(version – 31 juill. 2017 à 9h41)
—> 1. « İl », prolegomena, studium : 34. [s L] plaidoyer pour une thèse érudite et méchante
« À propos de l’expression : “Tout ça, c’est du flan, c’est du style !”, que l’on jette à la figure des auteurs, comme ça, par on ne sait quelle courtoisie et sans aucune délicatesse… oui, mais que ferions-nous sans ce style ? C’est tout à fait cela… mais il demeure gangrené par un satané besoin de recherche “l’inspiration !”, alors le style c’est tout ce qu’il a ; c’est aussi, comment trouver la manière d’écrire son testament, c’est la note ultime où tout deviendrait le sujet, ce besoin inexplicable d’éprouver quelque chose à dire ; c’est sa marque de fabrique, son imaginaire désuet dans une idéalisation où il se demande “comment finir” la phrase… »
« Au sujet de l’auteur et de son style : mais c’est tout ce qu’il lui reste, enfin, une dernière façon de mettre, une touche finale au tableau laissée là, pour faire place à ce qui va naître, de toute vie, de toute mort, du plus profond de cette terre honnie ou adorée, que l’on jette ou que l’on reprenne, il en revient toujours les mêmes choses : cette vivante extase, de l’esprit les pires moments de son éveil où, navré, il entend tout, comprend tout, ressent tout, de nous, de vous, d’elle et de lui… Et puis d’ailleurs, on s’en fout… »
(Il s’agace de lui-même, feint de partir, mais revient et reprend.)
« Son inspiration : une myriade de mots tapageurs inondent son âme ; faible ? Que deviendrait-il s’il n’en tirait pas toute sa force, pour mieux rebondir à cet élan qui vient du cœur ? Il hait n’aime ni ne jouit de l’existence ni d’un autre lui ni du désir. Las ou enjoué, il suscite à l’aide d’une figure, ce style, à l’embrassade des allées, sur l’esplanade de ses idées, les ôte, les jette ou les remet, peu importe ; voire qu’il les replace, à tout moment, “il ne voudrait peut-être pas avoir eu envie de naître ?” Se trouvant misérable le jour et puis joyeux des nuits, l’instant d’après, s’éprendre d’une musique, d’un visage, d’une “madone”, avoir un penchant, une simplicité dans la vie, se sentir utile, être apprécié, suivre son instinct ; vomir le monde, ne plus le comprendre et mettre une fin à ce que deviennent ces pirouettes, dans ce “style” qui l’inonde et l’appelle au large ; alors sur la mer, voyant des côtes, il émerge enfin, ameute les lointains, dans une engueulade avec le “créateur” ; pour la forme et pour du “style” encore une fois, il veut y perdre son âme… »
« C’est comme l’écriture, elle nourrit parfois cette mécanique ; elle s’écoule en prenant au cerveau, à travers un mouvement du bout des doigts, ce remuement systématique de la plume, de la bille, du clavier à lettres tapoté assidûment, sans savoir pourquoi tout ce qui nous vient s’inscrit là, sur ce support de papier, cette gourmandise immodérée pour des sensations intellectualisées (vilain terme) par des mots envahissants, au baratin insistant ; mais quand donc cessera cela, cet exercice pour du style, à mettre et démettre les idées ? Puis flirter avec des insanités et parfois avec un air de défi sur l’entendement, vomir la pire des satiétés. »
(Puis, dans sa parole, s’ingénie une montée lyrique qui le porte ; ça y est, il a trouvé son rythme, inspiré de lectures idéales, se retrouve à nouveau « grand comédien », osez voir la scène !)
