(texte final version 2017 - 16 sept. 2017 à 19h10)

—> 1. « İl », intermède… : 48. [v s i M] des principes sur la table, [v s] quatre tisanes…

des principes,
sur la table, quatre tisanes…

Des principes et des vertus des plantes, je vais vous parler (discours répétitif). Un soir, avant le grand transport, avant le sommeil, avant le coucher, pour l’important départ prévu du lendemain matin, discutaient quatre amis de passage ; sur la table, quatre tisanes…
Une femme, un homme plus âgé, un plus jeune, un indifférent, chacun dissemblable, bavardaient à bâtons rompus de ces tisanes : sur la partance, sur le voyage, sur le devenir, sur le bien-être, sur la manière de vivre, racontaient des histoires ; élaborant des propos et des dialogues autour de la présence de ces plantes et ce qu’elles nous laissent. Et puis d’en déterminer toutes les médecines, les quintessences qu’elles nous donnent et qui accompagnent notre existence, apprendre de leur usage, ce qu’elles nous apportent, ce qu’elles nous enseignent, ce que nous avons acquis en savoirs ancestraux, de leurs vertus, leurs propriétés et ce qu’elles nous transmettent.

Et des principes : ce qu’ils représentent, de l’essence des herbes, et dans leurs réflexions, ils abordent aussi le sujet des pouvoirs de chacune : de ce pour quoi l’on en use ou note certaines coïncidences, de là à extrapoler vers des substances ingurgitées par chaque individu, discutant de cela, de leurs constituants chimiques, ce qu’ils renferment et les énumèrent, ce qu’ils en conservent, une façon d’être ; voilà donc commémorées les plantes pour ce qu’elles contiennent, ce qu’elles en gardent en elles et ce que nous en utilisons ! De plus éprouvent-elles de la reconnaissance quand nous leur volons leurs quintessences ?

Quatre personnages et sur la table quatre tisanes, un homme s’en vient, mais qui est-ce ? Il ressent le besoin de parler, s’en va bavarder avec les autres, sur le voyage et son vaste périple, au soir, pour le grand départ prévu du matin. Cette future mère bientôt allaitante va prochainement enfanter, elle scrute son destin et envisage des avenirs, que valent ces forces de la nature qui la font tenir ? L’un débat à propos de ses espoirs et puis le dernier qui ne sait plus très bien quoi dire, voyant de ces trois orientations, ce qu’il pourrait en obtenir, où il irait bien, peut-être…
Voilà une femme en sainte, voilà un homme sur le départ, voilà un autre incertain et voilà celui-ci bien soucieux, le panorama du début est installé ; oseriez-vous réaliser une fresque ? Vous possédez maintenant tous les éléments.

Le soir, comme un ajoutement à cette ambiguïté du moment, nous apporte quelqu’un venant du dehors, disais-je, serait-ce İpanadrega ? Arrive-t-il pour se reposer ou pour le préparer, le grand voyage décidé du matin et son vague transport ? Il croise ceux-là, bavardant à trois auprès d’une cheminée, l’invitant à s’asseoir à côté du feu ; et sur la table, quatre tisanes ; ils discutent de leurs devenirs, de leurs errances, de ce qu’ils sont, de ce qu’ils réalisent, et des égarements, des présences de chacun et de tout ce qui est et de tout ce qui se concrétise ; et des mondes pareillement, voilà !

Sur la table, quatre tisanes ; une tisane pour le sommeil, un somnifère pour un bon dormir : Mélisse (Melissa officinalis) ; une tisane pour l’allaitement, galactagogue, aide aussi le cœur : Fenugrec (Trigonella foenum-graecum) ; une tisane pour l’anxiété, le partir : Passiflore officinale (Passiflora incarnata) ; une tisane pour la satiété, le digérer : Badiane, Anis étoilé (Illicium verum), Anis vert (Pimpinella anisum), Fenouil commun (Foeniculum vulgare). Chacune est reliée à chacun des personnages, élaborons des croisements entre les principes et les vertus des plantes. Ce dialogue étrange, et ce qu’il nous apporte, il nous parle des molécules, des atomes, que l’on ingurgite, tout cela se situe dans l’eau, ces principes absorbés, chacun buvant la boisson qui lui est appropriée, au soir, ce soir, la veille d’un grand départ, il semble bien qu’il s’agisse de celui d’İpanadrega ?
Voilà donc quatre tisanes, il manque la clé ? […] Nul n’a pu la révéler. Écrivez-moi, si vous l’avez trouvée, je transmettrai…

*

Mais c’était un empoté, İpanadrega refaisait sans cesse ses bagages de peur d’un oubli. Le matin de la partance n’en finissait pas de revenir au lendemain ; celui-là qui serait le bon ! Oui, il avait de l’appréhension, celui de son premier grand au revoir. Il rumine un tas d’interrogations qui nous exaspèrent tous.

