que procède une dictature à ses débuts, elle doit convaincre et amener une parole qui dise « c’est moi qui ai tout compris, vous devez m’obéir, je serai votre guide essentiel ! » C’est alors quand ce dernier dérive vers des orientations incertaines et cruelles envers autrui, qu’il mène ceux qui le suivent dans des situations bancales et guerrières, qu’au bout du compte on s’aperçoive à force de tout gober de lui, on s’est trompé aussi. Maintes fois dans l’histoire des hommes cette situation s’est présentée, cela n’est pas nouveau, cela est régulier, cela est classique, à tout moment, vous rencontrerez un de ces êtres qui veulent en imposer ; İpanadrega avait cette qualité, malgré tous ses défauts (comme sa niaiserie évidente), de ne pas s’émerveiller au contact de tels êtres ; à les considérer comme son égal vexait inévitablement celui qui souhaitait dominer et qu’ils désiraient de plus le diriger, eux trouveraient là en lui, un adversaire, bien souvent ; et s’il n’apparaissait pas suffisamment aguerri ou en force, İpanadrega invariablement devait fuir pour se préserver ; car un despote s’impose par la force, à qui lui résiste, il concocte toujours un argument pour éliminer celui-là qui osa s’opposer à son dictat, il règne dans les lieux où vous subsistez, alors oui, vous n’aurez pas le choix ! Ce processus s’avère très simple, rudimentaire, maintes fois exercé au fil des ans, vous n’y trouverez là rien d’étonnant…

La parlotte devient essentielle, « parle ! toi qui veux convaincre, et convaincs-moi, si tu le peux ? » Ah ! Quelle gloire à celui qui sut inventer un beau discours, pour qu’il puisse paraître comme le plus grand des sophistes, ayant innové dans une quelconque parole, même si elle semble illusoire, incompréhensible, sophistiquée à l’extrême, ne relevant d’aucun signe ; ceux-là sont nombreux et vous emberlificotent l’esprit dans des stratagèmes qui ne cherche qu’à vous embrouiller ; cette parole-là procède du calcul, İpanadrega le percevait très bien, celui-là qui veut vous amener dans sa palabre, dans une logique qui est la sienne et ne désire pas partager un sujet qui pourrait devenir un copain, qui pourrait être réparti en commun, le choix du thème de la conversation, qui n’en domine ni l’un ni l’autre ; cela n’est pas satisfaisant pour celui qui souhaite en imposer, il trouvera toujours un argument qui renverra à sa propre manière, cela dans le discours est courant…

Sur ce point, nous devons bien l’admettre, İpanadrega avait fait son chemin, avait mené ses expériences, de ça, il ne s’en révélait plus dupe ! Pour une fois, sa naïveté n’apparaissait pas universelle, elle dévoilait des failles, elle devenait inopérante dans certains cas, et dans ces cas-là justement ; non ! sa défaillance, sa niaiserie restait sur des façons de penser, de raisonner et de s’émouvoir, où souvent il se montrait ridicule, celle-ci s’exhibait à ce point, ici là et pas ailleurs ! Il est vrai, il avait appris, et de toutes ces voix tant entendues, il en vint à conclure qu’il avait à poursuivre son parcours vers d’autres considérations, son expérience étant acquise sur ce point, il n’éprouve plus le besoin de l’exacerber encore.

Il devait de nouveau partir de ces considérations, où l’éloquence dominait, peut-être devait-il plus prendre les devants qu’écouter comme auparavant, et avancer avec ses orientations vers des territoires qui lui ajouteraient une nouvelle expérimentation, de nouveau, oui ; cette logique-là, dans sa tête, semblait inébranlable, elle faisait son chemin, et celui-ci se dessinait suffisamment correctement pour qu’il sache où aller, vers autre chose que des entendements justement, plus clairs, plus précis ; sur ce point, sa propre voie était déterminée, il n’en dévoilera guère plus, il avait choisi sa manière de traverser la planète, puis d’adjoindre à son discours des propos satisfaisants, n’y voyant aucune autre bête que les hommes avec qui argumenter ; il se dit, en se souvenant de ce savant que l’on prétendait fou (de mémoire, on sait qu’il lui racontait tout) : « je devrais rencontrer des êtres différents que mes semblables systématiquement dans mon voyage, avec qui je puisse parlementer pour mieux comprendre par où je vais… »

Le monde c’est un long parcours, dans son récit ! Une parole des sens, le faisant avancer indubitablement vers ce qu’il appelle timidement « son petit éveil » régulier, par de petits pans anodins, des petits bonds soudains, par petit bout s’en vient, à la recherche d’un nirvana illusoire, qui l’amènerait jusqu’au bout de son histoire ; il se disait : « tout ça, c’est inexorable, j’en demeure certain ! »