« L’intonation dans la voix, la petite inflexion qui rend fou de vous ; cette tonalité idolâtre, ce dédoublement de votre être, cette schizophrénie consciente, ajoute au génie littéraire, s’il en est un, cette imprégnation qu’ont les personnages du récit, sur vous-même, l’embrume, le déshonore, et puis l’oblitère enfin pour tourner la page ; puis fonde aux entournures des messes basses qui rasent les murs, des incongruités imaginées par des fesse-mathieux de mauvais augure. »
« C’est vrai que certains jours, après vous être émerveillé d’un écrit nouveau, vous vous étonnez, ravi d’y avoir rencontré là l’ultime parole dans sa plus juste sonorité, fière de cette allure que l’on donne à un contentement de peu. Puis au lendemain, peut-être encore, un jour ou deux, relisant cela pour la joie, la retrouver cette idylle à peine déflorée, s’en trouver fort dépourvu ; cette parole que l’on a crue miraculeusement parfaite s’avérait nulle, médiocre ou tout bonnement mauvaise. Alors s’emmêlent, d’un moral déprimé, des solutions irrésolues ; devrions-nous éprouver d’autres idées, abandonner ici le vestige détrôné, la page manuscrite du rêve, pour qu’elle s’envole ? Après plein de nouveaux jours où passe la rancœur du désamour pour une gaieté facile de toujours, “laissons mûrir, voilà !”, ai-je dit à mon tour. Puis le temps a fait son affaire ; un matin d’un bon réveil, en relisant cet écrit-là, par hasard, sans plaisir ni méprise, on finit par n’y trouver que peu de défauts, on ne l’estime pas si mauvais, ainsi on l’arrange avec la froideur d’un correcteur qui s’y colle ; enlève, ajoute ou barre ce qui détonne ; on le soumet à une dernière lecture, cette fois neutre et sévère, pour s’entendre dire, “et bien, ce n’est pas si mal !” ; ou encore, malgré tous les efforts, admettre enfin que d’aucuns mieux, on n’en eut été capable. »
« Puis par moments, vous vous étonnez d’avoir une discussion avec vous-même. Sur cette manière de voir les choses, ce que vous avez exprimé dans vos écrits, au moment où vous réfléchissez, vous vous en trouvez plus intelligent, au sommet d’un art. Puis quand vous débattez avec autrui, cette affirmation est battue en brèche, par des contradictions, qui ne vous apparaissaient pas dans la solitude de vos rédactions. Vous êtes confronté à des propos extérieurs à ceux de votre cerveau, ces idées divergentes vous obligent à réviser votre position. Là, à cet instant, vous avez évolué à cause d’une pensée étrangère à vous-même et cela vous a fait du bien et remis un peu d’ordre dans votre perception du monde, dit différemment, relativise vos arguments, les rendant moins péremptoires. Je connais tout cela et parfois m’en écarte sans que je le veuille ni ne le souhaite vraiment ; c’est au sommet de mon écueil, rognant mes désirs les plus fous pour éviter une dérive vers je ne sais quoi, où que je corrige, pour devenir un peu plus doux. C’est cela le terrible apprentissage, qu’il provient en partie d’autrui, c’est certain ; mais en fait, vous le savez bien, si un enseignement se produit, c’est en vous-même qu’il se réalise ; curieux paradoxe, me préciseriez-vous, c’est toujours ainsi ; mais j’insiste, sur la petite subtilité qui me vient à l’esprit, peut-être demeure-t-elle inusitée, qu’importe, je vais vous la raconter ; d’apprentissage, je vous parlais, il ne peut se manifester qu’en vous-même, comme un écho, un ressassement, un effet d’entraînement, une vis sans fin, un écoulement, décortiqué à l’extrême jusqu’à la formation en dehors de tout extérieur, au fond de votre crâne, de ce déclic amené quand vous avez enfin introduit la bonne clé, la suprême assertion qui vous donne un peu d’âme, et d’abnégation, vous avez appris, plus que toute autre chose, d’un éveil, le vôtre ! »
« La nature aurait-elle arrangé un mécanisme nouveau, insinué une réplique à votre entendement, comme dire qu’il fait beau ? Qu’en saura-t-elle un jour de cela, la matière grise qui croupit dans votre cerveau ? »
(Après un long silence où il réfléchit à ce qu’il vient de dire, il reprend, interrogatif.)
« Ce qui vous vient du dedans de la tête, c’est quand même étrange, ces mots qui émergent comme cela, sans les avoir prémédités ; et vous arrivent des phrases, des sensations, que vous devez ensuite transcrire, enregistrer d’une manière ou d’une autre, sur des supports divers ; c’est tout de même bizarre, ce qui vous vient en tête, des idées, des perceptions, aidées des senteurs, des bruits environnants, des souvenances du passé vécu, des mémoires de l’ancien temps raconté jadis par les ancêtres ; et puis l’avenir qui ajoute des espoirs qu’il éveille, toutes les choses que l’on ignore et que l’on suscite, toutes ces choses qui vous submergent à point, ou qui vous désolent ; ou encore, vous êtes navrés d’en arriver à cet impromptu, à cause d’une imagination pas bienvenue, au hasard d’une soirée, au travers d’une discussion désagréable, on s’en trouve à répliquer à l’intrus, des propos inaccoutumés ; c’est quand même bizarre, ce qui nous entête, on nomme ça l’intelligence, moi j’appelle ça des manigances, je ne demeure pas certain d’en être le maître, de posséder toutes les facultés suffisantes pour en comprendre toutes les subtilités ; des idées résurgentes m’ont prévenu, elles me disent aussi que c’est tout de même étrange, ces conceptions qui nous viennent dans la cervelle, et par là, parfois amènent une fête ou prélude à une autre, une défaite, c’est selon votre désir ; que le temps s’en mêle de ces manigances, de ces manières possiblement outrancières, alors peut-être qu’au fond de nous, se cache un pilote indistinct qui sécrète un mal volontaire, il s’ingénie à nous adjoindre à toutes les sortes de misères, à nous provoquer à toutes les sortes de jeux ; puis au-dedans de nos têtes, mets des attaches, des lanières desquelles on ne peut s’en détacher ; il reste tout de même étrange, ce jeu-là, est-ce même un amusement ; oh ! je n’en sais rien, mais une vague idée me dit de parfois prendre des distances avec toutes ces choses ; voilà que tu ne contrôles pas grand-chose, aucune forme ni variance ; rien, en fait ; tout cela n’est pas à toi, tu es bien seul, petit homme ; toi qui émerges de là-dedans, puis hors de ta tête, te laisses croire ou admettre que tu sois, le maître de rien du tout en somme. »
« C’est tout de même étrange, cette manière qui nous pousse à agir ; une infime voix interne qui te répète, “ah ! faisons ceci, faisons cela” ; elle s’ingénie à te démettre ou te soumettre à un quelconque meneur, qui ne souhaite pas forcément ton bien d’ailleurs, que tu désires devenir sa chose pour la dominer ou toi-même cherches à asservir autrui ; étrange petit jeu, léger, dérivatif de l’esprit qui nous dit, qui nous dit, qui nous dit… ah ! je ne me souviens plus… »
(Des rires dans la salle ! Cela le réconforte malgré son oubli ; son ton se prétend un peu moins docte, il commence à prendre de l’assurance, avec un parler moins maladroit.)
