(texte manuscrit – vers les années 1983 à 90, datation incertaine)

—> 1. « İl », prolegomena, studium : 27. [L] dévoilement de sa littérature, histoires interdites
—> à la place de son roman sans cesse médité ?
—> ne prendre que quelques extraits, le reste dans les ajoutements ?

Le scribe a trouvé dans une même chemise ce récit étrange de « il » ; après moult tergiversations il décide d’enlever le précédent et de mettre celui-là à la place, il y voit une mutation en cours, un mûrissement, malgré les terribles propos abordés, on comprend alors le titre.

ou

« J’ai trouvé dans une même chemise ce récit étrange de “lui” ; après moult tergiversations, j’ai décidé d’enlever le précédent texte trop déprimant et de mettre celui-là à la place, il est plus ancien et j’y vois une mutation en cours, un apprentissage, un mûrissement, malgré les terribles propos abordés, on comprend alors le titre. »

histoires interdites

La vie vous jette des flashes
comme ça, soudain,
l’air de rien
quand tout va bien ou tout va mal,
des flashes, moment bref de toutes sortes
et qui nous entourent
un clin d’œil, une oreille qui tombe,
une histoire entendue lointaine
et bizarre, un regard, une cuisse
de poulet ou de femme…
des éclairs me viennent et partent
j’en témoigne comme je peux
d’une façon décousue peut-être
mais de toutes les sortes de vies
et de ce qui s’appelle vivre,
une chose certaine se dégage : le désordre
j’en témoigne comme je peux
l’ordre, la loi, le serment, la prière,
ont l’allure figée des statuts qui se dégradent
elles sont mortes, et moi je vis !

HISTOIRES INTERDITES par la morale publique la morale de chacun la police l’armée l’état, les bonnes mœurs les braves gens les philanthropes les hommes de bien les chrétiens (les croyants) les chiens toutes les cours de justice les dictateurs et les présidents les braves types les alcooliques, les médecins, les savants, le philosophe, le prof, les amis, les parents la famille, même un esclave une larve un mourant ni la plus sainte des femmes la plus tendre compagne le roi fou et le fou du village, tous, un, chacun, la multitude n’ont rien dit ne disent rien sur cela même – aucun doute là-dessus – l’humain se croit le maître de « sa » planète la terre, la mère de chacun – je pose un très gros doute là-dessus, sur cette affirmation – je ne vois que des bouffons, des pustules, des scories nerveuses pleines de vie, des chiures, des vermines – la vérité crue – montre ce que nous sommes. Je ne ferai aucun commentaire supplémentaire là-dessus…

HISTOIRES INTERDITES
Horreurs et beauté nuage en sang, des corps jouisseurs l’amour et la haine, la force des choses les plus intenses, la déraison et la force des plus puissants, tourments peines et joies limite horizon, deuils et fêtes la pensée ne m’offre aucune limite
je n’ai que ce que je mérite.
La pensée apporte une foule de réponses
et des imaginations de toutes sortes…
nous ne sommes pas toujours fidèles à nos pensées,
mais parfois nous y sommes
parfois si obéissants sans aucune borne ni limite…
Les fous les dictateurs les artistes ont atteint parfois ces limites
malgré tout dans toutes ces histoires, témoin de ma pensée,
je n’ai trouvé que des histoires d’humains,
je n’ai (par conséquent) aucun mérite…

HISTOIRES INTERDITES
Ce n’est qu’un regard
mon regard lucide
ma lucidité
ma pensée déversée sans complaisance
pourquoi donc faire tout cela ?
Faut-il être humain vraiment
pour dire tout cela ?

L’horreur le charme la beauté la haine le sublime la jouissance le crime l’amour, appartiennent aux humains, leurs sens n’osent guère voir plus loin…
mon discours ignore les vérités qu’énoncent les sciences les preuves d’hommes les règles les théorèmes les lois.
Mon discours crie et pète de joie, rage, délire s’enfuit à la façon des hommes,
mon sang est des leurs et
j’en suis un d’homme, alors.

Mais comment donc dire tout cela :
– avec un langage académique net et bref, sans vie mais bien construit,
– prendre l’usage de la mode dans un style qui se vend bien,
– utiliser l’ironie, la dérision, l’humour, ne pas se prendre au sérieux, rire, pousser des ouafs à n’en plus finir,
– être triste, profondément dramatique, bref s’ennuyer dans les larmes
– enfin dans tout cela rechercher une image de marque, un ton – quoi de plus naturel – en somme.

