[ temporalité ]

Après épuisement de tout cela, laissez aller, laissez venir au gré d’un hasard fortuit, un dialogue naît dans la nuit ! Où la poser cette remarque, avant ou après les sujets de ces errements, selon qu’on lise la prose à l’envers ou à l’endroit de l’écoulement du temps ?

(parole avant de dormir – 18 juill. 2019 à 23h52)

—> Voir comme début ?

(Non ! Aucun des protagonistes n’a bu ni fumé un pétard de quoi que ce soit. C’est venu d’un seul coup en une seule fois [la mémorisation de la machine enregistreuse le prouve], sans aucune hésitation et rien que ce dernier fait peu sembler louche ! Si vous pensez cela, vous n’avez probablement pas tort ?)

Regarde !
Quoi ?
Dans quel embarras tu me mets !
Qu’es qui y’a ?
Regarde !
Qu’es que tu fais ?
Elle m’a laissé un bout de son secret !
C’est pas vrai, j’y crois pas !
Si ! Regarde !
(il tente de percevoir là où l’autre lui montre)
Là ! Tu vois ?
C’est rien !
Si ! Là, regarde !
(il tente à nouveau d’appréhender la perception de l’autre)
Je ne comprends rien ?
C’est un bout de son secret !
Mais comment tu le sais que c’est son secret ?
Parce qu’elle me l’a dit !
Comment tu sais qu’elle te l’a dit ?
Regarde, là !
C’est pas une preuve !… vois rien !
Si, y’a rien à voir, tu sens pas ? C’est pas avec ta vue, c’est pas avec tous tes sens, c’est avec ta perception au-delà des sens, que tu dois voir ! Tu comprends ?
Nan ! Je comprends pas ce que tu me dis ?
Mais si ! Regarde, là ! On va éteindre, dans le noir, tu verras mieux !
Dans le noir ? Mais tu te fous de moi !
Non ! Je ne me fous pas de toi… dans le noir, tu verras mieux, je te le dis ! Regarde ! Réellement ! Comme les choses sont… c’est si simple… Je n’y avais pas pensé à ça, la simplicité extrême !
Je vois rien ?
Mais, si ! Vois au-delà de tes yeux, c’est évident ! Même dans le noir, je le vois, je comprends…
Serais-tu fou ?
Mais non ! Si (c’est) ce que les autres prétendent, ils voudraient bien que je sois fou, que l’on m’enferme et qu’on en finisse avec moi, ah ! Mais j’ai tout compris leurs manigances, c’est plus subtil ! Alors, euh, je fais attention, de manière à ne pas les inquiéter, à ce qu’ils m’oublient. Je sais bien ce qu’ils recherchent, j’ai été comme eux, tu comprends ? (il commence à affabuler) Eh, ce qui nous différencie, c’est que, eux, on ne leur a rien dit, et à moi elle m’a interpellée, elle m’a mis dans un coin, elle m’a expliqué une partie des choses, oh ! Pas tout ! Peut pas tout avoir, tout comprendre, c’est pas possible ! Mais elle m’a montré quelque chose, ce que je te montre là, tu comprends ? (il remet la lumière)
Je comprends pas ! Ça a ni queue ni tête ce que tu me racontes, c’est quoi ce que tu me montres ? (Tu n’inventerais pas un peu, des mensonges, des affabulations ?)
Mais tu ne le vois pas ?
Je vois rien !
Éteint ! Dans le noir, tu verras mieux, je te le dis !
Mais c’est pas possible !
Si, regarde !
Je vois rien ?
Maintenant ! Il fait noir !…
(celui qui ne voit rien secoue de la tête à la négative)
Ah ! C’est parce que tu ne l’as pas aperçu, tu ne l’as pas vu, tu l’aurais vu, tu aurais compris une partie des choses…
Mais c’est un fantasme, une illusion, ce que tu vois ! Moi je vois rien… je vois autrement, je vois un brouillard, je vois… comme… un brouillard dans le noir, avec des petits points… lumineux, comme une poussière infinie…
Vas-y ! Vas-y !
Je vois des formes vagues qui se dessinent dans cette poussière infinie sur fond noir. Je vois des auréoles, je vois des paysages qui sans cesse bougent, je vois… oh, je ne sais plus ce que je vois… Eh, si j’insiste trop je m’y perds, je n’y suis pas habitué, à voir comme tu me dis ! Arrête !
