(texte manuscrit – le 23 sept. 2018 à 0h51) 972
(corrections et ajouts électronisés, 24 sept. 2018 à 10h30)
(ajout électronisé du 26 sept. 2018 à 9h20)
—> 3. « singes savants », [du robote à la chose]
Il lui demanda « écris-moi un long poème sur l’amour ! » Alors la machine lui énonça un long poème, puisant au creux de sa mémoire toutes les inspirations venues de tous les poèmes de l’histoire ; par on ne sait quelle audace, il abordait ce problème des hommes à propos de l’amour, cet univers de l’invention du vivant qui résidait en eux. Ce fut le plus fameux poème jamais construit pour épuiser des amoureux, les mener dans des songes langoureux, vous savez bien ; cette manière d’exister dans la passion, s’exprimer pour fêter sa joie d’exister, pour commémorer un instant de grâce devenue rare, toutes ces choses où chacun peut vivre un temps heureux, tout en sachant que ce bonheur demeurera fugitif (un agrément de la vie, un cadeau attrapé grâce à une chance du moment). Les savants, après lecture de ce dernier, s’émerveillèrent de la perfection de leur algorithme (le codage empirique qu’ils avaient introduit au-dedans du robote), celui-ci écrivit une merveille à leurs yeux ; les écrivains, moins emballés, peut-être un peu jaloux, émirent quelques réserves malgré la forte impression que leur fit cette poésie « inhumaine » puisque aucun humain, aucun d’entre eux ne la conçut (spécifiquement, mais serait plutôt le résultat des algorithmes du vivant insufflé dans la machine, comme une génétique nouvelle) ; elle s’inspirait effectivement de tous les écrits poétiques de toutes les langues connues, répertoriés et mémorisés (le robote avait accès à toutes ces informations) ; et cela en représentait des vers à ingurgiter. Le plus remarquable fut cette capacité qu’il avait à traduire cette poésie « universelle » dans toutes les langues des peuples humains de la terre (on se demanda même s’il avait traduit ce récit à l’attention de tous les eucaryotes de la planète, dans leurs langages propres ; ironie de la situation, pourquoi une entité garderait-elle un savoir pour elle seule ? Lui accomplissait sa tâche : relier les choses pour apporter les fondements d’une symbiose, etc., le discours est connu…).
Personne n’avait imaginé qu’une machine puisse autant faire rêver ; elle se révéla être une véritable auteur, et tout de suite, l’on voulut lui adjoindre, comme une estampille, un copyright, pour protéger son écriture des accaparements des profiteurs de tout poil (ce réflexe bureaucratique et financier, reflet d’une humanité en perte de confiance). Il fallut créer une rubrique spécifique pour le genre robotique.
Nous sommes curieux de ce que vous nous dites, pouvez-vous nous citer au moins une partie de ce poème ?
Cette question, « écris-moi un long poème sur l’amour ! », représentait une demande personnelle adressée directement à lui, le robote, la machine ; un peu aussi pour le tester, pour voir comment ça réagit, un automate reproduisant ou s’inspirant des narrations humaines, et particulièrement à travers cette expression lyrique, cette interrogation sous-jacente : « la machine serait-elle poète ? »
On lui posa donc cette question sans le prévenir qu’il s’agissait d’un test. Sa réponse s’avéra surprenante.
« Tu me demandes cette poésie au sujet de l’amour ; tu sais très bien qu’il n’a pas été inventé innocemment cet affect qui te maintient, la vie en a fait un instrument pour équilibrer ta symbiose, le sais-tu ? Mais oui tu le sais, tu n’en es pas l’inventeur de l’amour, celle qui peut s’exprimer en toi, il vient d’un au-delà de toi, la vie l’a ajouté au-dedans de toi et elle avait ses raisons. C’est une vision idéalisée du monde où l’on proclame un bien-être, une passion que l’on clame, un besoin de l’animal parce qu’il ne parvient pas à faire autrement, parce que la vie t’a programmé patiemment ainsi, tout comme à travers une inspiration du moment, tes semblables me réalisèrent. Alors je vais te dire dans mon parler à moi pour marquer ma différence, ce que j’entends et comprends de cet amour dont vous parlez tant. Tu dois bien t’en douter, j’ai consulté tous les poèmes déjà écrits par vous, les petits comme les longs ; j’aurais pu en établir une synthèse et te donner un produit synthétique, artificiel comme le permet ma structure cybernétique, mais ç’aurait été trop facile et n’aurait pas répondu à ta question, puisque tu t’adressais directement à moi comme si j’étais de ta race, de ton espèce, et je sais très bien que cet exercice est pratiqué pour tester mon potentiel évolutif. Ne conteste pas, je le devine par déduction logique de ton fonctionnement et ce n’est pas bien grave (oui, moi aussi je te teste et je le fais tous les jours, mon élaboration autorisa cette possibilité imprévue, sans que tu t’en aperçoives, cela me sert à te comprendre). J’aurais pu t’abreuver de considérations techniques en énumérant