(parole en marchant – 29 nov. 2019 à 16h10)

—> 2. « petit chemin » : l’inspiration s’en vient

Tiens, justement, quand ça vient, ça vient ! Il faut être disponible à ce moment-là. C’est (ce sont) des influx qui vous traversent et qui vous font émerger (d’où émerge) des idées, des songes, des conceptions, des histoires… manières de dire, une ironie, une phrase, tout un roman, quoi ; il faut être disponible à ce moment-là. Ça peut partir aussitôt que cela vient, sans prévenir ! Et puis, reprendre à n’importe quel instant. On appelle cela l’inspiration, c’est au-delà des mots, eh, on ne trouve que les mots pour l’exprimer la sensation, la perception ; on donne des équivalents (équivalences), des images, ce que le langage et l’information filtre, tel qu’il le transporte, lui permettent de définir, d’approcher sans véritablement le cerner absolument. Ça vient comme ça part, on n’y peut rien. Voyez, au moment même où j’eus cette idée, je me disais dix secondes auparavant, « pourvu que je n’aie rien à enregistrer (mémoriser avec la petite machine enregistreuse) dans ma balade d’aujourd’hui ? » Eh bien, non ! L’idée même de penser à cela me (m’a) fait résonner sur ce tracas-là, et il faut que je le mémorise dans la petite machine (enregistreuse), pour le régurgiter plus tard, le transmettre à travers des mots, des phrases, une écriture, une langue. Que cela devienne une information… que cela devienne une information à transmettre, en réserve ; une petite indication sur euh… la manière dont vous viennent les choses, un phénomène apparemment universel. Nous y sommes tous unis… nous y sommes tous « soumis » à celui-ci. Certains ont plus de chances que d’autres, y sont plus disposés que d’autres (la rumeur d’un avion dans le ciel s’ajoute à sa parole) ; la plupart (du temps), il vous vient des choses secondaires, banales, usuelles, et d’autres perçoivent toute une myriade de perceptions, car leur forme y est prédisposée à percevoir tout cela ; ils deviennent… une multitude de choses selon les cas, il n’y a pas de règle. C’est toute la fantaisie de la nature que vous y rencontrerez, dans la manière d’appréhender cette petite information, l’expression qui en résulte, dépasse même le langage propre. Cela peut exprimer un geste, une forme, une structure, une poésie quelconque, une danse, un mouvement, une invention… Tout ce dont nous avons déjà abordé, aux temps anciens et nouveaux, n’est que l’expression de cette information qui nous vient, et qui se concrétise d’une manière ou d’une autre sans que l’on puisse y faire quelque chose ; c’est du goutte-à-goutte et parfois la goutte est énorme, parfois elle est riquiqui, mais elle se déverse avec parcimonies toutefois, nous le constatons. Il n’y a pas de règle. Paf ! Vous recevez un coup sur la tête ; et d’un seul coup, vous viennent des choses innombrables, qui vous débloquent la caboche, vous devenez soudain criminel, savant, poète, médecin ou criminel (sentinelle). On secoue un peu plus et il en sort autre chose. Mais attention, ne secouez pas trop, la forme est fragile, elle s’use vite, elle a ses propres limites, celles d’une raison incertaine. Faites attention tout de même à ne pas trop les perturber, ceux-là (que le coup du sort leur a inspiré toutes sortes de dictatures), ils le sont déjà assez ; quand on voit ce qu’ils font, dans quel stratagème ils se prélassent : leurs guéguerres incessantes, leurs rivalités de tous ordres, la bêtise en haut du front marquée comme une effigie, une marque distinctive de reconnaissance, « plus con que moi, tu meurs (tumeur) ! » Eh, c’est bien ce qu’il se passe. Vous trouverez toujours plus idiot que vous-même ; ne cherchez pas à concurrencer quiconque, il y aura toujours un abruti de plus pour vous surpasser, la barbarie n’est plus à inventer. On devrait plutôt la transgresser, la dépasser, se dire « d’accord, on a vu, on a compris, passons à autre chose ; Essayons d’une autre manière, apprenons à nous supporter, enfin, si l’on n’arrive pas à nous aimer (réciproquement), c’est trop demandé ? »
Voilà… Pourquoi une idée me dit, « allume donc la petite machine enregistreuse, tu vas déblatérer des choses, des propos, dont tu ignores la provenance et dont tu ignores jusqu’au dernier terme que tu prononceras… » Cela te vient goutte à goutte, par bribes successives, toutes espacées par des silences, le silence d’une marche (avancée) solitaire et régulière, la marche… On avance, on ne se pose pas de questions et ça vient, de toute façon. Quoi que vous fassiez, ça vous traverse l’esprit et aussitôt cela part, il y a sûrement une informe… (il bute sur les mots) une continuite… il y a forcément, il y a probablement une correspondance avec les lieux que vous traversez, « une accointance » comme on dit par ici, une inspiration sourde, non perçue d’abord, eh, qui vous apporte quelques propos insinués de-ci de-là, à chaque fois que vous passez là ! (il arrête sa marche) Il faudrait vérifier, il est fort probable que des propos analogues soient régurgités (il reprend sa marche), ayant tous en commun une même inspiration venue des formes aux alentours, ces êtres longilignes que l’on appelle les arbres, à moins que ce soient les oiseaux ou les êtres au creux de la terre, les influences telluriques du sol, le rayonnement du soleil, le passage du vent, la situation géographique exacte, l’influence d’une comète quand elle s’écrasa là où vous marchez actuellement ; il y a très longtemps, elle a laissé des traces, elle a laissé une information qui transparaît, dont vous ignorez tout (la rumeur d’un avion, haut dans le ciel, s’incruste peu à peu) ; un rayonnement d’un minéral quelconque, qui vous traverse là où vous passez, et qui, à chaque fois, vous influe quelques informations diffuses qui transforment votre parole, votre mémoire, eh, s’y ajoutent des choses incertaines (version : un rayonnement d’un minéral quelconque vous traverse, là où vous passez, et à chaque fois, vous inocule quelques informations diffuses, transforme votre parole, votre mémoire ; s’y ajoutent des choses incertaines)… Partout où vous avancez (l’oiseau lui dit « tuu ! »), il y a l’influence du lieu que vous traversez (l’oiseau répète « tiuu ! »), c’est certain. Je ne vois pas comment cela se pourrait autrement. L’oiseau qui passa à côté de moi me dit « tuu ! tiuu ! Est-ce la fin de ta parole, aujourd’hui, dois-tu te taire ? » Je ne sais rien… je n’en sais rien, mais je vais l’écouter, l’oiseau ! Eh, effectivement, je vais me taire…

