(ajout 26 nov. 2018 à 23h50)

Le robote se mit à résumer cette première narration, celle de lui, le « İl » du racontement, amusant cette discussion encore, comme si ce dernier persistait toujours auprès de lui ? La machine avait un brin de nostalgie, trouveriez-vous sa prose jolie ?

(texte manuscrit - début 2017)

Oh ! Le temps n’avait plus la cote dans l’écoute de son écoulement, il avait beau raconter de braves histoires ou méditer dans des écrits devenus illusoires, puisqu’on ne les lisait guère tant ils n’intéressaient pas. Sauf entre deux travaux qu’on lui demandait, il osait bien une rêverie ou deux, un appétit amoureux ; il les récitait pour montrer un goût à la vie, alors on supportait bien par pure politesse sa hardiesse pour des mots à l’emporte-pièce qu’il émettait dans ces moments-là, par pure politesse, oui ! Entre deux bâillements, on faisait savoir que le temps passait et que s’il partait ce serait bien. Sans s’offusquer, il remballait sa mémoire, l’ami au bout d’un récit qu’il ne cessait d’écrire les soirs après les tâches du déplaisir, du « faut bien vivre ! » ; pour au bout du compte ne gagner que trois bouts du pain. Cela dura quarante-cinq ans ainsi. Mais ce fut pendant les dernières années de sa vie qu’il entama la plus vaste narration de toute son existence, certains diront toute l’étendue de ses mépris, mais cela ôte une envie à son auteur, qu’on ne devrait pas oublier l’ennui que procurent des longueurs dans une destinée sans fruits, sans rancœur, sans exacerbation de quoi que ce soit. Alors, comme par nécessité, il inscrivait sur ses manuscrits toutes les exhalaisons ressenties, des sentiments de l’esprit des hommes. Puis pour comparer, évaluant la prose, soupesant la somme des méditations ainsi transcrites, il refaisait la critique du genre humain, puis édifiait un roman parallèle à son récit commun. Sous des airs d’une fausse pudeur, osa même le discours d’un grand roi, un tyran, pour se donner les allures d’un véritable inquisiteur qu’il ne sera jamais, il le devinait bien. Tout au bout, il bâtit tout un amoncellement de textes très disparates dans une sorte de chronique imparfaite pour dire du bien, pour dire du mal, pour dire « vous saviez bien ! » Et jouer une comédie ironique devant la glace posée au-dessus de son petit buffet où il répétait journellement les lavements de son corps.

Tout le temps, il aimait rédiger inlassablement et tenter des « liseriez-vous ceci, ou cela, ce que j’écris là ? » Toujours, un long silence gêné affirmait « non merci ! Ton emmerdante littérature, on chie dessus ! », voilà ce qu’il entendait, et il se demandait enfin : « demeurait-il donc si mauvais ? »

Il avait beau relire sa prose, il ne trouva que de sommaires corrections de grammaire ; et puis quelques sens à rajouter au cœur du récit ; oh ! rien de bien méchant ; depuis tant et tant qu’il rédige cette mélopée fruit d’une imagination débordante. Parfois même il n’arrive plus à suivre le rythme de tout ce qu’il ingurgite et restitue… Puis peu à peu le fleuve se tarit, tout ce qu’il trouvait à transcrire fut mis sur des pages, des milliers de pages sans maugréer. Son temps des hommes allait s’achever et il ne déplorait rien puisque ne subsistait aucune chose qu’il puisse regretter. Tout passe si vite, se souvient-il… Comme avec un mandala, il se demande si son ouvrage ne devrait pas être détruit, afin qu’un autre plus tard reprenne cette épreuve comme une méditation, un recommencement futile, ce que représentait son moment de vie. Il se pencha un peu et réfléchit à ce qu’elles montreraient les images qui lui donneraient cet instant de gloire, s’il restait pour que l’on édite enfin son manuscrit ? Cet ego-là il ne le concevait plus, il lui apparaissait illusoire et maintenant sans aucun attrait possible à ses yeux. Devenons sérieux pour émettre encore quelques frimes, le cycle des hommes ne représente qu’une facétie offerte à la vie ; ces êtres ne demeureront pas éternels dans le long poème qu’elle égrène, elle a déposé au creux de certaines de ces progénitures cet élan à travers maintes inspirations pour déborder leur esprit de plein d’inventions et par là apprendre bien plus que cette simple action à dépeindre le monde et s’y épanouir ; mais non ! Ils éprouvent des cauchemars et lances des bombes atomiques, dans quelles errances sont-ils tombés ? Devra-t-on tout rattraper, retaper ce dernier siècle, il apparaît comme un sommet de la cruauté, permettez donc que certains puissent s’évader et offre un petit message à cette bougresse de vie : cesse alors de tout savamment expérimenter, puis ils crient « oh ! cette horreur ! il ne faut plus recommencer ». Dans ce rythme pas forcément épatant, inventons une nouvelle mélodie dénuée d’éclats (ceux de la bombe, évidemment, que croyez-vous ? Que je sache et voie où vous la laisseriez tomber ! Vous rêvez !)

