(parole en marchant – 4 juin 2019 à 17h54)

—> 2. « petit chemin » :
—> du comment et du pourquoi, nait l’inspiration ou ne vient pas ?
—> durée : 40’08

Tu es mal né, toi ! Tu es mal né, toi, trop près du passage des hommes, petit Hêtre trop près du chemin, quelques branches seront frôlées en permanence, je ne sais plus quoi dire pour te prévenir et dire (pour qu’ils te le disent) à tes congénères « pousse donc plus sur le côté, dévie-toi ! » À un moment, ils vont te couper, cela va de soi, on se fout de toi, comme des autres, tous les petits, là…

(le petit Hêtre sur sa souche… en hiver)

Oh, comme vous tous, dans la nature, on se fout de vous, on vous ignore ! Ce que vous pensez, les hommes s’en foutent royalement, ils ne voient que leur petit confort, sans s’imaginer un seul instant que les meubles de bois sur lesquels ils posent leurs culs, il fut inventé le bois, dans les forêts… Vous, vous poussez hein ! pauvres Chênes, pauvres Hêtres !…
(le vent apporte ses effluves que l’on respire, lui aussi il inspire…)

2’00
Tiens ! s’en vient la bonne lumière aujourd’hui, j’arrive à l’heure propice, à l’endroit qui distingue l’arbre feuillu de l’arbre à épines (aiguilles), ces quelques conifères que l’on planta là pour augmenter le rendement de la forêt, ceux qui vous mettent (jettent) quelques ombres supplémentaires, ces Pseudotsuga…
Non ! la lumière n’est pas là ; cet instant fugitif (d’autrefois), peut-être se passait-il à un moment de la journée, à une heure dont j’ai oublié le minutage exact et la saison exacte ; peut-être, c’était à un moment précis de la pousse des arbres quand ils avaient cette hauteur propice, à (ah !) cet éclairement magnifique (je m’en souviens), peut-être jamais ne retrouverais-je ce rayonnement magique ?
Beaucoup d’instants comme ça sont fugitifs, uniques au monde, jamais reproductibles et rares sont ceux qui passent à ce moment-là, pour les subir, les reconnaître, les observer, ces moments-là ?
Voyagez donc, le voyage vous les apportera, à moins que vous ayez déjà tout détruit autour de vous ?
Mais non, mais non ! N’ayez crainte, la nature est plus forte que vous !
Houla ! Vous allez la mettre dans quelques embarras…
Mais, comme c’est souvent dit déjà, ici (je vous l’ai souvent déjà dit), vous faites partie de son patrimoine et votre expérimentation foireuse n’est qu’un quelconque aléa de son histoire, elle en a vu d’autres, vous ne seriez pas les premiers. Elle peut recommencer des milliers de fois, se tromper encore autant de fois pour enfin trouver les agencements nécessaires à sa survie, à son avenir, à sa perpétuation, à la faire voguer, sa petite information, de ce petit (monde) vivant sur cette planète ! Nous ne sommes pas grand-chose, notre soleil est un astre très moyen, tout comme notre planète comparée à d’autres dans ce système, elle n’est pas bien grosse non plus, notre dimension est un point infime ; alors, comment voulez-vous que dans ce point infime puisse se manifester une entité telle que la nôtre, avec la force qu’on lui connaît, elle ne sera qu’une dissipation inutile d’énergie, perdue à jamais dans des débordements où la vie essaya de dompter la bête, mais n’y arrivant pas, elle nous laissa choir ; c’est ce qui est en train de se passer au jour où je vous parle…
J’arrive au bout de l’allée, au bord de ce chemin bitumineux, quelques voitures (automobiles) au loin, aucun deux pattes, je peux avancer tranquillement sans être dérangé, sans avoir cette obligation presque systématique du salut, « bonjour ! comment allez-vous ? » Dans la solitude, on évite ce genre de choses ; l’ermite pour lui, c’est son désagrément, ce « bonjour bonsoir », il voudrait les éviter, c’est pour ça qu’il vit en ermite.
(un Grillon passe en stridulant fortement)