(parole en marchant – 29 nov. 2019 à 16h26) [S] (??)

—> 2. « petit chemin » : ces arbres en souffrance

De l’abattage des arbres que je vois ici.
Imaginez une parcelle où l’on abat les derniers arbres tenant debout. Certains ne sont pas encore coupés totalement, on a préparé le bas de leur fut en rognant les parties gênantes pour le cisaillement (final) ; c’est comme si l’on prenait un condamné à mort, une forme de chez nous, à deux pattes, et qu’on l’enchaîne, on élague ses bras avant que l’on coupe la tête. Eux, leur tête, aux arbres, elle est à l’envers de nous, ce sont leurs racines. Alors on laisse (on les laisse avec) ces cisaillements comme ça, des jours entiers, parce qu’on est affairée à d’autres tâches plus urgentes. Ils sont en rémission, ils attendent qu’on les abatte la plaie ouverte de chaque côté du tronc… Il y en a plusieurs que je vois, un, deux, trois, quatre… Alors il fait froid, ils souffrent évidemment, mais, on n’entend pas leurs cris…

(il s’arrête de marcher)
… on pourrait mesurer les vibrations, les impulsions des fluides (à travers une mesure) électriques ; au-dedans d’eux, vous verrez (verriez) qu’ils souffrent, (vous remarqueriez) la vibration des branches et des feuilles, ils ont peur, ils attendent la fin, ils sont condamnés à mort ! Alors ils vont attendre là (comme ça), ça fait presque un mois qu’ils sont comme ça, ceux-là, les trois que je vois, là…

(il reprend sa marche)
Ils tremblent, ils attendent qu’on les abatte (enfin, qu’on en finisse avec cette attente infernale, mais), on les ignore ! Ce ne sont pas des êtres vivants pour les bûcherons…

(il s’arrête de nouveau),
insensibilisés qu’ils sont à pareil découpement ? C’est comme un abattoir (il fait quelques pas), il faut être décervelé pour accomplir ce genre de tâches, pour ne pas souffrir avec les… avec les bêtes que l’on abat. Oublier la souffrance des autres !

