(texte manuscrit - 1983 - corrigé le 4 mars 2018)
—> remplace chapitre « son roman sans cesse médité » p. 81 du tome 1 (édition de 2017)
—> récit de 1983 totalement oublié, retrouvé récemment, il préfigure la narration d’İpanadrega, c’est un texte primitif important
—> les mots surlignés sont des mots clés
—> 1. « İl », labyrinthe, 007. Je me souviens de ces débuts…
Je suis entré dans un labyrinthe étroit, et au bout de quelques pas j’y ai rencontré un homme assis derrière une table ; sur celle-ci, un petit écriteau où y était très sobrement inscrit un mot, « archiviste » ; l’homme demanda mon nom, mais je ne pus le lui fournir, et pour quelle raison d’ailleurs, puisqu’il était le premier humain que je voyais de toute ma vie et jamais l’idée de me nommer ne m’est venue à l’esprit ; jamais ! Quel intérêt, personne n’eut à exprimer un quelconque nommage de ma personne auparavant ? Comment voudriez-vous que je me nomme ? Mais celui-ci insiste, il lui faut absolument un nom pour que je puisse poursuivre mon chemin ; « tous les gens qui entrent ici donnent leur nom, c’est la règle, c’est ainsi ! Votre nom, je vous prie ? » « Mais je vous répète que j’ignore ce nom ! » À quoi pourrait-il bien me servir dans la mesure où personne ne m’appela jadis ? Ironiquement, cette sorte de greffier ajoute qu’il m’interpelle bien lui, en ce moment même, et donc doit écrire mon nom obligatoirement, je dois obtempérer et le lui fournir comme tout un chacun : « tout le monde possède un nom ! », « Ah ! que désirez-vous de plus de moi, je n’en connais aucun, je ne sais pas ce nom ! », je tente de reprendre mon parcours, mais l’archiviste m’arrête de son corps planté devant moi, il ne peut pas me laisser passer, je lui redis « inutile d’insister ! », de nom je n’en ai pas et qu’il marque cela sur la feuille du livre posé sur la table ; mais cela ne peut le satisfaire et l’homme semble bien têtu, jamais je ne rencontrai précédemment un tel obstacle en face de moi, un individu obstiné à réclamer un nom, pour quelle raison ? Puisque personne n’eut à me héler ; mais il n’arrive pas à me comprendre, il veut un nom ! Alors, ne voyant pas d’autre solution je lui demande d’inscrire sur la feuille, celle du livre posé sur la table, le nom qui lui convient, cela m’est égal… mais d’après lui, c’est bien moi qui dois décider du nom à signifier ; je lui réplique « avez-vous un nom vous ? » À cette question il ne réagit même pas, il ne désire parler que de moi ; il doit mettre un nom que je posséderais, semble-t-il, mais je l’ignore ! et cela me paraît bien futile d’insister de la sorte ; pourquoi s’obstine-t-il ?
Que devrais-je lui donner ? Cela n’a pas d’importance pour moi, cette question à laquelle je ne peux répondre, j’ignore, oui… Cela devrait le satisfaire puisque c’est ainsi, il ne veut pas en convenir… Comment dois-je le prendre, je dois poursuivre ma route, évidemment ! C’est un but à atteindre, le destin que je me suis dessiné, dès lors que c’est mon idée, pourquoi ne comprend-il pas ? Je le trouve stupide, je le bouscule, c’est ennuyant, mais comment faire autrement, il tombe par terre, il n’a pas mal et ne dit plus rien, il me laisse enfin aller mon chemin…
À partir de maintenant vous pouvez tout imaginer, car tout reste possible avec du temps devant soi suffisamment, oui, à force, tout arrive. Après un long moment de marche sans gêne d’aucune sorte, seulement la découverte d’un monde débordant aux multiples facettes, je devrais plutôt dire composer de maints aspects ici, là, partout ; bref, un monde diversifié avec une foule de décors variés, un monde plein de gens qui comme moi pareillement, s’animent.