Je vous parle doucement, car l’on pourrait en croiser un, de ces deux pattes dont je vous parlais tout à l’heure ; voilà que le moucheron s’amène, les temps deviennent chauds et la petite bestiole commence à guetter nos sueurs sur les cheminements que nous faisons dans les allées des forêts ; ils nous voient venir de loin et se jettent sur nous pour se gaver… de nous ! Y pondre quelques larves, se délecter de notre eau salie, de nos respirations et de nos saillies !
Ah ! là, c’est beau ! Ah, c’est beau !
(quelques ricanements ironiques)
Oui ! c’est un peu facile, je l’avoue !
Oh oh ! les premières Digitales de l’année, elles sont précoces ; un Lychnis, quelques Ombellifères…
(hoquètement imprévu)
Plus rien à dire ?
Plus rien à dire !
Vous pouvez couper (arrêter) la petite machine enregistreuse, maintenant ?
Attendez, j’arrive près d’une trouée au bord du chemin, au bord de ce champ, vous savez (de) celle de ces cultures nauséabondes que l’on y récolte, pleine de pesticides. C’est une manie dans cette région, de salir la terre…
Ah oui ! Mêlées aux Orties, entre eux-mêmes l’Ortie et le Colza, de belles Digitales résistent, résistent !
Vous pouvez vous taire maintenant ?
Nan ! J’avance encore un peu ; allons voir plus loin… Les Ronces commencent à fleurir, elles ne sont pas encore mûres, les Murs ! Ah !
Le vent se mêle à mon cheminement et les oiseaux se sont calmés, le printemps commence (entame) ses derniers jours, chacun a trouvé sa chacune dans le bois où je chemine…
Comment le bois ? La forêt, Monsieur, la forêt !
Petite forêt, toutefois !
Oui, mais « forêt » tout de même !
Ah ! Des Alchémilles, des Fougères, des Renoncules, le Trèfle, tout cela poussent encore…
Il y a de l’espoir, alors ?
Peut-être bien… Dans l’allée, quelques Châtaigniers tentent une survie, mêlées aux Genêts du bord du chemin (le bâton du marcheur fait un « toc » incongru), leur floraison à eux est terminée, ils commencent à se mettre en graines, ils vont essaimer bientôt…
Nous arrivons dans le petit chemin, dans cet endroit non encore dévasté où la lumière aussi est belle quand le printemps arrive ; quand les feuilles sont toutes vertes, d’un vert très clair, c’est très beau par ici, une beauté toute simplette sans fard, aucun roulement de véhicules nauséabonds qui déforment le chemin, de ces machines à découper les arbres qui sévissent un peu plus loin ; seulement au bord des panneaux indiquant que de l’autre côté du chemin, en face de la forêt, l’entrée est interdite, défense d’entrée ! chasse garder ! tir à vu ! enterrement aussitôt, dès que l’on vous a vu ! Si un jour l’on vous abat, vous êtes prévenu !
Oui ! On enterre vite les gens par ici, on a peur du désordre !
Au loin, comme une forêt vierge, le bord de la forêt me donne cette impression à l’arrêt (la fin, la terminaison) du champ au loin où la forêt reprend…
Où la forêt est privée, là !
Privée ! Privée de quoi ?
Aaah si ! Vous ne connaissez pas les mœurs locales. Nous disions de la forêt qu’elle est privée, en effet, à certains endroits, et domaniale à d’autres ; ce qu’on appelle les domaines, c’est une propriété commune à la société où sévit cette forêt, dans le territoire où elle est implantée, elle est domaniale, elle est partagée de tous, (surveillée) par le garde forestier qui gère le moindre arbre, qui dit « celui-là, on le coupera demain… ou plus tard… ou jamais ! » Qui permet ces marquages que l’on fait dessus, comme sur du bétail, comme sur des esclaves, comme dans des troupeaux, on identifie la bête, celle qui ira à l’abattage, celle qui restera dans le troupeau ? C’est comme ça que ça se passe ici et ailleurs ; dans ce territoire, tout est assez organisé malgré que l’on fasse toujours quelques découpes en douce, sans avertir quiconque, on cache des trésors ; nous allons d’ailleurs passer auprès d’un de ceux-là, j’y ai vu quelque deux pattes y rechercher la petite boîte où ils auraient mis quelques substances à cacher, à moins que ce soit un véritable trésor, quelques pièces en or, à moins que ce soit quelques monnaies fiduciaires, on ne sait, on ne sait ! J’ai tenté de rechercher là où ils avaient pioché, je n’ai rien trouvé, peut-être l’avaient-ils déplacé, leur secret, leur trésor…

