(texte manuscrit - du 6 août 2018 à 9h10)

—> à propos de nommer
—> mais qui est « je » ? (à clarifier entre narration et monologue, utiliser éventuellement les dates et heures du temps qui passe ?)
—> ajoutements, autour et sur le récit
—> au début prendre quelques idées pour les préambules

Je ne m’émeus plus guère de mes misères morales ou affectives, elles sont vaines et sans attrait, aucune ne peut augurer d’une larme, c’est fini ce temps des alarmes où je pleurais pour un moindre drame. Ma petite personne n’aide plus ce mélodrame si facile, l’apitoiement si docile. Je n’ai plus le temps des larmoiements ni des états d’âme, je regarde maintenant avec une froideur qui me déconcerte, ma raideur et ce monde acerbe sans cesse en alerte à cause de quelques conneries (accomplis sans pudeur), celle des formes me ressemblant. Merci de (pour) ce chambardement, je participe en faisant aussi semblant, pour ne pas ameuter les foules, des prétendants à un crime possible ici ; regardez par-devant, il est là tout content, ce meurtre (meurtrier) tout pimpant !

« Pfft ! Qu’est-ce que j’en ai à foutre de leur “renommée”, ils voudront me renommer, moi qui n’ai plus (pas) de nom, c’est comique ! »
Raconter la chose ainsi, un plaisir de l’esprit, un à côté d’une autre vie, mais pas de la leur. Ces accents de sa misanthropie, son râle détestant : « Ah ah ! Vous n’en aurez pas le temps… »

L’histoire de l’élaboration de cette narration fait aussi partie de la narration : ses redites, ses retraits, ses erreurs, ses renoncements, ses agencements, tout y est mis ! D’abord parce que cela m’amuse, d’explorer toutes les formes, tous les possibles ; quelques instincts poussent et je ne m’y oppose pas, je fonce au-dedans.
Raconter plusieurs histoires en même temps ; trouver ce qui résonne et produit une harmonique. Puisée dans tous les registres, la science infuse arrive ou ne vient pas, on concocte avec ce qu’on peut, de toute façon on est le pantin de service de ce qui s’immisce au creux de votre cervelle et du jeu qu’elle glisse sur les devants de notre carlingue, la masse qui nous bouge, le truc de chair animée, le p’tit véhicule de nos transports.
Oui ! Il bouge encore, tant qu’il n’est pas mort sous de vilains dehors.

(à 16h27)

Voilà ! Il faut nommer à bon escient !

(à 19h27)

Ce qui me gêne dans votre façon de nommer, c’est qu’elle ne me raconte pas la véritable histoire de celui que l’on veut nommer ainsi, cela sonne comme faux. Le véritable nom devrait être celui de votre racontement. Il sera court à votre naissance, peut-être, et s’allongera au fur et à mesure du temps passé, chaque jour apportant une suite à votre nommage premier. Votre premier nommage hérita pourtant de tous ces ancêtres depuis le début des temps, depuis le début de ce qui vous compose. Chacun raconte la même chose, avec une nuance, la variation inspirée par sa présence, le possible qu’il incarne, c’est ça le nom véritable, ce n’est ni un son ni un mot, il est inscrit au creux de sa chair, comme un atome crochu, dénote d’une caractéristique unique, un geste, une manière de se déplacer, un clignement de l’œil, peut-être une image frelatée, qui sait ; certains auront des masques, c’est bien normal, c’est dans la nature, et elle ne cesse de nous leurrer, en permanence. Elle fausse une identité, brouiller les pistes, alors le nom de votre pièce d’identité, il passe un sale quart d’heure ; bien sûr, c’est très facile de le changer, alors que celui de votre chair, votre nom raconteur de votre histoire (votre réalité), cette information que l’on voudrait masquer parfois, ne pas tout dire, en laisser pour soi, cacher le plus profond de soi, protéger un grand secret… et savoir mentir. Tous les noms des pièces d’identité, des passeports, sont des mensonges éhontés, ils masquent une réalité pas forcément bonne à révéler. Dans cette histoire, ce racontement, un véritable nom sera révélé. À lui tout seul, il raconte le parcours d’une branche, une ramification du vivant et pour le nommer complètement, vous devrez lire tout le livre, parce que c’est son unique racontement : un nom véritable.
À la fin, une vieille femme le nommera dans un résumé qui dit tout : est-ce que tu liras tout ? (Ou : le liras-tu en entier ce nom qui te raconte ?)

(À 22h42)

De la peinture, de la teinpure je dis ça quand je suis abruti et rigolard.

Peindre sur le sujet ne vient parfois au gré d’une inspiration, mais sans cesse je défais, je dénature, j’enlaidis ; l’essentiel et défait vraiment, je ne m’éloigne trop et il faut recommencer à zéro.
Je n’ai pas trouvé le trait, la touche essentielle à mettre, le reste est superflu, l’exactitude de la ressemblance est sans intérêt, il faut retrouver la forme sous-jacente qui transparaît ; si l’on n’y arrive pas, il vaut mieux changer d’art ! C’est ce que j’ai fait, je ne trouvais pas cette représentation ultime, sans fard, sans fioritures, la touche exacte, un geste qu’il faut travailler au moins quarante ans pour l’atteindre (à la perfection) et je ne l’ai pas trouvé la plupart du temps. J’étais insatisfait et je le suis toujours. Parfois je reprends un tableau, mais j’enlaidis et je me maudis ! Je n’aurais jamais été ce peintre heureux. J’ai bien fait d’abandonner la recherche de ce trait, cette touche essentielle m’aurait usé jusqu’à la moelle. Non, il n’y a que l’écriture où je puis atteindre un ultime trait, le verbe, la prose, le décor, la pose sans cesse, j’y défais de cet art les usages et la grammaire insidieuse ; sans cesse, la phrase arrive sans crier gare, ôte le voile, et je dépeins plus que de raison, ça coule, ça bave, ça déteint jusqu’à me perdre.

