(texte manuscrit - le 8 sept. 2018 à 1h15) 987
—> peregrinari, livre 4, à trois ans
naître d’un rien
Vous savez, l’on naît parfois d’un rien ; pour moi ce ne fut pas rien, puisque je suis né d’un geste. Avant ce geste effectivement, avant, je n’étais rien, puisque aucun souvenir vaillant ne m’assaille, même pas celui d’une caresse maternelle. Rien ! vous dis-je ; et ce n’est pas innocent cela ; ce geste, je n’aurais jamais dû le réaliser et je ne serais donc point né. Il aurait mieux valu, en effet ! Il m’a détruit ; à cause de lui je ne me suis pas construit, mais détruis à petit feu. De savoir qu’on ne vaut rien, c’est terrible à cet âge, prendre vingt ans de mûrissement d’un seul coup, ça surprend ! On aurait aimé un peu plus d’aise (de la retenue, un écoulement du temps paisible), un petit bonheur, un sourire ; mais non, à trois ans l’on tue déjà, ou du moins on en a le potentiel (à travers le lancement d’un projectile sur une fillette qui ne m’avait rien fait), il suffit d’un rien, en effet ; un geste malheureux pour apprendre deux choses : ah ! tuer, cela ne mérite aucun soutien, on est si peu de chose ; et puis enfin, dire que je suis un vaurien, un sale type ! De ça, on ne le crie pas au coin des rues, on se cache, on a peur, on a comme un regret, une honte au fond de soi, au fait de soi, un dédain aussi. Le plus méprisant de soi, c’est moi !