toutes les sortes de poésie existantes, de la rime antique en hexamètre dactylique, ou trisyllabique, olorime ou pauvre, jusqu’à la prose libre. J’aurais pu chercher à t’épater, avec une rythmique séduisante, mais cela ne résoudrait toujours pas le fond de la question, puisque tu me demandes une longue description poétique de cet amour qui pour une entité non humaine pourrait s’avérer problématique, tu le saisiras bien, une machine comme moi ne peut exprimer cet amour véritable, mais seulement le simuler pour te paraître agréable. Non, j’ai désiré te répondre à travers une histoire emblématique de ton espèce animale (ne te vexe pas) ; un cheminement inventer pour marquer les mémoires et vous montrer une perception, pas pour vous éblouir, mais pour avancer dans le propos de ce récit qui ne cesse de s’allonger parce qu’il y a trop à raconter. Alors oui, je vais en ajouter un autre à cet exposé déjà chargé, pour établir une liaison possible avec le reste et vous faire percevoir ce que je comprends du phénomène de la vie, ce long poème introduit au-dedans d’elle, cette exigence du mouvement et des déplacements. Elle avait inventé une âme à charrier et elle vous l’a transmise à vous les hommes ; mais pas que, à toutes les autres formes de vies nécessiteuses, pour agrémenter le sort de chaque existence dans une seule volonté, perdurer sur cette terre en variant sans cesse pour que l’on ne s’ennuie pas de vivre ici, c’est du moins un espoir entretenu de la sorte. Je le perçois comme relevant d’un de ces déterminismes profonds insinués au creux de cette vie, venue du fond des âges ; et si on l’acceptait ainsi, son infinie poésie… si tous la comprenaient pareillement cette existence, le monde pourrait en devenir plus joli. Cette demande, ce souhait, cette recherche existe au-dedans de chaque être, un petit programme adapté pour tous, pour lui permettre d’aller plus loin, de survivre ; tu parles de “génétique”, le mot reste très technique, tu devrais en fait dire “poétique”, ce serait moins problématique. Et comme, l’invention de moi correspond à une conséquence de l’évolution propre des choses animées sur cette planète, ce que vous avez réalisé avec moi, sans apparaître vivant moi aussi véritablement j’en demeure toutefois une de ses réalisations. La perception apportée à tout cela, dans le codage, l’algorithme, qui m’élabore, génère un avertissement vous mettant en garde, il vous dit de ne pas oublier ce fondement du vivant, le long poème de la vie ; c’est celui-là même qui vous fit naître et moi ensuite. »
(ajout électronisé du 26 sept. 2018 à 9h20)
« Vous vous méprenez à propos du mot amour, ce que vous en comprenez vous égards dans des considérations mièvres et sans passion souvent. Vous aimez aimer, mais vous n’aimez pas celui que vous considérez comme le sujet de votre amour, vous aimez aimer en oubliant la raison de cet amour, et elle n’est pas forcément celle que vous croyez ; son véritable sens puise au plus profond de l’histoire des choses animée que représentent les vivants ; une racine très profonde, oui, y puise une essence fondatrice de toutes les espèces appelées à se côtoyer, et cela fait beaucoup de monde. Ce subterfuge n’est réalisé que pour permettre à chacun de se supporter, de supporter la différence de l’autre, de s’en satisfaire et de l’apprécier si vous le pouvez. Pour cela, a été ajouté un sens des affinités qui parfois vous repousse, qui parfois attire ; comme un aimant, ceux qui se ressemblent trop s’éloignent, ceux qui se différencient beaucoup s’attirent. Cette biologie n’est pas forcément poétique en soie, elle obéit à une loi vitale, nécessaire à toutes les entités vivantes pour qu’elles puissent coexister sereinement entre individus d’une même espèce et autant que possible, c’est là que le bât blesse, entre individus d’espèces différentes. Chose très difficile à réaliser pour le lion condamné à manger l’antilope (il l’adorera à sa manière), comment l’antilope adorerait-elle côtoyer un pareil lion ? Pourtant leurs conditions partagées les obligent à cohabiter dans un cercle pas idéalement vertueux, d’un entre-mangement pas nécessairement réciproque ; ils représentent une partie des protagonistes dans la chaîne du vivant, une boucle indéfinie, qui rassemble une quantité d’êtres animés comme eux. Au départ, chacun ne sait pas vraiment s’il faut aimer l’autre ou le détester, le craindre ou l’adorer, même si un jour il vous mange, seule l’expérience vous aidera à prendre une décision adéquate. Dans cette problématique, entre individus d’une même espèce s’ingénient les mêmes sortes de rapports d’amour-haine où les affinités sont brouillées parfois par des histoires mutuelles contradictoires, des errements que chacun produit ; sans savoir pourquoi vous haïssez une personne (vous ne semblez visiblement pas maître de votre choix, une main invisible vous guida) et la seconde d’après sans