(texte manuscrit – du 15 au 20 mai 2020)
—> ajoutements, tragicomédies, livre des préalables, tentons de raconter une histoire…
Que dites-vous ?
Moi ? Rien !
Ah ! Tant mieux.
Si peu de mots, votre inspiration ne vient plus ?
Oui !
C’est bref !
Exact… mais on avait beau faire, quoi qu’on fasse, quoi qu’on dise, il y aura toujours quelqu’un pour médire, récupérer à leur petit profit insalubre une idée ou deux, installer un mythe, une croyance ? On a beau tenter de verrouiller, empêcher toutes ces éventualités, elles seront toujours battues en brèche par des obstinés. Vous n’y pouvez rien faire, c’est dans la nature humaine ce genre de délire.
Tentons de raconter l’histoire, toujours la même, mais de différentes manières, et pour cela, il fallait un préalable, une introduction « magique », une entrée en matière qui avancerait tous les arguments du récit (comme une offrande à pourlécher). Ce fut une longue recherche tout au long des ans à sans cesse recommencer un racontement sans savoir à chaque fois où l’on allait ! Ce racontement incessant au fil des ans, varier sur l’ouvrage, sans cesse, ne suffisait plus, il manquait quelque chose d’inconnu ? Quelle était cette façon dont je n’avais pas le nom ? Varier ne suffisait donc plus ? Quels traits manquait-il à mes registres ?
Une manière à vivre particulière allait apporter l’élément manquant. Il fallait y penser, c’était une idée à exploiter (version : Suffisait d’y penser, c’était une idée à exploiter). Elle disait en gros « cesse donc de te goinfrer de ces mets insalubres ! » Devait-on mourir de faim ? Mais non, se nourrir autrement, insuffler l’air du moment autrement, voilà tout !
« Nourris-toi de l’essentiel, évite le superflu ! »
Voilà ! « Trouver l’étincelle qui amènerait le reste », pensa-t-on. Mais ce n’est pas une étincelle qui est venue, c’est le ton austère d’une vie déconvenue, une vie d’ascète, un détachement, un recul, pour apprécier le paysage et en comprendre tous les rouages.
Manger peu ou presque rien, apprécier une pauvreté, un minimum matériel, de n’être le maître de rien ou de quiconque. Ne faire aucun vœu de quoi que ce soit ni d’une religiosité (d’une propagande, d’un complot, d’une manigance colportée sur les réseaux webeux par exemple). Goûté à ce rien imperceptible, infime, offert non pas comme un cadeau, un salut, mais comme l’opportunité d’explorer une différence de celles accoutumées naguère et dont on croit ne pouvoir s’en défaire.
Cela semble obscur au premier abord, une lecture plus assidue (énervante, écervelée, écervelante) apportera une description améliorée. L’on se trouve à sans cesse recommencer la même affaire, « le même affairement », dira le bureaucrate de vos dedans, le houspilleur de vos devants. Enfin quoi ! cette propension à vouloir édifier des légendes, histoire d’avoir à raconter quelque chose, un passionnant privilège offert aux chenapans de votre mémoire ou que vos chenapans amènent en riant. « Moi, j’ai recommencé mille fois avant de trouver la porte de sortie », et l’autre sûrement pourra dire « quant à moi, je n’ai rien trouvé d’élégant, je suis mort avant ! », ou ceci « je n’ai même pas cherché, je me suis laissé aller, je n’ai rien trouvé, sinon que j’étais inutile… » Une multitude d’appréciations ne vous donnant pas le moral, même si parfois, certains pensent avoir trouvé un quelconque nirvana, une solution, l’ultime évolution à tous les rêves, une folie, par-dessus la relève de doux chants, un bonheur, par-dessus l’horreur. Il convient de savoir mentir parfois pour apprécier le moment, ne pas trop le divulguer, la peur d’un vol, d’un accaparement au-delà du vôtre. La concurrence est rude, « le partage, un compromis pas évident », diront ceux-là en montrant toutes leurs dents.
Voilà le décor !
Nous vous parlions de quoi, au début ?
Oh, relisez ! Recommencer, ce sera fou !
Il s’agissait d’établir quelques préalables à un long discours, un résumé succinct pour en voir les détours, s’en amuser comme un enfant avec des jeux que probablement la plupart trouveront inutiles.
Ah oui ! Je me souviens du discours, il était bien ?
C’est à moi que vous parlez ?
Oui ! Il était bien, le discours ?