(un long silence)
Alors, tu as vu ? Je ne te mens pas, c’est la vérité, hein ?
La vérité ? Quelle vérité ? Ce n’est que ce que l’on m’a montré, c’est pas autre chose !
Alors, si c’est pas la vérité, c’est quoi ?
Ce qu’elle m’a montré !
Mais c’est qui, elle ? Ah ah ah ! Je ne prononce pas son nom, j’ai trop peur !
C’est quoi ?
C’est la chose !
Quelque chose ?
Ben, la chose qui nous a inventées, quoi ! Fait pas plus… te rend pas plus idiot que tu n’es… Enfin ! Ce que tu as vu là, tout à l’heure, ça t’a fait drôle, c’est qu’elle te l’a montré à toi aussi, dans le noir, tu vois aussi, hein ! Ne mens pas… Même quand tu fermes les yeux, il fait encore plus noir et c’est pire qu’avant, des images en grand !
Mais de qui parles-tu, hein ? Moi, je comprends pas, je comprends plus… ça me dépasse, tout ça ! Dans quoi veux-tu me faire aller, dans ta folie, c’est ça ?
Mais non ! Mais non ! C’est que tu ne maîtrises pas la chose, c’est tout. Même moi je ne la maîtrise pas, mais je me laisse aller et ça vient, ça vient ! Tu as vu… tout à l’heure ! J’ai bien perçu que tu voyais comme moi ce que j’ai vu, même si elle ne te l’a pas donné elle-même, on t’a montré les mêmes choses, sauf, que tu interprètes différemment de moi !
Mais faut que j’y croie, à ça ? Si c’est la vérité !
Mais elle te demande pas de croire, ça sert à rien de croire, c’est dépassé, c’est d’un autre monde, d’un autre temps ! Il faut percevoir, c’est ça, la différence, percevoir ce que l’on voit dans le noir ! C’est pas compliqué !
Mais toi qui as encore un langage, qui entend encore, si je te perçais l’oreille qui te reste, tu n’entendrais plus ; tu ne pourrais plus rien dire que des borborygmes que tu ne pourrais plus contrôler, et tout ce que tu me dirais ne serait plus intelligible, je n’aurais plus à t’écouter, hein ! C’est ça que tu veux, si tu m’exaspères ?
Pourquoi veux-tu être méchant ? Moi, je t’ai montré seulement ce que l’on m’a montré, ce que « elle » m’a montré !
C’était qui, une femme ?
Oh ! Bien plus qu’une femme, enfin comprends-tu, c’est pire que ça !
C’est une déesse ?
Mais non, je te dis ! Faut pas croire ! Ce n’est pas une croyance, ce n’est pas un mythe, c’est pas dieu, c’est « pire » que ça ! Dieu, c’est de la rigolade à côté !
Alors, c’est quoi ?
Aaah ! Oh non ! J’ai trop peur, je ne veux pas citer son nom…
Tu as trop peur de citer son nom ? C’est qu’elle a un nom, la chose ?
Si je te citais son nom, j’y perdrais la vie, oui !
Pourquoi ?
Ben ! À force, je périrai, de crier son nom… Et je n’y arriverai même pas jusqu’au bout, de (à) le citer, son nom. Il est tellement long, tellement vaste, tellement incroyablement diversifié que je n’y arriverai pas, je suis trop petit. Si je commence, il faudrait que je finisse !
Eh bien, c’est pas ça que tu veux ?
Mais non, je veux vivre d’autres choses ! Son nom, je le déroulerais bien, mais… toi aussi tu périrais, de l’entendre trop ; nous ne vivrons pas assez longtemps pour l’entendre, ce nom-là, c’est pour ça que j’hésite !
Mais tu le sais par cœur ?
Mais non ! C’est elle qui me le déversera au-dedans de la tête, et moi je ne ferai que répéter ce qu’on y a mis au-dedans de ma tête, t’as pas compris, enfin, c’est simple ! C’est « très » simple ! C’est « trop » simple ! C’est pour ça que… on veut rendre les choses plus compliquées qu’elles ne l’sont, et… mais non ! mais non ! Les frontières ne sont pas là où l’on croit qu’elles sont, voilà tout ! Je ne comprends pas tout, oui, c’est vrai, mais pfft, je suis qu’une animation, une expérience dans… dans les choses de ce monde, qu’est-ce tu veux… je suis comme toi, aveugle dans le noir, et pourtant je vois, tu peux me le dire, pourquoi ? Eh, tu as fait cette expérience comme moi, sans le vouloir, tu n’y croyais pas au début… hein ! Avoue ?