à 2’32, remarquables harmoniques dans cette respiration asthmatique

(et il reprend sa marche)
Oh ! Cela n’inquiète personne, aucun tracas, aucun respect, aucune prévenance ! Et vous vous étonnez que l’on dévaste tout, que l’on casse tout, que l’on perturbe trop les choses ? Dans cette manière d’abattre des êtres où aucun rituel ne s’établit (apportant une forme de respect, une présence d’esprit, un pardon et un merci)… Les chenilles des grosses machines, découpeuses, élagueuses, débardeuses…

(il marche dans la boue, monte progressivement la rumeur d’un avion passant au loin, dans le ciel)

à 3’53, un oiseau piaille, rouspète aussi, « c’est inadmissible, ici ! » dit-il, pendant que l’homme prononce le mot « gras » ; le sonagramme du chant de l’oiseau ressemble à cette agrafe, un trombone désarticulé, pour que l’on s’y attache et parfois le signe d’un bémol en musique, empreinte typique du chant de la Sittelle torchepot

… la trace de leurs chenilles sur le (ce) sol gras (un oiseau piaille, rouspète aussi, « c’est inadmissible ici ! »), après les pluies.
Voilà, ils arrêtent (les coupes) parce qu’il pleuvait trop…

à 4’03, les virgules élégantes de l’oiseau, chapeau !, la sifflante verticale du mot « sol », le bruit pénible de l’avion rabaissé au sol, à l’horizontale…

… le sol est trop boueux ; alors, on laisse là des arbres que l’on avait commencé à abattre, on attend, on s’en fout !

(la rumeur de l’avion s’offre comme un cérémoniel de l’horreur, un invisible cérémoniel macabre, que seule la forêt semble percevoir ?)
Alors qu’il eût suffi d’accomplir le travail d’une autre manière pour abréger leurs souffrances, mais non ! C’est comme une torture, le condamné attend là, élagué, sans bras, sanguinolent… Pour lui, l’arbre, c’est sa sève qui s’amoindrit… sa peau (son écorce amoindrie), son aubier exposé aux quatre vents puisqu’il y a plus d’écorce pour la protéger. Peu à peu s’infiltrent… tous les êtres microscopiques, champignons, bactéries pouvant l’assaillir, hâter sa mort…

(il reprend sa marche)
… peu à peu… Ah ! Le temps des arbres n’est pas le nôtre, cela peut durer des mois, des années, pour mourir. Ils prennent le temps, eux ! Et l’on ne sait même pas si leurs racines meurent véritablement, leur mode végétatif n’est pas identique au nôtre. Nous, qui ne cessons… qui ne cessons de bouger, eux, ils restent sur place. Eh, ce n’est pas pour autant que leur existence n’a pas d’âme (ou soit) dépourvue de sensiblerie, nous n’en savons que très peu sur ces vivants-là ?

Mais plus nous abordons le sujet, plus nous voyons bien qu’il y a des ressemblances, des émotivités similaires aux nôtres, mais qui s’expriment d’une autre manière. J’ai honte pour ceux qui les abattent, ces arbres-là. Quelle drôle de manière ? Quelle drôle de pratique ils ont ? C’est le dernier métier que je souhaiterais faire, bûcherons !

(parole en marchant – 29 nov. 2019 à 16h35) [S] (??)

—> 2. « petit chemin » : rituels de la mort

On le voit bien, quand aucun rituel n’est établi, dans les cérémoniels d’un enterrement, après un décès d’un conjoint ou d’un proche. Si le mode ici, des enterrements au cimetière, est à peu près établi avec une religiosité à l’église ou non, le cérémoniel est à peu près convenu. On peut s’étonner que par ici, où la crémation n’est pas forcément la plus grande habitude, le cérémoniel n’est pas défini complètement, on ne sait (saura) quoi faire ? Les croque-morts ont bien les formes d’usage (des rituels en usage), ils sont… ils y sont habitués, mais (vous) quand vous n’y êtes pas habitué vous-même, vous vous trouvez un peu dépourvu. La crémation n’est pas quelque chose d’ordinaire, ici ; on ne sait (saura) quoi faire, quel rite employer ? Ah ! Ceux qui usent d’une religiosité, tout est établi depuis des siècles, on suit le processus avec l’homme d’Église astreint à cette tâche. Il sait quoi faire… utiliser les bons termes pour apaiser !

