(version transposée du 13 janv. 2018 01h13 — texte original dans « zécritures » — 8 août 2012 22h49)
(corrigé 22 févr. 2018 à 12h00)
(corrigé 14 mars 2018 à 19h30)
—> 5. « ajoutements », tragicomédies, acouphènes
—> vision ironique d’une défaillance de l’ouïe
—> transposition dans un monologue
Aujourd’hui, une impressionnante symphonie m’a épuisée ! Elle joue encore, mais en plus amoindrie à l’instant où j’écris. Je puis vous assurer que j’en suis l’unique auditeur, je n’ai eu aucun passe-droit, aucun privilège pourtant. Un impertinent veinard, me répondriez-vous ? Peut-être bien… cette musique venue des bas-fonds charnels les plus étroits, les plus vils, monte peu à peu et s’ingénie à surfer sur ma monophonie auditive, elle provoque une insolente stéréophonie cervicale, réinventée momentanément, souvenir de ma jeunesse que j’avais presque oubliée… Aucune machine ne peut la percevoir et nul ne peut en extirper quoi que ce soit d’audible de mon crâne. Éventuellement, avec des sondes, attraper de vagues soubresauts électriques, confirmant bien ce bruit dans la demeure, mais pas vraiment la vibration éprouvée ni l’effervescence musicale de mes synapses, ah ! ça non ! C’est une exclusivité de la vie de mon corps, on ne me demande pas mon avis, c’est une hérésie ! Mais que diriez-vous si vous l’entendiez de manière impromptue, cette fantaisie n’en devient pas du tout ma copine, je puis vous en assurer ! (Si j’en chope un, de ces vibratos incongrus, il passera un sale quart d’heure !) La sonorité reste très particulière et se joint à votre existence courante sans réclamer une permission ; quelle polissonne ! Elle arrange une vaste pratique afin d’accaparer l’esprit et me donner des leçons de musique, moi qui ai toujours chanté faux ; on veut m’inculquer des chants sifflants, des airs très lents, des brises hilarantes mêlées à de tordants prêches monastiques où se réverbère, comme sous des alcôves, ma squelettique carcasse, car tout acousticien sérieux vous répondra sans rire : « votre ossature s’avère composée d’os résonnants »… Ah oui ! je comprends bien, je confirme, et même j’affirme, ma cavité cervicale offre une voûte parfaite à l’écho de la note qui m’éduque… Non ! Quelle méprise ? « Aux notes qui m’éduquent la caboche ! » Je ne perçois pas si c’est pour mon bien, un tel acharnement, un supplément à mon instruction auditive, peut-être ; je dois l’avouer ouvertement, je ne me sens plus maître en la demeure, et le souci dérisoire de mon égo devient tout penaud ! ça le navre en permanence, c’est tout dire… Peut-il en saisir quelque chose de tout cela, celui qui entend correctement ? Comprenez bien, des variations toujours soudaines s’ajoutent à la note polyphonique et continue de l’orchestre, côté jardin, à moins que ce ne soit du côté cour ; parfois, je ne sais plus… Imaginez-vous voguant sur un fleuve jaune (pourquoi pas, je ris déjà de la même couleur)… Oui, imaginez donc ça tient : dans un vent ininterrompu, par instants passe une sourdine un après-midi, s’épanche comme un silence imprévu et bref… Puis aussitôt la calamité revient, comme une vieille locomotive en perte de vapeur, crachant les soubresauts d’une avancée chaotique ; supposez des sortes de maracas aux manières très enjouées, les syncopes minables, « tcha-ka boum tcha-ka boum », des chansons à la mode et qui vous abrutissent.
Certains autres airs, ne sont pas sans rappeler de lancinants raga du soir, où l’on voudrait qu’ils permettent d’endormir le corps dans un soupir d’aise espéré, mais non ! point de cela, l’éveil est contraint… Alors pour résister à ces acharnements, je m’aide de sournoises déviances ; à force, cela dupe mes éducateurs pendant de courtes pauses, pire, à certains moments, je fais surgir des rivalités à leurs sonorités ; à partir d’enceintes acoustiques judicieusement placées dans la maison, je balance de savants « bruits blancs » (vous savez ces « pschiiis » continues), et combles de l’ironie, j’y adjoins un certain érotisme à ceux-là, des « bruits roses » tout à fait bluffants ! Nous rencontrerons ainsi cette note humide de la chute d’eau, allant du torrent au ruisseau c’est selon l’humeur du temps… très charmant… Vous connaissez ces cascades au bord des grands lacs, évidemment, ben oui, parfois, ça y ressemble, c’est ça, vraiment, un peu… Dans ces conditions, converser avec un de vos semblables s’avère un des plus croustillants exercices, surtout quand ces suintements, modulés par mes artères, me jettent une sonate égrillarde dans la tête ; vous me verrez alors sourire comme un bien heureux, la cervelle tout embrouillée, décryptant comme il peut la parlotte devenue inaudible de son interlocuteur, épuisé de sans cesse rabâcher « pardon, pouvez-vous répéter ? » Devrais-je encore inventer toutes sortes de stratagèmes pour amener la compréhension d’une parole si vaguement perçue, transformer un à-peu-près, en une certitude… J’aimerais être ce chef d’orchestre, qui d’une baguette, élégamment, tapote le pupitre autoritairement pour imposer le silence le plus absolu… Mais personne ne m’écoute et un énervement ne ferait qu’adjoindre au tout un soliste de plus, un trille perfide à une salope de flûte ; voire ajouter des effets bizarres analogues à ceux d’une guitare électrisée par une quelconque jeunesse, ayant le toupet de préciser dans un jargon acide après la vocifération : « j’y mis une saturation de haine d’rixe ! » C’est ça, j’ai la haine ! À cet instant, ne venez pas titiller ce qui me reste encore de cerveau, je pourrais devenir odieux !
Parfois, je ne sais plus vraiment… c’est drôle la vie ! Je peux dire ouf malgré tout, on ne me balance pas tout le temps ces maux hasardeux, c’est déjà ça ; je rêve de comment éviter une petite musique de nuit, j’idéalise une solution ? Puis de nouveau ajouté dans le vacarme de cette assemblée : « mais taisez-vous donc, comment voulez qu’on m’éduque ? » Mais je dois toujours expliquer à chaque moment, c’est fatigant de perpétuellement répéter les mêmes choses à sa raison vacillante, comme aux autres, et nananinana… Enfin, quoi, je rouspète, je rouspète, on m’a donné un corps bien embruité toutefois. Je ne peux rien dire, cela fâche les instrumentistes de mes dedans. Je me sens habité par tout un monde à la symphonie étrange et dissipée, il ne resterait alors qu’une seule solution : m’enfuir ! Ou satisfaire ce vague désir d’en finir définitivement, de m’interroger, « quitter ce corps ? » Évidemment…