C’est vrai, je me suis fait prendre par… une sensation…
Tu voudrais que ça revienne, tu veux réessayer de voir dans le noir ? C’est facile ! Il suffit de laisser-aller ton attention à ce que tu perçois ; peu importe le sens, y’a même plus de sens, enfin !
Ouais, mais c’est dément tout ça…
Tu sais qu’on a… une démence au creux de nous, qui nous dit ce que l’on doit faire, et tous ces mots-là que j’exprime, on me les dicte quelque part, et je sais pas quoi me les dicte. Je te parle, je te parle, mais si ça se trouve, on me fait croire que je te parle ! Eh ! Je parie même que pour toi, c’est la même chose !
Oh, moi ! Je… je ne m’imagine plus, tu sais… je laisse aller ! Je dirais pas que j’ai compris, mais… je laisse venir ! Ça vient, ça rentre, ça sort, ça fait ce que ça veut, hein, de toute façon, que je résiste ou pas, c’est du pareil au même. Il se passera la même chose, sauf que je le vivrai différemment ! Avant je vivais ça… difficilement, j’avais du mal à l’accepter…
À accepter quoi ?
Ben, la chose, celle qui me dit de mettre, celle qui me dit d’être, dont je peux pas prononcer son nom, il est tellement vaste que j’y périrai ! je te dis ! tu comprends ? Tu comprends, dis ? Dis-moi si tu comprends.
Je sais pas, cela me dépasse. On nous prendrait pour des fous si on racontait ça aux autres…
Mais ! C’est pas important… les autres, c’est pas important, puisqu’il s’agit de ce qui se passe en ce moment, là, à cet instant qui te vient, là !…
Et tu voudrais que j’invente tout un ci… cinéma ? Mais y aurait pas d’images, ce ne serait que du noir !… cinéma, il faut des images…
Elles sont déjà dans ta tête les images, y’en a pas besoin, d’un cinéma !
C’est vrai ! C’est pas faux ce que tu dis ? Alors on parle dans le noir comme ça, comme des aveugles… et tu voudrais que l’on arrête, parce que tu as peur de me citer son nom, à la chose, c’est ça, hein ?
Ah oui, c’est vrai que j’ai peur de commencer, je ne pourrais plus m’arrêter, c’est vrai, tu m’as bien compris…
Mais tu sais, tu peux quand même t’arrêter…
Mais non ! Je ne pourrais pas m’arrêter !… En fait, j’ai déjà commencé !
Ah bon ?
Oui ! J’ai commencé à écrire tout ce qui me venait depuis un certain temps, depuis des ans, des ans, des ans déjà, depuis longtemps ! Ah ! C’est venu au début, par bribes, par petits bouts ! C’était pas très intelligent au début !
Attends !
Qu’est-ce qu’il y a ?
Je veux vérifier quelque chose (il saisit la machine enregistreuse)… Ce que fait la machine…
Quelle machine ?
La machine enregistreuse, tourne-la vers moi…
Là, je la tourne vers toi, tu vois, elle enregistre tout ce qu’on dit !
Pourquoi tu ne me l’as pas dit ?
Mais, tu n’aurais pas exprimé les choses de la même manière, j’ai voulu te confronter à ce qu’il fallait voir, à ce qu’il fallait que tu voies, alors, tu as bien vu, l’effet n’a pas été le même !
Mais tu t’es interrompu tout à l’heure, tu me disais que tu as déjà commencé à citer son nom ?
Non ! Je n’ai pas cité son nom, j’ai commencé à l’écrire, à écrire le début de son nom, et je sais que quand j’aurai terminé je n’aurais pas tout dit, je n’aurais raconté que ce que le cycle de ma vie me permettra de raconter ; j’irai jusqu’au bout de ce qui sera possible de moi-même ; de raconter des histoires toujours les mêmes ! Je ne fais que redire les choses, sauf que les aspects… sont un peu différents à chaque fois, mais… ça se répète tout le temps, tu sais ! On peut pas… on peut pas changer les choses, on peut pas se changer ; ce que l’on est au fond de soi, c’est imprimé une bonne fois pour toutes, et l’expérience doit se produire jusqu’au bout, avec les mêmes morceaux qui furent assemblés, on peut pas les dissocier comme ça, puisque au bout on se désassemble pour reformer autre chose et que ça fait ça à tous ! Comprends-tu ce que je te dis ?