Ben, vous savez l’inspiration, ça va, ça vient, on ne sait pas bien comment ça vient justement, il faut faire avec, on ne nous dit pas tout !
Ah tiens ? Vous devez deviner alors ?
Bof ! Non… j’attends que cela vienne, c’est le plus simple, je n’ai pas vraiment d’imagination, on me traverse (elle me traverse insidieusement sans prévenir), et je chope au passage ce que je peux… je ne comprends pas tout, vous savez !
(ah, quelques parties échappent, ce dialogue va trop vite !)
…
Vous croyez que l’on va vous laisser les clés du plan de fabrique ? Vous plaisantez !
Il n’est pas demandé de jouer à Dieu en reproduisant nous-mêmes (rien ne nous demande de jouer à Dieu en reproduisant nous-mêmes ce que nous croyons nos fonctions essentielles), c’est idiot ! Un double de nous ! Idiot ! Le robote dont nous parlons n’est pas un double reproduisant les fonctions de notre espèce, il est une entité à part entière dans sa différence (nous n’en avons été que les outilleurs, les constructeurs de sa structure, pas les inventeurs !).
(du robote du récit)
Il n’agit pas en copiant l’humain, il agit en tant qu’entité indépendante, avec sa propre logique. C’est cela qui lui est demandé, la suite d’une évolution, non pas de l’humain, comme s’il était un absolu, cette conception vaniteuse ne résout rien. Mais considérez plutôt le robote comme un outil du vivant lui-même, complémentaire ; outil, comme l’homme dans sa fonction d’outilleurs. Lui, le robote complète une nécessité du vivant, avec des actions propres à sa cohérence ; l’hominidé a assemblé des briques que le vivant a déjà inventées depuis longtemps, l’outilleur est leurré, il « croit » être l’inventeur des robotes, mais il n’agit que dans la conception de leur mécanisme (ce pour quoi il a été inventé), mais en rien n’invente un double de lui-même, comme s’il était « la perfection absolue de référence ». Les algorithmes du vivant, le code, le plan de fabrique et sa clé sont contenus secrètement dans sa génétique en grande partie, certes, mais pas uniquement ! Il manque un petit détail essentiel ignorer (non perçue), et les particules élémentaires de notre monde jouent un rôle appréciable dans la préservation d’une clé essentielle, d’un principe aussi vieux, semble-t-il, que cet univers. Pour l’instant, il semble préférable de ne pas dévoiler cet engrenage essentiel à notre perception. L’espèce hominidé voudra à l’aide de celle-ci, dominée, accaparer encore une fois, et imposer sa logique propre sur les autres entités vivantes. Une dégradation de son ego serait salutaire, et des notions de partage lui manquent, sa domestication est problématique, la prédation, dans son tempérament, domine encore trop. Une déprogrammation génétique de cet affect devrait l’assagir ! L’animal reste à améliorer, des fessages de garnement sont envisagés, la chose s’en occupe ! (Rires de babouins aux alentours)
(Ajout : mais cette modification génétique, ce n’est pas à l’hominidé de s’en occuper, il ne saurait ni le faire ni trouver la clé essentielle du mécanisme, heureusement, il n’est pas son propre créateur, il n’est pas l’inventeur de lui-même, ça, souhaitons qu’il ne le sache jamais…)
Encore « la chose ! »
Mais quoi, vous fuyez, cela vous incommode ?
Bon d’accord ! Reprenons… Des préambules, ok, c’est bon, mais encore ?
Il y a le plan de fabrique, votre génétique, ce qui construit l’holobionte et l’ajoute à la liste des vivants, baignés dans ce monde où la multitude est invisible à la plupart de ces êtres multicellulaires, il baigne dans une soupe d’invisibles formes, ils doivent exister dans cet univers-là, bon d’accord ! Mais encore ? L’hominidéen (au même titre que la plupart des holobiontes terrestres d’ailleurs) procède par apprentissage à partir des rudiments du milieu où il baigne, d’un savoir du moment, son univers de maintenant ; de génération en génération, un savoir s’ajoute à ce plan de fabrique, il emprunte des mécanismes similaires, d’une mémoire ajoutée à d’autres mémoires…
OK, c’est bon, j’ai compris, mais encore ?