18’22
Ah ! nous arrivons dans la zone torturée où les roulements des machines se voient sur le chemin, dans les anfractuosités du sol où la terre est humide encore. Et dans cette trouée que l’on a dégagée, un chemin qui il y a quelque temps était barré de quelques barbelés où l’on vous interdisait d’y entrer, on voit encore aux abords ces barbelés délaissés enroulés sur eux-mêmes, prêts à rebarrer le chemin ; sous l’arbre où il est marqué « chasse gardée ! propriété privée ! défense d’entrée ! défense de pisser ! défense d’éructer ! défense de médire ! défense de tout ! » Ils ont quels droits ces gens-là, à vous défendre le passage (si hardiment) ?
Oh, ils le prennent, le droit ; ils l’accaparent, le droit !
Vous n’en avez pas assez, vous n’en avez pas assez de médire, de médire, toujours médire ?
Je ne médis pas, je râle ! Je m’offusque ! Je me défoule ! Je vocifère ! Je ne râle pas, je ne maudis pas, je m’indigne de ce que nous sommes ; car voyez-vous, si j’étais né en un autre endroit, à côté de celui où je naquis, peut-être serais-je (devenu) un de ces bûcherons coupant les arbres, sans de plus amples soucis que de compter le nombre de tranchements que j’ai fait (dans la journée), pour voir combien cela va me rapporter. De l’arbre, je m’en foutrais, je ne lui dirai même pas « merci », de permettre ma survie, je protège bien mon tas de bois là à côté, celui qui est devant moi ; en haut, on a mis des bandes (marques) rouges avec cette peinture fluorescente pour (pouvoir) vérifier si l’on ne prendrait pas quelques fagots, en cas de vol.
On se méfie de vous ?
On se méfie de tout !

22’02
La lecture de votre petit message, de votre petite sonorité, va encore être longue, il vous faudra du temps pour la transcrire en quelques écrits, n’en avez-vous pas assez ?
Non !… Continuez, encore, encore un peu, voyez les crevasses, les grosses crevasses là, elles sont gênantes pour celui qui marche, surtout quand la terre durcit, on finit par se casser la gueule dans ces trouées béantes, celles conçues par ces machines (exubérantes et) roulantes…
Je m’ennuie, Monsieur !
Ennuyez-vous donc dans la forêt, c’est inadmissible ! Moi, je continue…
Je m’ennuie de vous…
Ah ! je n’y peux rien, si aujourd’hui, je n’ai pas grand-chose à raconter, (c’est que) j’attends que la forêt me parle ; mais voyez-vous, je deviens mièvre quand les oiseaux ne me parlent plus, plus rien ne m’inspire, ils sont mon apport quotidien, je les entends tout le jour sous la fenêtre de mon chez-moi ; ici, tout le monde s’est tu… C’est le calme dans le vent, alors que la semaine dernière c’était encore vociférant de chants ininterrompus… Oui, chacun a trouvé sa chacune, on s’occupe de la préparation du nid, c’est comme chez nous vous savez, il y a le temps des jeunesses où nous dansions, nous nous amusions tant, nous vociférions-nous aussi, dans la rue, le soir en sortant des édifices où l’on dansait tant ; maintenant, nous préparons le nid de nos enfants, nous dissertons gentiment, nous nous accouplons de-ci de-là, pour préparer la venue de l’œuf triomphant ! Voilà ce qui se passe, voilà ce silence ! Eh, le vent recouvre les quelques bruissements qui restaient, il menace, il surveille, pour qu’aucun intrus ne passe… Il est au courant de tout, le vent ; ce n’est pas qu’un mouvement d’air, il déplace en permanence des informations invisibles contenues dans les petites bactéries (ces micro-organismes) qui se déplacent avec lui, que vous respirez tout le jour, toute la nuit. Dans le vent, il se raconte de drôle d’air, vous savez ? Il n’est pas neutre le vent, il en sait des choses, il en a vu des terres ! La moindre de ses molécules, celle que vous respirez, recrachez aussitôt, a voyagé éternellement (sempiternellement) pour se disloquer, un jour peut-être, dans quelques éructements de la terre, dans des bruits divers ; certaines ont fait le tour de la terre, même, elles reviennent par là où elles commencèrent leurs existences…

(au loin un timide chant d’oiseau à travers le vent, « tii tuu tii tuu tii tuu dii ! »)

Ah ! un Pouillot véloce s’amène au loin, à moins que ce soit moi qui me rapproche, il insiste tant…
La terre est sèche, l’eau va bientôt manquer, il faudrait quelques pluies, on annonce une sécheresse, promise, très dure !
Dans quelques mois, nous saurons si celle-ci arrivera, effectivement, si celle-ci arrivera… Nous ne savons pas encore, tout peut changer, une catastrophe, un débordement, une invasion, un météorite, une bourrasque, un tsunami, un ouragan, que sais-je encore ? Le vent ne me dit rien, il n’en sait pas plus que moi, ce n’est personne le vent, et pourtant, en son sein, dans son air, il transporte une tonne d’informations, que dis-je ? Des tonnes et des tonnes d’informations qui nous caressent la joue, qui font que nous nous enrhumons parfois… Eh que parfois je me sente bête, au fond de cette forêt, à raconter tout ça pour passer le temps ; de n’avoir rien d’autre à dire, d’attendre que l’on me dérange pour arrêter la petite machine enregistreuse, la cacher dans le coin de mon bras, pour qu’on ne la voie (pas) ; mais personne ne vient et je continue mon chemin.
Je suis passé à côté d’un feu de bois, que l’on fit au milieu du chemin. Ici, l’excrément des chevaux a été labouré par les bêtes du coin, Sangliers, Scarabée et tutti quanti… la crotte est fraîche, bel humus (à venir) !