Je crois que… tu n’as pas tout à fait tort ! Sauf que la manière dont tu le dis n’est pas la mienne !
Mais bien sûr ! Tu prendrais un autre qui comprendrait la même chose que nous, il dirait encore différemment, ça change tout le temps, c’est jamais pareil ! Et pourtant on parle de la même chose, de la même information, de la même substance que l’on perçoit… Y’a pas de mots suffisants pour la décrire, la chose ! Puisqu’il faudrait à chaque fois toute une vie pour l’exprimer. Vous prendriez même toutes les vies du monde, qui ne ferait que ça, la réciter ! Que cela ne suffirait pas encore, et pourtant, je me demande bien si… on ne fait que…
Que quoi ?
Ah ! Eh bien, qu’on raconte tout de même, comme je le fais en ce moment !
Tu fais quoi ?
Ben ! Raconter la chose…
La chose ?
Oui ! Le truc qui fait que tu bouges, que tu t’animes…
Mais on n’est pas des pantins quand même !
Ah aah ! Tu y penses à ça, hein ? Je suis pas très sûr, moi non plus. Être un pantin… que l’on animerait comme ça pour voir comment ça fait ! C’est arriver à d’autres… Même nous, quand… tu te souviens, quand t’étais à l’école, qu’on te donnait une grenouille à disséquer pour apprendre les différentes parties du corps d’un être ; c’était pour voir comment ça fait quand on met (fais passer) un courant électrique dans un muscle et qu’il bouge ! On n’ose pas faire ça sur les êtres de notre espèce, on fait ça sur d’autres êtres, parce qu’on n’a pas leurs souffrances, on ne les entend pas crier, sauf !… Sauf si l’on t’arrête ! Et qu’on… qu’on veut te faire avouer ! Là, ça nous arrive ! Mais j’en suis certain (persuadé), certains ont tenté de découper des êtres, vivants ! Des êtres comme nous, vivants ! Tu te rends compte ?
C’est la chose, qui nous… nous donna cette idée ?
Ben, c’est l’expérience qui est faite, qu’il y a des êtres qui agissent comme ça, et on n’est pas tous faits de la même manière, on est tous différents, tu l’as bien compris…
Oh ! Je le vois bien qu’on est tous différents. Ça, c’est vrai ! Mais pfft ! Comment veux-tu ?… Là, tu me parles dans une sorte de dédoublement… tu l’as pas prévu ce qu’on est en train de dire là ?
Ah non ! Ça m’est venu comme ça, d’un seul coup !
Oui, c’est ça, le problème… Eh ! Tu crois que la machine enregistreuse va garder tout ce que l’on dit là ? Qu’il y aurait un stratagème qui dira : « non, ça, on doit pas garder, ça doit rester secret, ce que vous avez vu, personne ne le saura ! »
J’en sais rien, mon gars ! J’en sais rien, mais ça enregistre ! Qu’est-ce tu veux, après on verra… Demain !
Même dans le noir, ça enregistre ?
Ben oui !
Alors ?
Alors quoi ?
Ben, raconte ?
Raconte, quoi ?
Ben, la suite !
La suite de quoi ?
La suite de ce qui te vient au-dedans de la tête !
Aaah ! Ah ah ! Moi aussi je pourrais te poser la même question, tu pourrais pas me relayer un peu, que ça soit toujours moi qui raconte ?
Oh ! Je pourrais te relayer, mais pfft ! C’est toi qui as commencé alors fini, fini ! Moi, j’ai envie de dormir (il bâille) ! Faut pas que ça dure longtemps notre truc, là ! J’ai envie de dormir, moi ! Alors, vas-y, déblatère ton truc, eh, qu’on en finisse !
Oh ! J’ai plus rien à dire, ça vient plus !
Ça vient plus ? Tu veux que je t’amène un oiseau qui te raconte…
Ah, pfft ! Même… même l’oiseau n’aurait rien à me dire ; que de son chant… que je l’ennuie, il me le dira, l’oiseau… (long silence)
Tu vas me montrer ce que tu écris ?
Aaah ! Quand j’aurai fini !
Pourquoi ?
Parce que c’est écrit dedans, c’est dit dans le manuscrit, que tout sera montré à la fin, pas avant ! Il a dit que ce livre-là devra être vierge de tout regard !