Dans ce monde apparemment assez étendu, je le crois, les gens avancent comme moi, ont-ils la même idée, le même but, je ne sais pas, puisque je ne leur ai pas encore demandé ni posé de questions à ce sujet. Voyez-vous, je commence à explorer tout cela… Tout cela est très neuf pour moi, cela nécessite un temps pour s’y habituer et débuter la compréhension des choses, peu à peu… cela s’appelle : « avoir de la patience et de la volonté » ; j’ai lu cela dans un grand livre, où tous les mots sont inscrits avec beaucoup d’explications à la suite de chacun d’eux, sur les pages imprimées du grand livre… Un ouvrage fort intéressant et plein d’enseignement ; mais pourquoi l’a-t-on réalisé si pesant pour ne pouvoir le tenir auprès de soi dans mes déplacements ; j’ai découvert au-dedans l’idée de posséder un nom, maintenant je sais, mais je n’ai toujours pas de nom et d’ailleurs, comment fait-on pour inventer un nom, cela n’était pas écrit dans l’ouvrage très lourd, dommage ! Je n’ai toujours pas de nom et cela ne m’embarrasse nullement puisque je ne connais encore personne, à part cet archiviste… La fantaisie peut-être, me ferait en imaginer un, c’est envisageable, je laisse là l’hypothèse, elle ne peut m’intéresser et je poursuis mes pas par-devant moi. Je croise souvent des gens semblables à moi, c’est amusant, mon existence jusqu’à aujourd’hui s’est révélée très calme, dorénavant un peu plus de bruit l’anime, c’est enrichissant, cela m’enseigne une façon de plus… nous devons tous apprendre, n’est-ce pas ? On ne peut rester ignorant tout le long de sa propre vie sans découvrir la moindre chose, cela serait ennuyant sûrement ?
Il me presse de leur poser une question, « avez-vous la même idée que moi, de poursuivre son chemin par-devant soi ? » Personne ne comprend ma question et cela les étonne, j’étonne les gens ? C’est drôle tout cela, ne trouvez-vous pas ; pourquoi j’étonne ? Ah ! J’y suis, je ne connais pas encore ni les gens, ni les lieux, ni ce nom, est-ce utile si je n’en possède pas un vraiment ?
Certes, je dois apprendre… alors rien ne paraît mieux que de montrer ma présence à l’exhiber très fortement sur cette place où passe une multitude de personnes toutes différentes. Mais je crie, je demande, je questionne, j’interroge, je retiens la foule ; je semble les intéresser, mais personne ne répond bien que certains s’amusent à m’entendre. Je ne m’explique pas ce manque de curiosité, mon apparence similaire à eux ne suffit guère plus, voilà ! Je présume la persistance inconnue d’une difficulté pour nous comprendre. La foule grandit et je hurle mes interrogations sans obtenir la moindre réponse ; alors peu à peu, les gens se lassent et partent, je suis déçu inévitablement ! La situation devient étrange, je viens de réaliser… une découverte : tous ces gens me ressemblent, oui, je ne m’estime guère différent d’eux et évidemment mon langage ne doit pas les atteindre convenablement, ou probablement la foule trop nombreuse ne pouvait me répliquer comme ça, aurais-je dû ne m’adresser qu’à une seule personne à la fois ? Peut-être pas ? Une chose reste sûre, ma parole n’est pas comprise, les mots que j’emploie n’apparaissent pas les plus adaptés. Quitte à découvrir de nouveaux endroits et parcourir tous les lieux par ici, du langage j’en apprendrais bien à force de mémoriser le leur et de l’entendre, de dire et répandre ma voix à chaque occasion ne m’apeure pas ; me faire comprendre et appréhender ainsi le bon parlé, celui qui amène à discuter et échanger les idées ; je pourrais connaître enfin celles des autres et les comparer aux miennes… la foule se dissipe et plus personne ne m’écoute.