Ton succès ! Ne te leurre pas, tu n’émerges nullement dans la comédie des hommes, ton succès ?… Ne t’en émeus pas, cette crétinerie qui les illusionne ; ne te prends pas pour… une pomme… parce qu’elle sera mangée sans détournement. La logique d’une faim (fin), tu connais ? Ce ne sont pas tes habitudes, ne t’en abuse pas ; aucune réussite, cette désuétude du genre ordinaire attise l’ego et enfle ta cheville ; petit être griffonnant que tu es. Vous parliez de quoi l’autre jour, quand je suis passé, je n’osai pas vous déranger, vous étiez accaparé à débattre de tout ? Tu ne lui exprimais pas de tes succès envisagés, j’espère, dis-moi, tu n’as pas réalisé cette erreur dans ton jugement de toi ? Pourquoi cette pâleur ? Qu’est-ce qui te lasse ? Je vois que tu t’agaces de mes remarques, ironise ! Ne traite pas le sujet avec ce sérieux outrageant, ose le rêve dans d’autres tourments, ou faire en sorte qu’il devienne ce songe facétieux qui t’inonde certains soirs, te poussant à l’écriture incessante presque dans le noir. Ta carcasse en a mal au dos, je le sais, je vois tes courbatures et le placement de ton corps quand tu dors ; même dehors dans tes balades, ton inclination à ne sortir qu’avec ce bâton, ton dernier support pour tenir debout encore. Triste renommée des anatomies vieillissante, litanie des maux énumérés en vagissant « qu’on n’a plus vingt ans ». Ne t’inquiète pas, bientôt tout cela sera négligé, tranquillise cette carcasse usée, elle a assez duré ; vient le temps de songer à demain et de rire, en observant tes succès hypothétiques à travers quelques lectures mélancoliques vite oubliées, celles des passants de la rue des renommées, feuilletant un livre abandonné, tu y trouveras un des tiens, tu verras…

Ayant absorbé le monde suffisamment maintenant, il régurgite tout ce qui l’oppressa, le tourmenta, puis ajoutant quelques gaietés entre les plats principaux du grand récit qu’il débite bien haut !

Parfois, il se remémorait les songes de son adolescence ou des malaises l’importunaient régulièrement ; dans des périphrases énigmatiques, il élaborait une conscience qu’il considérait quelque peu décaler face à cette humanité déboussolée. Sa perception du monde, nous vous l’avons de maintes manières répétées, il lui semblait étrange et parfois désolé ; il s’affirmait à lui-même sans trop y croire, mais le pensait tout de même, « je ne suis pas né dans ce monde, je viens d’un ailleurs ignoré et l’on m’a laissé là par mégarde, il faut que je parte tantôt, demain, mais bientôt, il faut que je parte… ce théâtre m’apparaît trop étrange et je ne me sens pas de la lignée des hommes, je ne me retrouve pas dans cette espèce, je ne me vois pas dans cette race, je suis… mais je suis quoi déjà ? »