– Est-ce toutes les facettes d’un même devenir qui se dessine sous mes yeux et dans ces mots ; est-ce tous les possibles qui s’égrènent au-devant de mon écriture et m’empêchent d’en terminer la ligne ; est-ce un miracle de l’entendement, je n’y crois guère ; est-ce une demande à choisir, mais pourquoi n’y arrivais-je pas ; est-ce mille autres raisons de me mécontenter, pour que je ne progresse plus ?

Je le laisse prendre son destin, il est suffisamment initié et puis voilà que cette rencontre de tisanière le prédispose à un rituel étonnant. Autour de celle-ci, nous avons bien vu que ce sont de braves gens, de bonnes âmes qui veulent accompagner ce moment, elles gardent la bienveillance d’une famille à la préparation de leur enfant au départ, et pour lui apporter toutes les armes nécessaires à son voyage ; qu’il n’attrape point froid, qu’il n’éprouve point de mal au ventre, qu’il ne redoute pas la faim ; et puis lui donner tout ce qui l’aidera, enfin ; il s’agace à ces manières, grogne comme un gamin choyé, laissons-les faire.

Nous vous parlions de cet homme soucieux, le plus âgé, il s’approche de lui et précise :
– Tiens ! Je t’apporte « le livre des voies, de la voix et de l’écoute » ; et ces plantes à tisanes, du Thym (Thymus vulgaris), des feuilles de Gommier bleu (Eucalyptus globulus) et de l’Herbe au chantre (Sisymbrium officinale) ; garde-les pour ton voyage, uses-en pour renforcer ton corps ; elles affirmeront ta clameur, soulageront une gorge enrouée, et permettront que l’on t’entende mieux.
Il prit le tout et lut le livre, il y avait comme un chemin pavé ; c’est donc à partir de lui qu’il suivra sa route et s’évaporera au début du prochain jour…
L’autre personne, assez indifférente, prétexta une coïncidence heureuse, lui laissa aussi un présent et tint le verbiage attendu :
– Prends-le, je te l’offre, « le livre de la vue ou du voir et des sensations », et j’y ajoute cette herbe pour qu’elle t’aide à observer loin, quand tu éprouveras une vision vacillante, de la camomille romaine (Chamaemelum nobile).
Il accepta celle-ci, et l’ouvrage, le lut également, et trouva de quoi prolonger la route précédente et égrener de nouveaux possibles transports…
Plus tard, le plus jeune de tous, ravi de ce soir, lui dit tout de go :
– Pour toi, on m’a donné cela, « le livre de la sueur et des insanités » ; et puis cette boisson de Ginseng (Panax ginseng), elle t’accompagnera, renforce le cœur, fait abattre de grands travaux et apporte de l’agitation quand on y braille.
Il prit tout cela et lut ce nouvel écrit, il contenait du bruit et beaucoup d’énervements ; peut-être devrait-il s’en instruire aussi, de ces remuements, pour qu’ils le transportent là-bas, cela lui semble incertain ?
Enfin, cette femme qui devait bientôt accoucher s’approcha de lui juste avant son sommeil,
– Ouvre donc cet ouvrage, « le livre de la peau et des sensualités » ; puis, sans un mot, lui glisse en douce une petite fiole remplie d’une liqueur ; sur l’étiquette, y était inscrit : « pour garder l’esprit des douceurs », un assemblage savant à base de Millepertuis (Hypericum perforatum) et d’autres plantes dont elle a le secret.
Il conserva le tout et lut encore ce dernier livre, il y trouva un contraste éclatant, des choses inexplorées qu’il se devrait de traverser, il se promit d’y veiller…

*

Quand enfin on le laissa tranquille, il s’estima un peu honteux de son hypocrisie face à tant de gentillesse et devant son incompréhension de ce cérémonial trop orthodoxe à son goût, il s’interrogeait : que voulaient-ils donc ajouter au transport de son aventure, leurs rêves, ou des maux d’où ? Il ruminait seul ces quelques remontrances, qu’il n’osa pas exprimer auprès d’eux :