Le temps s’écoule et je ne cesse d’acquérir de l’information pour ma mémoire : le pourquoi très adroit et le comment souvent décevant des choses de la vie, tout cela s’avère très attrayant, comme les sonorités si diverses, le bruit de la pluie sur la tache noire des routes et des rues, comme l’éveil au petit matin, d’un chant d’oiseau ; puis, des rayons du soleil chaud font fondre les perles d’eau sur les murs, les toits et les plantes sauvages ou non, dans le jardin ou dans le bois. Chaque matin, les gens se lèvent, se préparent et partent en sommeil les yeux étroits, dans un même mouvement par les chemins tout aussi étroits, les uns derrière les autres, pour aller accomplir une tâche devenue une coutume ; cela montre un rituel assez quotidien, je n’ai pas cherché à savoir où ils s’en vont tous, ni à connaître leur destination, ni à leur demander une réponse d’ailleurs qu’il n’aurait pu me donner, mon discours peu compréhensible et inutile, puisqu’il n’a de sens que pour moi ; je dois décrypter les termes d’un langage commun à tous les hommes, pour en effectuer la somme dans ma mémoire qui raisonne, elle me dira bien pourquoi donc aujourd’hui aucun de mes mots n’intéresse personne, voilà bien la première question inquiétante, depuis le temps des premières rencontres cela fait des milliers de pas déjà parcourus dans l’ignorance, mais je garde toutes mes perceptions et j’espère trouver les voies qui me porteront au-delà de la solitude, oui ! Depuis ce temps, où j’ai découvert les premières gens, j’ai comme un regret en plus de cette solitude auprès d’eux, sans pouvoir dire la moindre parole qui les atteigne au creux de leurs méninges ; qu’ils me donnent un signe pour me raconter, je ne sais pas moi, qu’ils ont compris, qu’ils ont entendu ? Même pas, aucun signe aucun bruit, seulement à un moment, quand je criais, des pas et des regards se tournèrent vers moi, un instant… Puis ils s’en allèrent sans un mot, malgré quelques apostrophes entre eux ; que représentent leurs buts et leurs mémoires, dites-le-moi ? Quel destin ont-ils choisi, je voudrais tant les connaître.
Je m’interroge enfin, peut-être inutilement, mais maintenant je crois bien avoir soif et faim, mes entrailles se tordent et ma salive se dessèche, je ne compte plus les foulées qui me séparent de mon dernier repas fait de fruits amers, d’eau douce et d’œufs d’aigle. Ici, les montagnes se montrent raides, parsemer d’alvéoles toutes pareilles et leurs faces apparaissent de couleur unie. Les lignes sont nombreuses, droites et sans courbe ; les aspects relativement simples sans détour distancent l’ailleurs par toutes ses formes et ses odeurs sans équivalent ; seul, le ciel reste indemne… Même les bruits fondent sans nuance dans le vaste décor ordonné et géométrique, mon corps demande, réclame, il a faim ; peut-être doit-on en parler, exprimer sa famine. Peut-être dois-je quémander la nourriture, où dois-je la prendre, je dois peut-être la rechercher ? Comprennent-ils le mot faim ? Bien sûr que oui, je l’ai découvert dans le grand livre ! Faut-il crier « j’ai faim ! », pour que tout de suite l’on vienne combler les maux de mon ventre ; la science ici, a-t-elle inventé des moyens de nutrition particuliers ? Tant d’interrogations demeurées sans solution à l’intérieur de mon crâne, cela s’avère passionnant ces explorations !
J’ai réussi à atteindre l’esprit de quelqu’un, il m’a posé un tas de questions, je n’ai su répondre à toutes, il parlait trop vite, mais je pense saisir les propos de son langage, j’ai appris une nouvelle chose, l’existence d’un élément inconnu ; ils appellent cela « argent, monnaie, finance » et je crois bien admettre que c’est par l’intermédiaire de cet élément qu’ils obtiennent de la nourriture, comme c’est étrange ? Mais la personne ne m’a pas dit comment se le procurer, cet argent… et il est parti avant même que je comprenne ce qu’il venait de me raconter, ce n’est qu’ensuite, après raisonnement, que son discours s’avéra clair pour moi. Ici, le temps doit se compter, les gens paraissent pressés, très occupés à se déplacer d’un point à un autre, je n’ai pas encore assimilé cette démarche… les pas s’accumulent et me mènent de plus en plus péniblement, la faim devient préoccupante… Deux hommes vêtus d’habits identiques, ont, semble-t-il, saisi la situation, ils me prennent chacun par un dessous-de-bras et me conduisent dans un endroit sombre et délabré, devant une maison usée où au-dessus de la porte on pouvait lire l’inscription « Asile pour les pauvres » ; ils me laissèrent là sans un mot superflu, puis ils s’en allèrent tranquillement… On me donne un récipient avec une soupe dedans, un morceau de pain ; rien d’autre… Le repas se montra bien maigre et ils n’ont pas voulu me reverser de cette soupe ni me couper une nouvelle tranche de leur pain, demain seulement, nous devrons donc attendre. Je n’ai pas insisté, je n’étais pas isolé ici, beaucoup de gens ternes et sales m’entouraient. Ils parlaient d’une façon embrouillée et incompréhensible, je suis parti, car je m’ennuyais et l’odeur du lieu ne correspondait à rien d’agréable, au contraire, cela vous change des parfums des fleurs ou de la senteur des arbres ; la sueur d’un être déchu reste bien détestable…