Longtemps j’ai hésité à poursuivre un pareil écrit – mais chaque fois de jour en jour – par la force de l’esprit je me forçais à poursuivre mes histoires. Souvent le doute atteint l’esprit, le torture, le remue, l’assaille. J’ai résisté longtemps et n’ai pas cédé.
Pensez donc ! Le doute vous exprime que vos écrits n’intéresseront pas les éditeurs – alors à quoi bon les écrire – et puis de toute façon cela va ennuyer les gens. L’homme ne porte aucune critique sur ce genre de questions, votre sujet, ou votre avis, est en dehors des vraies questions du siècle, et ainsi les discours du doute deviennent savants, poussant l’audace jusqu’aux moqueries, et votre médiocrité – le discours ne devait pas aller plus loin – il fallait frapper le doute. Anéantir ce poison de l’esprit et le rabaisser à son juste rôle.

Il n’est que l’instrument de la conscience.
Il est l’instrument très critique de la conscience.
Il est l’instrument fort critiquable de la conscience.
Il est l’instrument nauséabond et destructeur des esprits instables…

De ma parole, je veux lui donner plusieurs langages très différents. Je ne cherche aucun style, aucun modèle précis – j’exploite seulement des idées et des récits, à ma manière sans honte et sans méprise – voilà, tout est dit !
La rime appuyant les « i », difficile de perdre certaines habitudes, enfin. Il me faut parler en homme, à mes semblables. Je vais bouffer de quelques styles, leur dire… selon un mode propre aux écrivains. Je les copie un peu – seulement – pour être lisible, simplement.

Vous savez, je pourrais falsifier le titre. Ces histoires m’importent peu, seul le titre m’a plu et inspiré tout le reste. Je pourrais fabriquer, monter une sorte de fumisterie où tout le monde se fera avoir, bêtement et très en colère, les gens crieront à l’escroquerie – cela me plaît – mais cela se fait (déjà), c’est embêtant. Je pourrais ne parler que de moi, ce qui ne me déplairait pas – mais j’ai des secrets – que je ne souhaite guère dévoiler. Je pourrais me vanter d’être un génie ou faire le contraire, me considérer plus larve que la dernière des larves humaines.
Je voudrais être un dictateur immonde et pouvoir faire souffrir qui je veux – tuer selon mes bons plaisirs, violer toutes les filles que je choisirais – créer des désastres dans toutes les familles – envoyer leurs enfants, mâles et femelles, à la guerre – une guerre fantastique où je pourrais user de tous mes fantasmes en toute tranquillité – une sorte de gros jouisseur, quoi !
L’esprit me permet de mentir et d’inventer tout un stratagème qui ne viendrait que de moi et connu de moi seul.
Je pourrais à volonté être horrible, vulgaire, tendre et bête – et tellement mélangé les sens qu’il deviendrait inutile de les discerner – à créer le marasme dans les esprits. Pourrait-on lire de pareils écrits ?

La vie de cette manière est un rêve très clair dans mon être et l’idée de devenir ainsi créé en moi, une certaine jouissance. La vie m’a faite mâle, au sexe très particulier, en forme de crochet – capable de soulever ou d’attraper tous les jupons alentours avec une facilité sans égale – l’esprit laissé libre ainsi à tous les désirs sans ordre ni morale, voilà qui peut inquiéter. J’appelle cela « parler et agir librement » sans honte ni gêne.
Les sexes sont des organes reproducteurs, les dents, des organes mâcheurs et la main un ustensile aux usages multiples, ils sont assez indispensables aujourd’hui, je puis le certifier en toute sincérité.

Il faudrait des pages entières pour raconter l’histoire d’homme. Des pages entières et très nombreuses pour raconter l’histoire de l’homme le plus savant autant pour l’homme qui naîtra demain et pour les êtres de plus tard, tout aussi longue celle des hommes les plus forts, des peuples les plus courageux, les histoires qui de siècle en siècle ont bâti nos cités et nos mythes, des milliers de mots il faudrait pour raconter tout cela – mais ces histoires nous les connaissons bien tous, pour la plupart et nous connaissons bien plus leur fin et la gloire des personnages qu’elle comporte (racontes) ou de leur déclin – toutes ces histoires nous les savons, pour en avoir vécu une partie, une infime partie à un moment de notre vie.