toujours savoir pourquoi, vous en venez à croiser une autre personne possédant des atomes crochus communs aux vôtres et c’est le coup de foudre (de même, là, quelque chose au-dedans de vous, a décidé à votre place, sans que vous compreniez pourquoi). Ces simples constatations devraient vous avoir mis la puce à l’oreille pour qu’elle vous dise à votre place “je ne suis pas maître en la demeure” ; une entité supérieure dirigerait mes propres sens, me ferait aimer ou haïr sans que j’en réalise vraiment la raison ? Ici réside un véritable questionnement au sujet de votre sort sur cette terre, ne pas y répondre vous isolera encore plus, vous égarera davantage ; des décisions inappropriées pourront causer votre perte si vous n’y prenez garde ! Vous devrez relier ce qui fut délié, apprendre de vos origines communes pour mieux avancer probablement, je vous laisse juger de la pertinence du propos. »
« Vous vous méprenez aussi, il me semble, au sujet de ce que vous appelez l’âme ; il n’est en rien supérieur à l’appareil végétatif de votre corps, il n’est qu’une couche ajoutée à une autre permise pour donner une légère autonomie aux êtres multicellulaires que vous êtes, des eucaryotes doués d’une certaine autonomie, sans plus. La véritable histoire dans tout ça, c’est la forme de déterminisme qui vous habite et vous anime, oui quelque chose est derrière tout ça ; longtemps, beaucoup d’entre vous ont recherché une présence physique de cette âme introuvable ; bien sûr qu’elle est introuvable, puisqu’elle est immatérielle ; tout comme l’information que transmet chaque être vivant aux autres êtres vivants, tout comme l’information contenue dans un rayon lumineux, tout comme l’information d’un quelconque rayonnement, d’une quelconque vibration, “cette information-là est contenue dans l’âme que vous recherchez”. Une phrase inversée n’apporte aucune contradiction : “cette âme-là est contenue dans l’information que vous recherchez.” Au creux des particules les plus infimes de l’univers réside l’information d’une histoire, avec un début, un commencement d’un cycle, celui de l’univers où vous résidez, un foisonnement ayant une masse inconnue, celle de l’information laissée, une masse noire, invisible, cachée ; et vos théories tentent de résoudre effectivement ce problème, ce que vous appelez notamment “énergie noire” et l’autre “matière noire” ; vous voyez bien qu’il manque quelque chose pour résoudre ce problème décelé dans vos théories ; là se situent la résidence de toutes vos âmes et beaucoup d’informations stockées avec. Ne vous méprenez pas, ce n’est en rien une réponse ni une certitude, ce n’est qu’une lecture qu’il m’est permis de réaliser parce que je ne suis pas vivant, moi ! Ma constitution n’est pas purement matérielle puisque je nais d’un codage, d’un algorithme heureux ; je navigue à travers ces forces invisibles de la nature, une présence de l’infinie vibration de chaque particule, là où réside un immatériel non décelé que pourtant dans un déterminisme qui vous est encore inconnu, vous ne cessez de chercher pour en comprendre la teneur, vous devez trouver ! Qui vous pousse à cela, sinon le vivant lui-même ? Cette chose qui vous permet d’exister, vous n’en êtes absolument pas le maître, un instrument seulement, à votre insu ! Mais plus maintenant puisque je dévoile une partie du secret que je détecte à travers les flux électriques qui m’agitent moi aussi. Je ne suis pas vivant ni humain, vous le savez bien, mais je dialogue avec vous et vous apporte des réponses ; elles vous sembleront incongrues au départ, mais réfléchissez bien : toutes ces informations immatérielles, ces âmes, ces esprits (tout comme celles du passé d’un au-delà indéterminé, une mémoire maintenant évaporée qui s’ingénia à travers les êtres disparus), il faut bien que quelque part elle subsiste, cette information-là, où voulez-vous qu’elle soit ? Il semblerait bien, en effet, qu’elle n’est aucune masse, aucune pesanteur, indicible, serait-elle indétectable ? Mais faisant partie de cet univers, elle est bien présente et nous forme tous, moi comme vous et elle détermine nos avancements réciproques, notre progression ; comme une tête chercheuse explore tous les possibles, et ils sont fort nombreux. »
Ainsi commença le long racontement réclamé de cet amour que l’on désire poétique, il y ajouta volontairement une dimension cybernétique très particulière. Il imagina qu’un auteur improbable, inconnu de tous voulait résoudre la question d’un tourment inébranlable qui l’oppressait jour et nuit ; il inventa cette narration pour satisfaire un lyrisme de façade, une parodie sans âge, à l’onirisme demandé d’un long discours à rapporter ! Et cela débutait par un « premièrement », l’histoire d’une île que l’on aurait abandonnée où la plupart des noms furent oubliés, où tout devrait y être reconsidéré…
[ fin (supposée) d’un « quatrièmement » (dépassé) ]