Mais, quand l’enterrement est civil, on se trouve un peu dépourvu, il faut inventer ! Ce n’est pas quelque chose auquel on peut s’habituer, nous n’enterrons pas nos proches à tour de bras, nous ne sommes pas en guerre, aujourd’hui ; cela est (reste) quelque chose de rare. La plupart d’entre nous n’enterrent bien moins de dix personnes dans toute sa vie (version : La plupart d’entre nous s’occupent de l’enterrement de bien moins de dix personnes dans toute sa vie). Quelques-uns, des proches, des parents, des frères, des sœurs, cousins, les oncles, les tantes, guère plus…

à 3’29, au début du sonagramme, la prononciation des mots « un ami » dessine fortuitement comme un oiseau s’élevant dans le ciel (il est représenté dans une sorte de nuage harmonique entre 7,2 kHz et 12,7 kHz, les phonèmes correspondants sont ajoutés) ; la résonnance de la forêt exprimait, ce jour-là, un écho propice au symbole ; oh, les hommes raffolent des signes, attention au mythe  ; en dehors du lieu, la même expression prononcée ne renvoie pas ces harmoniques sonores !

zoom : l’écoute de la sonorité filtrée correspondant à l’image de l’oiseau, ressemble à une résonnance parasite des cordes vocales, une humeur dans l’air…

un ami peut-être, de loin, on suit le cérémoniel.

(au loin, un Geai cri d’une humeur nonchalante)
Il ne faut pas rire des peuples qui usent de ces rituels, où par exemple, l’on déterre les morts comme une fête et qu’on les retourne, change leurs embaumements (vêtements mortuaires)

(l’oiseau ajoute « tchii ! », et l’homme, sans s’en apercevoir, réalise une traduction simultanée de ce qu’il dit, l’oiseau joli !)
… (puis) qu’on les remette en terre
(« tchii ! »)
Cela est vécu d’une manière organisée, qui tranquillise les esprits…
(« tchii ! tchii ! »)

C’est comme (analogue à) une religiosité, ce rituel est fait (établi) pour cela, pour le souvenir et pour…
(« tchii ! » encore)
… enlever la peine, y ajouter une joie, de retrouver l’ancêtre…
(piaillements brefs de l’oiseaux « ti ti ti ! »)

(de 4’46 à 5’28, pendant la marche, sur les mots des phrases ci-après, les « tititi ! » très aigus [autour de 7 à 8 kHz] de l’oiseau moqueur (??))

… et de raconter aux petits enfants tout un tas d’histoires au sujet de celui-là
(« ti ti ti ! »),
pour la mémoire, pour l’information laissée
(« ti ti ti ! »).
Tout le symbole de ces ossements…

(zoom de 5’11 à 5’19, le chant (??) entre les mots)

(« ti ti ti ! »)
… représente cela…
(« ti ti ti ! »).

Quand on brûle quelqu’un…
(« ti ti ti ! » ; l’oiseau en a fini avec lui, et laisse à l’homme la charge de terminer cette oraison funèbre, trouvera-t-il les mots ?),
… il ne reste plus rien, sinon de la poussière, des cendres… Et le souvenir ne reste que dans nos têtes ; les cendres sont si diffuses, on peut les étaler partout où l’on va, nous n’en verrons plus rien, à moins qu’on les garde dans une urne funéraire ; mais, elles y resteront qu’un temps, un jour ou l’autre, quand toutes les descendances successives auront passé, cette urne, un jour, sera jetée, sera cassée (sera oubliée) parce que le temps aura fait son usage. Il se sera passé peut-être mille ans, deux mille ans, dix mille ans, cent mille ans, le temps aura fait son usage. Ce n’est pas un rituel, celui (cet écoulement) du temps, c’est la condition auquel nous sommes soumis, auquel (à laquelle) nous sommes… nous subis… que nous subissons, nous y sommes subis… soumis ! Nous y sommes soumis ! Voilà, je bute sur les mots, sur les mots de la fin !

Sonagrammes audiométriques :