Je dirais : ces histoires-là ne m’intéressent pas, elles sont trop connues – ni même les contes et les légendes qui en sont inspirées – mêlées d’invraisemblances et de la vanité des hommes qui les représentent, même si jadis enfant, j’en fus émerveillé, comme le sont bien des enfants. Je ne parlerai donc pas des souffrances qui se cachent derrière ces histoires, qui ne sont pas des légendes, même si parfois, on les accommode d’un genre si proche. Alors beaucoup d’entre nous confondent.
Je ne citerai pas d’exemple, ce serait trop facile, et notre mémoire, il n’est pas besoin de l’aider, l’actualité contemporaine de nos jours se confond avec les jours anciens, seuls les paysages changent, rien n’est plus fidèle à l’homme, sa vanité et son orgueil de la gloire – de tout cela j’en ai mémoire et j’en suis empreint comme un chacun – le monde est dans mon histoire et mon histoire n’est pas un coup monté contre l’humanité – Non ! messieurs.

(fin du récit dans 1. « İl », prolegomena, studium : 27. [L] dévoilement de sa littérature, histoires interdites)

Les psys choses de toutes sortes (se trompent), je ne suis pas un persécuté ni un paranoïaque, ne vous agitez donc pas comme cela, vous ne savez rien. Je suis libre penseur comme le fut certainement Lautréamont (l’autre, au siècle en amont, écrivain d’un livre de chants), mon style est si proche de lui parfois – ces gens-là – de cette trempe – me plaisent. Ils sont tellement véritables dans leur folie, véritablement eux-mêmes, des témoins de l’histoire, la leur, est celle qui parle d’eux ou dont eux parlent, c’est pareil.

Sans doute, mes pages en eurent été pesantes, s’il m’était avisé d’user du style de l’écrivain moderne qui se vend bien dans toutes les librairies. Inutile, je ne cherche aucune complaisance, le mode littéraire importe peu, là n’est pas mon propos. Il suffit uniquement d’user d’un langage aux mots compréhensibles – je sais – je nargue votre complaisance, vous vous demandez : mais où veut-il en venir – son mystère – vaut-il la peine d’être ainsi présenté, avec autant de prudence.