31’58 (un chant d’oiseau dans le vent, le vent enfle)

à partir de 32’02, pendant 8 s, malgré le vent et le bruit des pas, un oiseau arrive à se faire entendre, un Troglodyte mignon ?

Le vent ne veut pas que j’entende l’oiseau, à peine chante-t-il qu’il monte d’un souffle nouveau, il dit « finis ta route, dépêche-toi, dépêche-toi, ce n’est plus l’heure, j’attends des gens nouveaux ! »
Eh ! De quelles gens parles-tu ?
Ah ! Il ne veut pas me le dire, c’est un petit cachottier !
Peut-être est-ce des extraterrestres, j’ai beaucoup d’imagination, savez-vous ?
Mais le vent parfois peut faire peur !
Ah ! moi, je l’aime bien le vent, il m’apporte de ces vapeurs, oooh !
(le vent grossit, grossit !)
C’est calme effectivement (en dehors du vent), on a annoncé de l’orage, peut-être, par ici, peut-être que si je persiste (ici) un éclair me prendra soudain (il faut crier pour s’entendre dans le vent) par inadvertance, dans le cheminement de son éclair, quand il retourne au sol, je serai éclairé (illuminé), électrifié comme une guirlande pendant quelques secondes, je fumerai et peut-être je périrai, s’il ne m’attrape, mais les nuages ne s’amoncellent pas au-dessus de moi, il n’y a que le vent et le soleil s’offre à ma vue ; des vapeurs océanes passent au-dessus de moi, je sens quelques embruns venus de loin, des senteurs satisfaisantes pour me vivifier l’esprit. D’où les marches dans cette forêt !
Vous n’avez vraiment rien d’autre à dire ?
Je me permettrai une blague, une expression qui ne vous satisferait pas non plus, comme un mot que l’on dit gros, mais je ne l’emploierai pas pour éviter de le transcrire plus tard, mais la pensée y est tout de même : vous m’agacez quelque peu ! Je cherche, je cherche, j’attends que cela vienne… Vous savez, je n’ai pas la science infuse parfois, ben ! on ne vous dit rien. Alors on a beau dire que l’on est très inspiré (souvent), quand rien ne vous vient, il ne vous reste que quelques bribes d’informations délaissées de-ci de-là, que l’on rabâche pour meubler, pour dire que l’on existe, pour dire « et bien voilà, je ne peux faire autrement ! » C’est ça, l’inspiration, elle ne vous vient pas du fond de vous, exclusivement, c’est une mixture, un mélange, une alchimie, qui quand elle vous traverse fait que vous raisonniez (résonniez) ou non, à son entendement, à sa vocifération parfois, elle est tellement vive que vous n’avez guère le temps de tout transcrire, de tout annoter, de tout mémoriser, qu’elle est déjà passée ! Quand on meuble, c’est que rien ne vous vient, comme le comédien qui a oublié son texte, (et) qu’il doit improviser de lui-même, à cet instant précis si l’inspiration ne vient pas, il sera un piètre comédien ! Par contre si celle-ci s’ingénie au creux de lui et lui donne tous les travers d’un prince qui se trucide, devant tous, sur la scène, eh, qu’il y croit tellement qu’il en meure d’extase, là, on dira c’est un grand comédien et d’autres diront qu’il en fait trop ! Nous n’aurons jamais une satisfaction égale, certains trouveront cela bien, d’autres non ; sans parler de ceux qui ne virent point la scène, ils ne pourront avoir un jugement adéquat, et ignoreront totalement ce comédien-là ! On attend qu’une mémoire vous traverse, qu’une petite information fasse « ding ! » au creux du cervelas, c’est ça que l’on attend !
(un chant d’oiseau monotone dans le vent, « truiii truiii truiii truiii »)
Même l’oiseau au loin, ne sait plus bien, il est tout seul, même pour lui aucune inspiration ne vient… Ah si ! Des deux pattes au loin, je vais arrêter donc là le petit discours que je maintiens, car je vais être dérangé par quelques marcheurs ou cyclistes, je ne sais (encore), ils vont m’embêter. Adieu donc !

(ajouté après)
(C’était bien des cyclistes, un homme et une femme ; au moment du croisement, je leur donne mon bonjour poli pour la forme et l’usage d’une amabilité convenue. Autant l’attitude du jeune homme était fringante, celle de la femme tout aussi jeune était étonnante ; elle se tenait très droite sur le vélo, comme raidi par on ne sait quoi de drôle, elle avançait rapidement en suivant son compagnon, il est charmant ce souvenir qu’elle me laisse…)

Sonagramme audiométrique :