(Le 7 août 2018 à 0h15)

Frénésie du portrait automatique ; ou plutôt, cette impossibilité (de faire autrement) de ne dessiner que des visages le plus rapidement possible. J’en ai réalisé des milliers comme un exercice familier, des séries appelées « graphitis », ce seront les derniers gestes de la main. Impossible de faire autrement.

(Scanner les quatre dessins de visage)

Ce geste devient comme un miroir, pour saisir un regard, une expression, un reflet pour mille écritures, sans cesse, je le refais.

(Le 7 août 2018 à 11h45)

Il est une description intéressante dont je peux vous parler, au sujet d’une famille que j’ai côtoyée un temps et dont les carences affectives remontent à bien longtemps.
J’ai connu le père et ses enfants, mais peu la mère ; il n’y avait rien à en dire d’autre que sa modestie et sa coquetterie effacée et son sens d’une harmonie de l’agencement, son logis suintait le trop propre, le rangement impeccable. Cela masquait aussi, ce manque d’affect dont je vais vous parler.
Les embrassades confraternelles y étaient rares, voire inexistantes, la carence se voyait déjà là.
Un microcosme où parfois une douceur aurait été bienvenue. De femme, il n’y avait que la mère et c’était déjà une explication, ce manque de courtoisie des sens ; un repère qui rassure, comme une tendresse, je vous l’assure. Autant dans d’autres milieux où les filles étaient présentes, cette tendresse s’exprimait avec aisance, sans aucune gêne. À moins qu’un drame eût lieu : un viol éventuel ; cette violence coutumière, dans certains endroits, de cette description-là n’en ayant pas l’expérience, je n’ajouterai rien à ce sujet.

(14h50)

Oh ! Nous pourrions vous parler à l’inverse, de ces groupes où règne une symbiose, une harmonie, un amour convivial dirait certains. Mais ces groupes là font figure d’exception, ils ne sont pas la règle commune.
Non, je veux montrer dans mon exemple, ce que je constatai : le transport d’une carence au creux des générations (ou : d’une génération à l’autre), et le déroulement d’un affect perturbé par un manque. Soit, le groupe s’en arrange, soit des individus le vivent mal, soit cet affect est reproduit presque génétiquement aux descendances futures.

(ajout électronisé à 15h50)

Mais j’exagère peut-être, une grande part de l’éducation et des mœurs du moment vont avoir une influence certaine. On ne peut transmettre que ce que l’on a appris, que ce que l’on connaît déjà, il est très difficile d’apprendre aux autres, de prétendre apprendre aux autres ce que l’on ignore soi-même ; là est tout le problème !

C’est exactement ça que j’ai constaté au sein de cette famille handicapée. À tel point que les encouragements réciproques et l’intérêt porté à l’autre ne s’exprimaient pas. Il y avait comme une rivalité masquée, un désintérêt de l’expression de l’autre, un désamour flagrant, une pudeur mal placée. Comme chacun était empêtré dans un apprentissage de la vie assez laborieux, cet affect nauséabond rendait les choses pénibles. La sensation, que chacun avait raté sa vie, où menait une existence plutôt médiocre, cela surnageait dans leur esprit et à aucun moment ils n’éprouvaient le besoin d’en parler, presque comme un interdit, une carence était là aussi. L’idée de vider son sac aurait été si violente, qu’il était préférable dans ce cas, que rien ne soit dit. Qui peut affirmer au moment de la vieillesse : « je refais ma vie ! Parce qu’elle fut tout le temps ratée ? »
C’était comme une sorte de pudeur mal placée, oui, mais dans ce genre de choses qui peut dire où est la normalité. Je crois bien que chacun se débrouille comme il peut à travers les embarras d’une vie courante pas toujours souhaitée. Le plus chanceux sera toujours une exception, une source d’envie, des afflictions… nous ne savons pas vivre dans des communautés dépassant les quelques centaines d’individus ; c’est trop bouillonnant, trop conflictuel. Et les mouvements de masse, les prises de pouvoir de certains sont légion quand des peuples trop nombreux se trouvent être gouvernés par des malins sans scrupule. L’époque des chasseurs-cueilleurs de nos ancêtres il y a plusieurs milliers d’années était beaucoup moins conflictuelle, les guerres n’existaient pas et l’intérêt du groupe, si petit soit-il, il ne dépassait guère quelques dizaines d’individus, à ce stade, un art de vivre semble possible. Le nombre trop important de nos communautés s’avère bien problématique. Alors, quand le problème existe à l’échelle d’un groupe familial, le remède me semble bien aléatoire quand il faut tout reprendre depuis le début, avoir le courage de tout recommencer, qui peut dire « je voudrais bien essayer ? », cette redite est volontaire.