(parole en marchant – 12 juill. 2017 à 19h16)
(corrigé le 21 févr. 2018 à 22h51)
contexte : un vieil homme prétendu sage et que l’on a un peu trop tendance à vénérer lors d’une conférence au moment des questions…
Un adorateur imprévu l’interpelle, au sujet de cet éveil,
— je veux m’éveiller, pouvez-vous me guider ?
Alors, le vieil homme un peu bourru, à qui « on ne la fait plus », l’entourloupe ! Il en a vu d’autres… il s’accorde une pause, le regarde et lui sourit, puis lui raconte son entendement…
— Ah ah ah ! mon p’tit gars, on désire s’éveiller ? C’est tout frais, c’est une nouvelle idée ?
Cette réplique inattendue déconcerte l’assemblée ; il poursuit,
— Qui vous a dit que l’éveil rendait aimable ? Vous me prenez pour un de ces gurus, un de ces illuminés ? Qu’a donc à voir l’amabilité avec un éveil, quel qu’il fût ; ajoutons qu’il n’est pas forcément une partie de plaisir, mais une perception accrut des réalités de ce monde ; selon que vous vous trouviez ici ou là, cela peut s’avérer redoutable… de plus, elle ne se montrera que partielle, la perception, aucun être ne pourra jamais l’appréhender totalement, celui qui l’affirme… vous ment !
Il laisse planer un long silence, intentionnellement…
(version)
— Celui qui suit un de ces gurus et veut s’éveiller, semble-t-il, à travers l’enseignement de celui-ci, ne s’éveillera jamais à mon avis ; « l’illumination » prétendue de ces personnages, me paraît douteuse, factice… si vous accordez un crédit aveugle à ses préceptes, il va tout bonnement vous faire rentrer dans une croyance et elle m’apparaît à l’inverse de la « délivrance » présupposée ; de l’éveil, s’il en existe un, je ne le vois qu’individuel, c’est un travail au fond de soi et c’est pour ça qu’il n’a pas besoin qu’on l’aide ; on ne s’épanouit que par sa « propre volonté », mais encore faut-il la discerner ni forcément chercher à tout comprendre systématiquement, mais plutôt percevoir intuitivement ce que peut être cette forme de réalisation, plus vous l’expliquez, plus vous l’enfermez déjà ; mon éveil s’il s’avère envisageable, c’est une ouverture totale à tous les possibles, vous ne trouverez pas de définition idéale ! Dès que vous lui donnez une signification, l’éveil s’amoindrit, plus vous le délimitez, plus vous l’affaiblissez et vous vous engouffrerez dans un trop-plein de mythes, dans une religion, dans une croyance, cela ressemble plus à un égarement à mon avis et c’est tout ce que vous voudrez, sauf de l’éveil ; le guru, lui, va vous faire entrer dans son semblant d’éveil à lui, et rien ne vous dit qu’il agite là une sagesse, il désire simplement que vous admettiez son truc, alors que vous pourriez très bien « ne pas gober » tout son verbiage ! L’éveil au monde que chacun peut éprouver n’a pas besoin des autres et il n’existe aucune règle en la matière ! C’est une perception des vastitudes de votre milieu, une appréciation de votre position dans celui-là, à tous les échelons et si vous vous basez sur celle d’autrui, vous vous enlevez la vôtre propre, vous réalisez exactement l’inverse, ce n’est pas bon pour la perception de votre « ego ! » ; ou de votre petit « moi » intérieur… Ben oui évidemment, l’ego, c’est d’éclaircir ce que c’est, puis de le dépasser bien vite, de savoir où l’on se situe au sein de vos semblables ; et ce n’est pas que parmi les hommes, c’est à travers tout le vivant que vous aurez à l’éprouver, ce n’est pas obligatoirement de le comprendre, de tout comprendre, mais de discerner vos limites, et elles sont grandes, je vous l’assure ! De plus, nul ne vous l’ordonne, contentez-vous de le ressentir, de le déceler avec vos sens, mettez de côté l’intellect !