« Mais pourquoi donc me donnez-vous ses livres ? Je n’ai pas demandé que l’on décide ainsi mon chemin ! j’ignore où je vais, sinon, vers un grand désert sûrement, je le trouverai bien, à force ! On n’en dénombre pas tant sur terre, même si je dois les traverser tous, vous savez bien, ce peuple sans nom, je désire tant les retrouver, j’ai amassé tant de questions à leur poser. »

« Mais pourquoi donc me donnez-vous encore ces livres ? Que l’on trace ma voie, que l’on outrepasse mes choix, que l’on tracasse mon esprit, que l’on me dise prend donc ceci ou cela ; mais qu’est-ce alors tout ceci ? Quelle manigance me préparez-vous ? »

« Je n’ai quémandé aucun sol sur lequel avancer ; je marcherai bien où je pourrais, j’irai bien où mes sens me porteront, tant qu’ils ne seront pas mes trouble-fêtes et de la vue, que je puisse observer, c’est tout ce que je demande ; et de l’entendre, que m’arrivent tous les sons du monde et la parole des autres, c’est tout ce que je désire ; et de sentir, que je perçoive toutes les humeurs à la ronde et la bonne odeur d’un repas frugal, évite un malheur et ne pas mourir de faim, c’est tout ce que je demande aussi ; et des sueurs, sous le soleil du désert, j’en aurai assurément et qu’il m’épuisera, ma peau s’asséchera et puis elle brunira, du moment qu’elle me protège, c’est tout ce que je demande alors ; et quant à me toucher, vous espéreriez peut-être un geste, mais je ne possède pas la sensualité de vos idéaux ni ne sollicite cette bannière à mettre si haut ; cette perception me reste étrangère, que l’on défasse ce que vous y trouvez de beau, c’est tout ce que je demande enfin. »

« Pourquoi donc cherchez-vous à m’inscrire dans une histoire et décrire déjà une légende, oseriez-vous de nouveau apposer un mythe sur moi et dépeindre une certaine idée de ma personne ? Que souhaitez-vous y déposer, de quoi désirez-vous m’imprégner ? Vous semez le doute au plus profond de moi ! Mais que brisent vos sourdes réponses ? Voudriez-vous que je n’entende pas, demeurent étranges les bruits que laissent vos pas ? »

Et puis parce qu’il le préparait tant son voyage, cela finit par se savoir ; malgré le peu de jours que cela dura, certains ont demandé à le rencontrer et on le questionna longuement, il se résolut à refuser poliment les venues suivantes.

Effectivement, avec le temps, bien qu’il désapprouve cela et que malgré tous ses défauts, il parlait bien haut de cette manière qui aiguisait fort les esprits rancuniers rêveurs d’un différent mieux ; il devait s’en méfier. Certains finirent par l’idolâtrer et établir un catalogue de ses idées ; il y lut de tout, au-dedans, de quoi l’horripiler, mais que pouvait-il y changer, quand certains veulent vous aduler, comment casser ce mythe naissant, il se devait d’en devenir blessant.

« Vous me questionniez l’autre jour et me disiez : “pourquoi ce monde ?” Comme si j’avais réponse à tout ; puis de ça, avec cet embonpoint sentimental qui vous bafoue, vous me vénérez déjà sans attendre l’explication que je pourrais donner là. »

« Oh ! Ne m’adorez pas, gardez vos distances, sinon vous recevrez mes rouspétances au coin de la figure, comme un stratagème, pour écorner de l’idolâtrie ses oripeaux pas bien beaux, vous revenez de haut, oui ! Je sais, c’est un exprès, que je pratique à cet usage et des bannières j’y dépose, contre l’adulation… »

Il devait vraiment partir, ne plus attendre, que lui restait donc à apprêter ? Il voyait bien qu’il n’en finissait plus de ces préparatifs somme toute illusoires, quand on doit aller là où le vent va vous mener, il ne faut pas le perturber à trop le parer de présages, il n’emporte qu’une seule fois à la fois, les corps, à son passage.

Comme à la fin de toutes choses, se trouve toujours le début d’une émergence, et parce qu’il en parlait tant de ce peuple innommé, on lui désigna une montagne où résidaient des hommes usants de prières peu communes, cette manière que l’on dit inversée ; on raconte en effet qu’ils possédaient une bonne connaissance des mondes perdus ou oubliés, que l’on ne recherche plus ; probablement savaient-ils où ils se cachaient et dans quel désert ; c’est ainsi que ce fut décidé, son grand voyage allait commencer…

*

fin de prolegomena