Je me rendis compte que dans cet univers, j’apparaissais tout neuf, et l’idée d’en sortir me prenait l’esprit avec envie, je devenais triste, moi qui ne le demeurai jamais auparavant ; semblable aux gens, mon visage se montra tout aussi sombre, je n’en reviens toujours pas…
Je dus parcourir cent mille pas au moins (des milliers et des milliers de pas) pour m’apercevoir que le territoire semblait bien vaste… Un homme pourtant, prit contact avec moi, au seuil de mon désespoir, je n’y voyais point d’issue alors ; ma chute s’avérerait inévitable si celui-ci n’était point venu à ma rencontre… Il m’a tout expliqué et j’ai tout compris, horrifié et surpris même ; comment pouvais-je vivre de la sorte plus longtemps ? Il m’a fallu du temps pour discerner et admettre enfin le sort de cette existence, et s’en résigner… Mais comme il m’a décrit et décortiqué tout ce que vous savez sûrement, je ne trouve pas l’utilité de répéter ses mots, ils furent trop nombreux et monotones…
Maintenant, je saisis bien et je perçois très clairement l’environnement : ici un poteau électrique, là une poubelle et des détritus, plus loin des immeubles, des autos, des camions, une foule éparse, un gamin joue avec un cerceau, une plante verte au milieu d’une pelouse, le mur d’une propriété privée et la grille de l’entrée, le bitume de la chaussée et les alignements de trottoirs, des magasins ouverts, des marchands de légumes et le fouillis des bruits de la ville ; ma vue m’aide à élucider la pâleur de la plupart des gens, le pas pressé de chacun, l’agitation des mains, un regard, et parfois un sourire auquel je réponds, heureux, émerveillé, étonné, affolé, j’éprouve tous les sentiments en un seul instant et cela me rend inerte, le corps immobile, la voix atténuée, le cœur excité, les yeux écarquillés et la bouche désorientée… Ma mémoire engouffre, avide, la moindre parole, la moindre impression, le plus petit ricanement, l’évolution des images et des décors, avide de tout, oui, en un seul instant je voudrais tout enlacer de mes bras et de mon esprit… Une grande soif m’habite soudain, celle de la découverte, de l’extase et de l’enseignement reçut… L’homme ne cesse de me parler, et peu à peu m’inculque le savoir en une longue information, je l’écoute et je vois en même temps ce qu’il me montre du doigt ou les visions que m’offrent ces mots déversés en un flot ininterrompu. La joie ivre de mon silence et le délire d’un apprentissage subi, un bloc démesuré des connaissances d’un être, traversent mes sens ; c’est trop en un seul instant, ne devrait-on pas temporiser un peu ? Attendre que tout rentre correctement et se mémorise clairement, sans trop de confusion ni d’erreur, mais je demeure extrêmement curieux et la soif de ce savoir reste la plus forte ; je lui dis de ne pas s’arrêter, ma cervelle peut tout emmagasiner et puis, le temps ne me manque pas, j’ai un grand appétit, je vous écoute et vous entends, vous pouvez raconter encore !
Inlassablement, l’homme me donnait tout cela comme un enseignement sans aucune gêne et avec un très remarquable plaisir, ce moment m’a rendu heureux et contemplatif, semblable, avec bien plus de puissance, à ce jour où je pus lire quelques pages dans le vaste livre, celui qui se montra bien lourd.
Je compris l’intérêt de posséder un nom et le sens très profond de mes interrogations, que ne pouvaient discerner vraiment la plupart des gens pour qui ces questions n’ont aucune signification véritable ni utile. Les idées, quand elles ne représentent rien de réellement palpable ni de matières visibles, elles ne passionnent pas la foule ; la foule réclame de l’immédiat, du solide, des valeurs et de l’argent… c’est une manière de survivre !
Évidemment, je perçois la raison de l’ignorance des populations, voire de leur incapacité à choisir leur propre destin comme de suivre le chemin de leur désir, comme moi. Alors, en cachette, loin de tout regard, certains me racontent : « mais toi t’es libre, tu n’es pas d’ici, on ne t’a pas encore attrapé, emprisonné ; méfie-toi ! » Voilà pourquoi les premiers temps de mon séjour parmi eux, quand je criais sur les places, dans les rues, ces questions sur le destin, les chemins et le devenir, personne ne comprenait ni n’avait d’intérêt pour tout ce que je disais ; peut-être avaient-ils peur ? J’étais un étranger et cela uniquement représentait de l’importance à leurs yeux ; ma différence physique apparaissait-elle si transparente ? (à développer) et puis probablement le côté excentrique de mes cris. « On ne gueule pas ainsi ! À quoi cela sert-il ? Pour quelles perfides raisons, ces braillements ? » Je ne sais pas, où demeurent donc nos ressemblances ?
