—> 3. « singes savants », considérations philosophiques :

(parole en marchant - 13 août 2017 à 20h28)

Un jour, par on ne sait quelle publicité, un groupe de journalistes (en mal d’exotisme) vinrent interroger le vieux savant, et informés de ses balades forestières originales, lui demandèrent de l’accompagner dans une de ses pérégrinations. Il leur posa une question très simple, en les toisant du haut en bas, pour juger s’ils étaient adaptés à ce genre de parcours, conscient du voyage qu’il leur ferait parcourir, et ajouta cette question : « souhaitez-vous une randonnée gentille, “soft”, ou une randonnée “hard”, pas très gentille, donc ? » ; « qu’entendez-vous par là ? » répliquèrent-ils ; « et bien en gros, avec la ballade soft, nous suivrons les chemins forestiers les plus ouverts, qui ne suscitent aucun problème ; dans le deuxième cas, nous ne prendrons pas ces chemins, nous irons où la forêt semble la plus intéressante toutefois, où l’imprévu apparait plus notoire, plus excitant… Mais ce n’est pas parce que nous nous trouverons dans des bois aux régions pacifiées, qu’elles ne présentent pas sans danger, ces parcours-là sont pratiqués par des gens initiés, qui recherchent plus que des champignons, plus qu’un sanglier à abattre, c’est encore une exploration, car l’homme ne “zyeute” pas partout, il se passe des choses au-dedans de celle-là, ce dont nous ignorons beaucoup ; l’imprévu dans un passage, une ornière, un marais qui se découvrent à vous d’une façon inappropriée, vous devrez le contourner à travers des fougères plus hautes que vous, dans des ronces très acariâtres, c’est pas pire que dans une forêt tropicale, c’est tout aussi pénible, la nature s’avère tout le temps imprévu ici, sauf que l’on n’y est pas habitué et l’usage ne veut pas qu’on parcoure ces endroits inaccoutumés ; je peux vous amener dans des zones inhabituelles, et selon que vous en reviendrez fatigué, épuisé et éreinté ou contaminé, je pourrais juger de votre capacité à assimiler ce genre de situation ; mais dans l’incertitude, vu votre accoutrement, qui me semble qu’un habillement de voyage, je suppose, il n’est pas adapté à un tel parcours, vous devrez vous préparer un minimum ; sans préconiser un vêtement particulier ou spécial, il vaudrait mieux que vous conserviez des manches longues, un pantalon à la place du short, des chaussures de marche (très important), des chaussettes montantes, un affublement qui vous protège un peu, un chapeau et des couleurs dans vos habits qui ne suscites pas l’excitation des petites bêtes qui font “bzzz”, vous comprenez ? Le rouge est à proscrire comme un jaune vif ; restez discret, vous rentrez dans un sanctuaire, vous devrez faire le moins de bruit possible, ni rire aux éclats, mais plutôt vous taire ; “chute ! Écoute ?” Ce sera la parole la plus commune que vous entendrez de moi, le reste du temps ce sera mon silence, vous me suivrez ou vous vous égarerez… et c’est préférable d’avoir le sens de l’orientation, j’en connais qui ne savent à aucun moment où se trouve le nord ; là, vous devrez apprendre à le distinguer, même dans nos forêts où les villes demeures assez proches, j’en ai vu se perdre ! Qu’on ne retrouvera que le lendemain complètement apeuré, après une nuit passée dans le crissement des bruits de la nature ; certains en sont restés traumatisés, je puis vous l’affirmer… Vous vous sentez toujours partant ? »
Cela dit, ils demandèrent à discuter entre eux pour appréhender ces nouvelles données ; peut-être à choisir le parcours le plus approprié, c’est certain, un parcours « hard » suscitera plus d’intérêt que le parcours gentil, qui lui ne s’avère qu’une balade forestière digne de celles des familles, allant digérer après un bon repas ; ils adoptèrent donc le chemin le plus difficile, ce qui fit sourire le vieux professeur, il allait leur concocter une pérégrination conforme à leur demande ; on sentait chez lui une petite malice, il allait leur faire vivre probablement une aventure intéressante ; c’est tout ce qu’ils demandaient d’ailleurs, on allait voir s’ils apparaissaient quelque peu aventureux ; l’équipe se composait d’un preneur de son, un cameraman, une femme journaliste, et le dernier, s’occupait des détails de la logistique, semblait-il ; ils étaient quatre, et lui, tout seul pas forcément content de cette initiative, mais puisqu’on la lui réclamait gentiment, il ne sut pas dire non ; il demeurait tout de même curieux d’observer comment des gens si peu initiés, si différents de ses étudiants, car eux étaient tous partants de toute façon, allaient affronter les inconvénients d’une forêt non adaptée au parcours des hommes, c’est ça qui l’intéressait avant tout…

*

rencontres en forêt
(parole en marchant - 13 août 2017 à 20h41)

(version)

— Je vous préviens, on peut le rencontrer… ou bien rien du tout…
— On peut y rencontrer qui ?
— Ben que l’on croise un loup apeuré… pardi !
— Quoi ? Des loups ici ?
— Normalement non ! Mais je ne peux pas prévoir… qui se présentera devant nous !
— Oui, je vous avertis, on peut croiser… je dis des loups, mais ça pourrait, tout aussi bien être des ours !
— Y’a des ours ?
— A priori non ! Mais qui sait ? Les forêts communiquent, et n’existe pas de barrière physique, véritablement… Vous comprenez ?
(On voyait que s’éveillait en eux une crainte)
— On devrait emmener des armes ?
— Non ! Non… Je ne pense pas…
— Mais vous n’avez pas l’air très sûr ?
— Je me suis vraiment jamais posé cette question, vous savez… moi quand je viens là, je fais attention et comme nous sommes nombreux, nous pouvons éveiller certains appétits…

C’était plutôt l’inverse qui se produirait, mais concevez bien, il les testait pour voir s’ils comprenaient qu’il se moquait un peu d’eux ; évidemment, cinq humains dans une forêt allaient éloigner la plupart des animaux, et fort improbable devenait la rencontre fortuite avec un ours, sauf s’ils se déplaçaient véritablement sans aucun bruit…

— Vous n’allez pas nous dire qu’on va trouver des dinosaures pendant que vous y êtes ?
— Ah ! Non, quoique… nous allons seulement rencontrer leurs descendants…
— Ah bon ?
— Ben oui ! Et ceux-là, sont perchés en haut des arbres, ils émettent des « criii criii » très souvent (il imite un rapace) ; ou chante la plupart du temps (il mime une Mésange ou un Pouillot), et préviennent toute la contrée, « holà, holà ! il y a des hommes qui s’en viennent » ; vous n’allez pas passer inaperçu, je peux vous le dire !