C’est qui qu’a dit ça, d’abord ?
Celui qui me parle au-dedans de la tête !
La chose ?
C’est plus compliqué que ça !
Ah ben oui ! Alors là on comprend plus rien, mon gars, là, faut… faut t’expliquer, là ! Tu as commencé, il faut aller jusqu’au bout ! Je te dis pas de raconter la chose, je te dis de me raconter ce que tu viens de me dire plus précisément, que je comprenne un peu mieux ?
Aaah ! Eh bien, voilà ! Il est venu comme ça, un jour… et m’a demandé de raconter une histoire, d’être son nègre, d’écrire…
Il pouvait pas raconter, lui ?
Bah oui ! Il écrivait aussi un peu, mais… il avait pas que ça à faire ; il avait bien… des notes à droite à gauche, mais il voulait absolument me raconter avec sa voix !
Oui, et alors ?
Alors, il m’a raconté les premiers instants de son existence jusqu’à sa fin, à peu près… à peu près tout ce qu’il se souvenait…
Et ?
Et euh… voilà !
Tu le vois encore ?
Oooh ! Il est pratiquement parti, il n’est plus là, mais il m’a tout laissé, j’ai… J’ai… j’ai un tas de choses, euh, à transcrire… et j’ai fait toute une comédie… j’ai raconté, plutôt, toute une comédie, pour mettre en scène tout ça. Alors, j’ai fait un peu comme il m’a dit hein, j’ai pas compliqué… Mais, ce qu’il me parle, c’est qu’il me parle de la chose, et il me raconte ce que la chose lui a fait faire à lui aussi ! Tu vois, c’est comme… des boîtes qui s’emboîtent l’une dans l’autre. Toi, t’es une boîte, moi j’en suis une autre, puis on s’emboîte l’un dans l’autre, et on se déboîte ; il n’y a pas de dimension vraiment, mais à un moment ou un autre, ce qu’il y a dans une boîte, va dans l’autre et vice versa. C’est ce qu’on a fait un temps, je connais son début et je connais sa fin !
C’est qu’il est mort ?
Je ne peux pas te le dire s’il est mort ! Je connais l’histoire, ce que je dois en raconter. J’ai tout dans ma mémoire et j’ai tout, dans les manuscrits, dans tout ce qui est écrit (déjà), et quand on associe l’ensemble, on parlera de lui ! Mais le problème, c’est qu’il n’y a pas que lui ?
Ah bon ?
Oui ! Il y en a d’autres !
Que tu connais ?
Je ne les ai pas vus directement, mais… j’ai la trace de ce qu’ils m’ont laissé… Et c’est quoi, ce qu’ils t’ont laissé ?
Oh ! Des manuscrits, des écrits, des images, des… des sons, des pensées, des poésies, des nuances, toute une comédie…
Et alors ?
Et alors, eh bien voilà ! C’est ce que tu liras peut-être un jour, quand j’en aurai fini avec cette tâche !
Et on te paye pour ça ?
Oh oh ! Certainement pas !
Et tu vas signer de ton nom ?
Oooh ! Je ne signe pas de mon nom les choses qui ne sont pas de moi ! Je ne signe pas de mon nom, ce qui me traverse ! Mon nom serait bien trop court à l’écrire (décrire), ce qui me traverse, c’est ça le problème ! Et c’est ce que lui m’a dit, c’est pour ça qu’il n’a pas de nom !… Ah ! Je ne te l’avais pas dit ?
Non ! Tu ne me l’as pas dit, qu’il n’avait pas de nom… Maintenant, tu me l’as dit, je… je comprends à peu près ce que tu me racontes, mais, pourquoi veux-tu que ce livre soit vierge de tout regard ?
Ben, parce que, il trouvait ça beau !
Il trouvait ça beau ?
Oui ! Eh ! Pour que cette… cette expression soit belle, il faut qu’elle se réalise…
Ah ! Si tu dis çaaa… comme ça, on peut comprendre ! Il t’inspire donc ?
Ah ! Oooh ! Il fait plus que m’inspirer, il me raconte ce que je dois dire !
Et tu transformes, tu mets en page, tu…
Oui, j’essaye d’assembler, j’essaye de mettre les mots dans le bon ordre…
Eh ! La machine, là, qui enregistre, elle t’aide pas, encore ?