Enfin, l’homme a fini de parler, sa mémoire fut consultée jusqu’au bout, il relaxa un peu sa langue fatiguée d’avoir tant et tant raconté, moi-même étourdi par son élocution, cet apprentissage ; nous restâmes dans un silence parfait à écouter l’entourage, à nous entendre respirer, avec quelques sourires échangés, pendant de longues minutes à ne rien accomplir d’importance…
Ensuite, l’homme reprit la parole, cette fois il me posa plusieurs questions sur mes origines, mon pays, mon vécu et mes ignorances. Cela me fit rire la façon dont il plaça les mots et leurs douceurs ; je ne pus répondre avec une grande précision, car ma vie n’est pas remplie que de discours, mais d’images, de couleurs, pleines d’odeurs avec beaucoup de rêves et des sensations ; mes explications s’avèrent maladroites, je ne sais pas décrire ni les couleurs ni les formes, je m’exprimai dans une manière de ressentir diversement, c’est déjà beaucoup dire, mais mon cerveau emmagasine, si nous pouvions le raccorder à une sorte de projecteur multiple, qui montrerait tout ce qu’il contient, à travers les airs et sur les murs, dans la pensée et à côté des émotions de chacun…
Je ne me souviens plus de mes origines ni à me rappeler quelle allure exhibait les premiers instants de mon enfance (sauf qu’un geste me fit partir, jamais je n’oublierais ce geste), j’ai retenu seulement que pour atteindre cette ville, finalement, j’ai traversé le temps un peu n’importe comment sans but préconçu ; j’allais droit devant moi, m’approchant toujours auprès de ce qui attirait mon regard ou mes autres sens, l’esprit tourné vers l’aventure, dans toutes les directions.
Et puis, une chose importante me revient : ce qui ne m’intéresse guère ne s’inscrit pas dans ma mémoire, j’efface l’inutile, et garde l’utile pour ma joie, mon contentement, des souvenances agréables, diverses assez dures parfois, plein de rudesse, mais jamais d’une énorme tristesse. Bref, quoi dire de plus ?
Je suis entré dans la vie et j’ai découvert l’entourage avec énormément d’appétit, puis de soif pour mon éducation… Mais tout ça, c’était hier, on a oublié de me nommer, cela m’est bien égal, on m’a affublé d’un numéro d’ordre social (avec des chiffres et des lettres) pour la médecine du corps, les assurances obligatoires et les administrations, c’est bien suffisant ; maintenant, j’ai un âge, vingt-cinq ans ! J’ai appris un métier, je suis mécanicien dans une grande usine, je dois entretenir les moteurs des machines ; les sons de la vie ne résonnent plus au-dedans de moi comme avant, je considère cette existence fade et pleine de misère, je ne sais pas encore combien de temps je resterai, mais si je reste ce ne sera pas toujours pareillement, je changerai mon emploi, de lieu et de moment, pour de meilleures manières de vivre assidûment ; accaparé, je le deviendrai, pour mêler la joie à mes inventions, les délires et ma foi. Ce présent me pèse, entendez-vous, mon âme demeure simple et sincère, un désir de rompre avec les détresses… J’ai rencontré une femme, elle me comprend mal et me trouve assez bizarre pour ne pas aimer comme elle souhaiterait que j’aime ; elle estime que mon allure ne représente pas celle d’un homme, comme elle se l’imagine, et comme la société en a défini les traits, viril, fort musclé et beau comme sur les affiches et dans les films à rêver avec un excellent métier à la clé, une magnifique auto… Elle respecte assidûment tout cela et s’émerveille dès qu’on lui fait la cour… Nous sommes restés amis, car je crois bien l’intriguer, et cela la retient ; je ne parle pas son langage ni ne la suis dans son univers, mais le mien semble la tenter un peu, elle en a peur, c’est un inconnu ce monde qui se voit dans mes yeux, à chaque fois quand elle regarde au-dedans d’eux !