Long silence…
— Alors que je devrais me taire après avoir dit tout cela, je précise toutefois un peu : les mots ne s’avèrent plus nécessaires à ce niveau-là, ils perdent leur importance, ils apparaissent incomplets, ils enferment dans une logique fragmentaire, imparfaite ; toute philosophie, tout raisonnement nous emprisonne dans sa méthode qui n’est d’ailleurs jamais finie puisqu’elle a besoin elle aussi de progresser, non ! ce n’est qu’un problème de discernement ! Donc, l’éveil devrait rester un flux continu et suivre l’évolution permanente de l’univers… les appréciations que vous aurez du moment si vous voulez les assimiler vont vous amener à des nouvelles, cela indéfiniment jusqu’à ce jour où vous mourrez et ce n’est pas forcément communicable ça ? Mais cette expérience n’en demeure pas moins singulière ! C’est exactement le même phénomène à mon sens et encore en disant cela, j’en réduis la teneur, quand vous êtes confronté par exemple, à des acouphènes, vous seul entendez des sons parasites dans votre tête, nul autre ne peut les ressentir, aucun capteur extérieur connu ne semble capable de les appréhender, à moins d’être relié directement à votre cerveau, et ça, on ne sait pas tout à fait également raccorder ; il n’y a que vous qui les percevez ou qui puissiez agir éventuellement pour les maîtriser, comme de les décrire ; ce que vous rapporterez à votre médecin au sujet de ces acouphènes souvent extrêmement gênants, vous lui énoncerez des choses qu’il ne pourra jamais vérifier, donc votre discernement il reste personnel et votre éveil se retrouve dans cette similarité ; il s’avère unique et ne peut pas représenter un modèle… Je ne vois pas comment envisager cela autrement…
Long silence…
— Dans votre réveil, si vous le comprenez ainsi, n’y mettez pas tout, ça ne sert à rien, non ; cette impression se passe de mots, à force, ils deviennent d’ailleurs des enfermements, je me répète ; c’est comme au sujet des gurus, méfiez-vous ! Si vous avez besoin d’un tel intermédiaire, c’est que vous éprouvez la nécessité de trouver quelqu’un qui vous dirige, qui vous donne une orientation, donc c’est déjà un égarement… Vous réalisez l’inverse de ce que vous devriez accomplir et la première chose pour vous éveiller, c’est de vous abstenir d’un quelconque magistère, de quelconques maîtres, de quelconques guides… Demeurez libres dans votre tête ! Certes, la liberté, ça s’apprend, ça surprend aussi, c’est certain ! Cela ne vient pas forcément tout seul, ça a des contraintes, c’est votre autonomie, et bien, elle reste personnelle, elle n’est pas liée aux autres, elle est reliée à vous-même, vous, par rapport à vos semblables, il ne s’agit pas de s’isoler d’autrui, mais de s’éveiller au monde, à tout ce qui se situe à l’extérieur de vous, c’est ça le problème ! Et dans ce cas, n’existe aucune règle ni définition ; je ne vois guère plus de mots à y adjoindre, vous n’y trouverez rien, dans ces affirmations qui ne représentent pas une révélation, ni un mensonge, ni une vérité, un simple témoignage… Dès lors dans mon éveil, je n’y rencontre que du silence, du néant ! Alors, que dois-je construire sur cette absence, l’absorber, voire en tirer quelque chose, car dans ce rien tout semble possible puisque vous vous y amenez pour rentrer au-dedans en quelque sorte, c’est une image très sporadique, mais vous allez l’affronter ce vide ! S’il s’expose à vous, d’une manière aléatoire, si vous désirez absolument le jalonner, sa vacuité, vous allez lui ajouter des certitudes et c’est là que vous allez produire exactement l’inverse, et vous allez décréter une croyance ; non, il n’a pas forcément besoin d’être rempli par de telles affirmations ni des solutions toutes faites, laissez-le nager ! Bougez et tout devient envisageable ! Laissez-le débloquer les choses, laissez-le voguer tout bêtement ; je ne peux constituer aucun secours envers quiconque, je n’ai aucune prétention, j’ai d’emblée suffisamment de moi-même à me préoccuper… Je ne peux pas me soucier des autres parcours, ils ne peuvent se poursuivre qu’individuellement, voilà ce que je comprends moi de l’éveil !
Puis il se lève, ne salue personne, et s’en va, regrettant déjà… d’avoir trop parlé…