Oh ! Elle n’arrête pas de m’aider, la machine ! Ce n’est pas une mince affaire, cette histoire-là, elle est fort complexe… et j’attends à chaque fois le moment où les choses arrivent, elles n’arrivent pas dans un flux continu, tu sais, elles viennent peu à peu, à des moments précis ! Ce qui est embêtant, c’est que c’est toujours inattendu ! Comme, là, notre racontement là, il est inattendu aussi lui ! Il y a cinq minutes, avant que l’on cause, je ne savais pas que l’on allait dire tout ça. Maintenant, tu le sais !
Mais de l’histoire, tu ne peux pas m’en dire plus ?
Ah ! Je peux te dire tout autour, et l’histoire elle-même, elle est trop vaste, je ne saurais pas par quel bout la commencer.
Et tu ne parles pas de la chose ?
Ah ah ah ! Je te l’ai déjà dit, quand j’aurai fini, c’est que mon corps ne pourra plus supporter toute cette mélodie de mon racontement, il sera fini, lui, il ne pourra plus et je n’existerais plus, et, mes briques… qui me construisent, je les laisserai aux autres, à toi si tu peux en prendre un bout, mais il t’arrivera à peu près la même chose que moi. « On finit tous dans le même embarras », comme il me dit, celui qui n’a pas de nom, qui a voulu que je raconte toute cette comédie ! Oh, il m’a bien laissé des écrits, c’était pas très bon, assez mauvais, triste, plein de tourments ! Aaah ! Ces tourments, ils me tourmentent autant qu’ils l’ont tourmenté, c’est dire !
Tu m’intrigues, là ?
Ouais, bof ! Tu liras sûrement, tu liras, tu verras ! S’il n’y avait que ça ? À travers sa propre parole que j’ai laissée intacte souvent, moi j’y vois transparaître quelque chose, une part de la chose, qui s’incruste au-dedans de nous…
Mais ta chose, c’est la vie, quoi ?
Mais non, ta vie, c’est ta vie, c’est la tienne ! C’est plus que la vie… c’est au-delà !
Oui, mais l’au-delà, il y a Dieu, là ?
Non ! Tu n’as pas compris, ce que je veux dire, y’a pas de Dieu, il n’y a pas de choses de cet ordre-là. Dieu, ça n’existe pas dans cette perception-là… et ce que je perçois, de la chose, eh bien, en fait, c’est tout ce qu’elle me fait faire… et on y revient, je ne suis qu’un pantin ! Mon gars ! Comme toi ! Sauf que moi, ben c’est dans cette écriture, là, qu’elle m’anime ! Je ne suis plus bon qu’à ça !
À bon ?
Oui ! Je n’éprouve le besoin de ne faire que ça, le reste m’indiffère totalement !
Ah ! Je comprends que l’on puisse te prendre pour un fou, alors !
Voilà ! Tu as mis le doigt dessus !
Eh, tu caches ça, aux autres ?
Oh ! Ils se doutent, ils savent que j’ai quelques écritures en cours, ils ne se doutent pas de ce que ce sera exactement, il ne vaut mieux pas !
Pourquoi donc ? C’est dangereux ce que tu racontes ?
Je ne dirais pas que c’est dangereux… je dirais que je ne peux déflorer ce qui doit rester vierge, tu le comprends bien ? Tu sais, moi j’ai envie de dormir, je voudrais qu’on s’arrête là, il est tard ! En as-tu assez, tu peux me laisser maintenant ?
Je ne suis pas sûr d’arriver à dormir avec tout ce que tu m’as dit ! Le sais-tu ? Le comprends-tu d’abord ?
Je veux bien le percevoir ainsi, j’admets que c’est difficile, alors tu as raison, il vaut mieux que notre carcasse se repose un peu, puisque l’on fonctionne ainsi, on doit laisser reposer la mécanique, hein ! N’est-ce pas !
N’est-ce pas, oui, c’est ça !
Allons nous reposer alors, moi je suis fatigué, à plus tard !

(Non ! Aucun des protagonistes n’a bu ni fumé un pétard de quoi que ce soit. C’est venu d’un seul coup en une seule fois, sans aucune hésitation ! [la mémorisation de la machine enregistreuse le prouve]. Eh, rien que ce dernier fait pourrait sembler louche ? Si vous pensez cela, vous n’avez probablement pas tort ! C’est louche ! Revenons-y encore, ouvrons une autre boîte ! Je vois des bribes de mots assemblés au fond de chacune de ces boîtes-là ?)