« Une musique n’est morte que quand on ne la joue plus. Si elle vit dans les mémoires, c’est donc qu’elle vibre, qu’elle existe toujours, son chant résonne encore à qui voudra bien l’écouter ; peut-être que demain, inspirera celui-là, étonné d’entendre cet air qui détonne ? Laissez alors une trace pour qu’un être s’en éprenne, s’initie et comprenne qu’il doit poursuivre, qu’il soit tenu de la finir, cette partition interminable, multiple et prégnante, mélodique sensation des éternels recommencements… »
« Il faudrait écrire d’une manière épaufrée sur d’adroites lignes mitigées et être pédant, idée d’où l’on ne peut s’enfuir. Proposer un verdict édulcoré sur la façon de mettre les ardents entonnoirs à la poutre percée, en guise de haut-parleurs, pour qu’on l’écoute et ne pas passer outre… non… ça ne va pas… »
« Il faudrait écrire d’une manière écornée sur d’adroites lignes mitigées d’où l’on ne peut s’enfuir. Donner un verdict édulcoré sur la manière… non… non, encore moins… »
« Nous devrions rédiger les phrases sur des pages épaufrées d’avance, et effiler le verbe sur d’agiles sentiers à nuancer ; rester pédant absolument pour la forme, idée d’où l’on ne peut s’enfuir sans une remontrance. Exprimer un jugement savamment décrit, l’édulcorer ensuite, et argumenter sur la manière d’ajouter les ardents entonnoirs aux poutres percées, pour après édifier sa révolution, pour la frime, en guise de haut-parleur pour la belle écoute, on ne peut plus forte ; garder un dénigrement qui deviendrait futile, pour qu’on l’entende malgré tout, et ne pas passer outre la prétentieuse sentence pontifiante qui ne veut plus rien dire… »
(Ah là ! l’envolée lyrique apparaît… bizarre ; ce qui irrite vivement le poseur de ces lignes « vous vous rendez compte de ce qu’il me dit de mettre, c’est n’importe quoi, c’est de la littérature bidon ! »)
« Justement, à propos de “mettre”, que trouve-t-on après ? C’est étonnant comme le cerveau bouillonne ; et quand il chauffe, il s’emballe d’idées des plus diverses qu’on ne peut arrêter, advient ensuite cette nécessaire écriture, d’annoter avant qu’on ne défaille ; y ajouter sans cesse son carburant mot à mot, sinon, il s’évade, ne vous laisse pas le temps de vous souvenir, de ce qu’il a exprimé, de ce qu’il pense, il va trop vite, transcrire devient illusoire parfois ; c’est étonnant encore, mon cerveau s’enflamme dès qu’il me demande ce travail… »
« Je sens votre ardeur quelque peu décontenancée ? Moi, je vous dis de ne pas vous en soucier, cela n’a pas beaucoup d’importance et maintenant, parce que je n’ai pas fini et que cela m’ennuie, mettons un point ici. »
(Énervé par l’auteur, ses manières, de son râle, il quitte la salle sans un salut…)
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L’auditoire demeura quelque peu surpris de la manière dont le sujet fut abordé, voire interloqué par le ton de l’orateur ; une sensation de malaise s’insinua progressivement dans toute l’assemblée, tout le long du discours, et le jury semblait embarrassé ; mais il hésita à l’interrompre tant la verve et la passion de ses mots supplantaient la gêne, par on ne sait quelle futile grâce qui émana de lui ce jour-là et indistinctement acheva de séduire tout le monde ; on y voyait encore, finalement, après une journée très chargée, un sujet d’amusement et de détente qui enfin décrispa l’atmosphère, tant et si bien que des rires contenus et des applaudissements ironiques ont fini par clore le spectacle.
Qu’adviendra-t-il de sa thèse ? Nul ne le sait, il avait raconté tout cela pour avoir du panache, de l’entregent, du savoir-dire, se moquer aussi un peu de l’institution, mais de cela il n’en eût rien dit à qui que ce soit.
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