(corrections finales édition 2017 – du 2 juill. 2017 à 23h37)

—> 1. « İl », prolegomena, studium : 31. [i af] (sensations d’une modestie ambiguë), à quoi bon ?

Fut-ce en mille éclats
elle est toujours là,
la lune dans l’eau !

à quoi bon ?

C’était un soir justement ; au temps de sa jeunesse, après un repas d’aise entre relations de son âge, le sachant porté sur les bavardages philosophiques, et du sens de la vie, en avoir une idée dégourdie, les femmes organisèrent une rencontre avec un semblable, tout aussi féru de ces paroles-là.
Dans la pénombre, ils plaisantaient de tout et de rien, autour de verres remplis d’alcool. On l’amena à se dévoiler et prendre parti pour un concept, qu’il se fâche un peu pour voir… D’habitude, si enclin à débattre pour une polémique, une contradiction, il fit, là, mauvaise impression, restait fade et sans attrait, c’était curieux. Il ne désirait plus adopter une quelconque sentence ni un verdict définitif. Mais qu’avait-il perdu, de sa hargne, de ses outrages, de ses emportements, qui ravissaient ceux qui voulaient entendre, des mots, autrement ? Non, des gens l’ont trop vexé, il n’en peut plus de ces contrariétés ; jeune pourtant, il est fatigué, il désire maintenant se reposer, estime que la vie l’ébrèche si souvent, qu’il en devient maussade et sans rien dire de tout cela, il s’affadit jusqu’au bout de ses bras…
De quoi parlaient-ils déjà, on n’en sait plus rien et cela n’a pas d’importance ; c’est l’aspect péremptoire de son discours qui coupait court à toutes évolutions. À chaque point de vue, il mettait en doute toute conclusion et abattait à la fin de la discussion, des phrases particulièrement rédhibitoires, comme « à quoi bon ! » L’auditoire en restait un peu déboussolé. Pourquoi donc se conduisait-il ainsi ? Alors qu’on attendait sa verve, souhaitant le voir jaillir et déposer un concept auquel on pourrait s’opposer, rire ou quémander de nouveaux dires ; aurait-on désiré qu’il illumine ce moment, que l’on n’eût pas agi autrement ? Voulait-on le ridiculiser ? Essayait-on de le tester ? Non, rien, il coupait court à chaque expression, si bien que la veillée s’acheva dans une grande déception, chacun estimant avoir manqué quelque chose. Ce soir-là, nul ne refit le monde, le cœur n’y était plus.

*

il aimait bien perdre

« Ah, perdre ! quand l’autre aboie ; quelle délectation de le voir éructer ainsi sa joie vainqueuse ! », disait-il d’un ton ironique.
À propos des agréments des jeux, effectivement il aimait bien perdre pour leur faire plaisir, se laisser battre à un divertissement trivial, peu importe lequel, là où il n’avait d’ailleurs aucune envie ni de l’échec ni de la victoire, mais seulement s’occuper, histoire de ne pas s’ennuyer auprès d’eux.
Ainsi, ironie du sort, les voir tant désirer « gagner » on ne sait quoi, sinon à apparaître le premier, quête d’absolu qui le fait s’interroger sur ce plaisir-là, l’intéresse plus que de vaincre lui-même ; à ses yeux, ces triomphes restaient assez « futiles », « ah ! j’ai gagné à la course », oui et alors ? Il n’en percevait toujours pas la finalité et n’exultait à aucune joie inavouée pour une hypothétique victoire ; et d’ailleurs pour quelle raison contre qui, pour la gloire, pour épater les filles ? Et puis après… Il n’y trouvait là vraiment aucune quelconque jouissance. Même, ce terme de « gagneur » lui semblait d’une indécence incalculable, il estimait cette convoitise comme liée à nos origines ; si à l’époque, cela avait un sens et s’exprimait en quelques basses nécessités de survivance ancestrale, nous la voyons maintenant évoluer vers cette exacerbation de l’allégresse, oh ! cette joie « gagneuse » des triomphateurs, oublieux des perdants couverts de honte, comme s’il fallait perpétuellement vaincre à tout prix ; un besoin primaire du muscle, mais de l’esprit là-dedans, il n’en trouvait guère qui le réjouisse ni lui apporte une quelconque élévation d’âme, quelle qu’elle soit.

*

À côté de ces victoires futiles à ses yeux, l’esprit moqueur, il désire ajouter d’autres sibyllins mots ; par exemple, ces recherches de performance, il les voit comme un égarement de trop ; dans ce sport idiot du dépassement de soi, il voudrait pouvoir y trouver une ultime substance, la plus profonde en soi, une honnêteté, une sincérité, ce qui fait de toi un vivant et non un « performeur », car cela ne flatte que ton ego. Et n’arrive qu’à conclure que cet appétit de virtuosité ne représente pas ce détachement ni cette abnégation tant souhaitée, c’est l’inverse, une perte de temps, une divagation parmi d’autres, « une exploration futile d’une vie, qui se fourvoie dans une exaltation d’enfant qui désire la lune », comme le lui disait si bien le vieux professeur…