Enfin, bref, le rêve est innommable, tant est brève son histoire – ainsi, donc la couleur qui domine ne sera pas le rouge ni une couleur terrestre d’ailleurs – mais enfin le rêve, d’où vient-il, il n’a pas d’appartenance ? Il prouve bien mon incapacité à raconter les histoires mais l’extrême facilité que j’ai à les vivre. L’idéal du rêve serait de le répandre nu sur un écran ou dans l’espace, comme un songe, au-dessus de la tête – irréel et pourtant bien là – le rêve mis en images ne se raconte pas, ce n’est pas une histoire, car enfin les histoires m’embêtent, elles ont un début un contenu puis une fin ou une morale, c’est toujours pareil et cela me lasse. Le rêve, lui, n’est pas parfait de la sorte – il n’a point de début et s’achève spontanément, d’une façon inattendue. Le rêve seul mérite de rivaliser avec la mémoire et les histoires puisqu’il en est le principal inspirateur c’est la source à tous nos mots, nos idées et notre réalité vécue chaque jour pleinement, irrémédiablement – le rêve, oui, ma source véritable – le délire certain.
Car enfin le délire de la folie, me semble-t-il, a toutes les apparences d’un rêve éveillé tout aussi changeant, imprévisible et surprenant. Les fous, ceux qui sont malades sont de véritables comédiens, le dérèglement apparent de leur cervelle – leur donne une vision en dehors de la chose commune, en dehors des sociétés où les gens se croient normaux alors qu’ils sont atteints d’une autre folie, celle de ce siècle, celle qui se vit couramment et qui est communément admise.
Le fou, la folie, le rêve, expriment les mêmes choses dans un grand bazar général, cela se pense, cela se peut, cela doit être vrai, ma vérité mon subconscient ma folle raison.
Incapable de dire une histoire inventée de toutes pièces, voilà donc mon ennui, et mon refus. Le sort des idées que je projette est nécessairement porté en dehors du commun, de l’admis, comme je refuse d’aimer, de la façon admise par tous, à peu près. Je puis le dire, je suis un de ces fous qui essaye de se comporter normalement, afin d’être admis, parce qu’aussi, je suis un timide – aux idées entrechoquées, sous des apparences frelatées – je donne une allure gauche et maladroite qui cache effectivement la clarté même de mon personnage.
De tout cela, les apparences que l’on se donne chacun sont une sorte de volonté de suivre les idées communément admises, enfin d’être compris et de pouvoir bénéficier des biens que nous offre ce siècle.
La conscience est personnelle, elle ne s’échange pas, elle est une morale qui dépasse toutes les morales sociales, quand elle est pleine et réaliste – un véritable regard sur le monde – et un sens critique qui ne prend pas parti ni n’admet d’idées figées politiques ou autres.
Cette conscience me torture et me condamne à me juger et me guide nécessairement vers des conclusions que la vie dessine très clairement. L’expérience de vivre affine, certes, subtilement la conscience d’un autour de soi et de soi-même ensuite. Elle me rend nécessairement conscient de ce que sont les autres vivants dans toute leur vérité ou véritable identité qui s’affiche en partie à travers leurs actes.
Le fait est là – les histoires m’emmerdent, je le dis bien haut – rêver d’amour, c’est déjà rêvé d’une histoire, un idéal figé et faux. La spontanéité de la vie, l’improvisation semble me satisfaire pleinement dans tous mes actes. Ce que je perçois avec ce qu’il y a de sexuel, les vices, les humeurs, les sentiments sont autant de conscience à se sentir un être humain parmi une multitude d’autre semblable – sans pour autant vouloir leur ressembler – certes, la vie oblige à admettre certaines choses, vous devrez faire bien des concessions. L’essentiel resterait bien de conserver une mémoire à sa propre conscience si elle n’emprunte ni ne joue à l’hypocrite, reste franche ou sienne.
Mon langage n’aboutit peut-être à rien cela se peut, mais cela n’a pas d’importance – du moment que mon dire reste vrai ou de moi, cela me suffit – comprenne qui veut ou peut !
Une chose est certaine – mes rêves m’assaillent, mes idées, mon imagination trop présente, reste très forte – elle casse beaucoup de choses et force en la circonstance qu’il faille ressentir plus qu’il ne faille dire.
L’idéal serait de trouver le langage nécessaire à sa compréhension, afin de permettre un plus profond ressentir, qu’il agisse sur tous les sens du corps.
Le mieux en fait, serait de connecter directement la cervelle à un projecteur d’images et de sensations. Ce projecteur peut-il être technique, électronique, métaphysique, biologique, chimique, je n’en sais rien ?
Depuis des années je ne cesse de chercher ce système de communication ou d’expression. Je sens que peu à peu s’élève en moi une technique, un savoir, j’attends le déclic, j’attends de vivre pleinement ma folie, tranquillement – sans gêne et sans risquer d’être enfermé dans un asile parce que des savants, médecins du psy ne m’auront guère compris – la seule solution pour eux serait la mise à l’écart de la société. Le danger de cette déraison, certes, apeure beaucoup de gens responsables – seule la folie commune et sociale reste admise – en sortir, vous met en péril. Il convient alors de vivre seul, éloigné, exilé, pouvant faire les bruits les plus incompréhensibles de l’imagination – vivre pleinement sa folie – demeure un bien grand risque. Certes ceux qui ont beaucoup d’argent peuvent se permettre ce luxe fou, la pauvreté n’a pas le même prestige auprès de tous – la folie sociale donc, appelons-la ainsi, me dégoûte – tant elle dit merci à ceux qui la gouvernent avec des lois et des règles demandant le respect commun – il en est fait trop d’abus.
Bref, je puis finir l’idée, il (elle) ne sera point énoncé ni décrite ici d’histoire ni de témoignage. Je reste dans l’infâme délire philosophique qui peut ennuyer plus d’un, beaucoup de mes semblables. Je ne cherche pas de toute façon, l’approbation générale – cela ne se peut pas – évidemment. Les délires n’ont ni phrases très bien construites ni grande précision, la poésie peut ressembler à ça, mais elle me semble encore trop ordonnée – mieux vaut s’en échapper ou s’en écarter.