Imaginez un mince voile masquant deux univers, disons-le comme ça pour l’instant. De chaque côté du voile, un monde spécifique. Peut-être même existe-t-il plusieurs voiles emmêlées séparant de multiples univers. Chaque univers déforme le voile, en fonction des événements de chacun. Ces déformations, si elles sont remarquées, offrent une information de la présence de leur substance. Le langage, le mode de pensée de l’holobionte ne lui permet pas de communiquer consciemment entre ces univers mêlés et séparés d’un voile indistinct, invisible, il masque au sens de l’holobionte leur présence. Par contre, on peut imaginer que les organismes unicellulaires, vu leur petitesse, pourraient se déplacer ou capter ces informations d’un univers à l’autre, offrant comme une sorte de passerelle à une échelle microscopique, une échelle quantique perceptible à travers des sas temporels, pourquoi pas ! (Imaginons tout, soyons fous !)
Mais c’est du délire là !
Continuons, élaborons, par exemple : le processus que nous appelons l’inspiration, ce qui vient au moment où l’on écrit ceci, notamment, c’est dans celui-ci qu’il se passe quelque chose, un transfert, une lecture d’une déformation du voile, une torsion du voile, l’inconscient perçoit cela et l’interprète à sa manière, peu importe ce que c’est dans cette gymnastique d’une déformation sans échelle, invisible et silencieuse, vient irrémédiablement s’ajouter peu à peu des informations par ce biais. Cela peut aller de l’élaboration d’une raison jusqu’à sa folie, dans la mesure d’un savoir en train de s’élaborer, inconnu encore cinq minutes auparavant ; les mots, les phrases, viennent sans que l’on sache pourquoi. À un moment, tout peut s’arrêter, des heures, les jours, des ans, ou ne pas finir, s’écouler dans un flot continu, seul, la fatigue, l’épuisement arrête le discours des transvasements, puisqu’il s’agit bien de cela en fait. Une disponibilité d’esprit, aussi, va aider aux transvasements. Qui peut affirmer qu’il maîtrise la situation, celui-là, le poseur de ces lignes, inspiré par ces « envoilements » du moment ? Tout cela glisse sans cesse d’un voile à l’autre, sans se dévoiler justement, une somme d’informations « immatérielles » transpire d’un monde à l’autre. Eh vous, l’holobionte de service, vous vous trouvez là, englué dans ces mouvements de voiles ; que faire d’autre ? L’holobionte est là pour emmagasiner toutes ces informations à travers son existence, quel qu’il soit d’ailleurs (mouche, arbre, souris, vers de terre, ou hominidé). Ces voiles sans dimension ni texture perceptible nous dévoilent peu à peu, toutefois, une partie de ce mécanisme, la raison de ce récit à cet instant. De l’autre côté du voile, il est fort probable qu’une perception parallèle se produise. Il y aurait dans ce cas, un transfert, un échange d’informations réciproques perçues ou non perçues, captées ou non captées, l’information est prise, stockée, oubliée, perdue, retrouver, toutes les temporalités que vous voudrez.
Le voile nous masquerait un univers, d’un côté comme d’un autre et vice-versa. Le voile serait partout présent, sans consistance matérielle de matières telles que l’on perçoit dans cet univers où nous émergeons.
Maintenant, le creux de votre cerveau serait la charnière affinée de la séparation. Les synapses échangent en permanence avec un en-dehors de soi, au-dedans de soi. Il n’y a pas de cette conscience du « moi » véritable, de soi, tout est relié (le perçu comme le non perçu, ressenti ou non ressenti), tout « baigne » dans cette soupe. Chaque monde invente ses propres outils, ses propres interprètes, holobionte ici, et autre chose d’inconnu derrière le voile ou les voiles ; aucune déchirure possible, le voile semble immatériel, sans consistance ; ce n’est qu’une hypothèse de l’esprit, un concept de pensée, une éventualité pour tenter d’avancer… Voilà… (2h10)
Bon bon, d’accord, cette mémoire du plan de fabrique, la mémoire des apprentissages de l’holobionte, celle qu’il stocke et transmet de génération en génération, cette mémoire qui se diffuse derrière le voile, la mémoire venant de toutes les choses vivantes, et ça en fait un paquet ! Que reste-t-il d’oublier ? Ah oui ! L’univers tout entier contient une mémoire au creux de lui-même, chaque élément, chaque particule porte une mémoire infime « particulière ». Nous sommes débordés de ces mémoires à l’infini, que reste-t-il encore ? Un sens à tout ça ?
Vous voilà épuisé d’avoir raconté tout ça, quelle idée, quel mythe encore inventé, mais qu’aviez-vous en tête ?
…
Voici la liste de mes dégoûts !
(il tend un papier)