(texte manuscrit – 1986-96, récits de partout et d’ailleurs)

—> 5. « ajoutements », récits antérieurs, primitifs, oubliés :

(récit original)

Je suis parti du village
d’un de mes ancêtres
mes barbares origines…
hommes de sang
hommes de labours
hommes de la terre…

Du pays ! n’était plus barbare d’puis longtemps n’a plus
z’été envahi, et reste comme ça long l’temps…
pt’tet’e qué qu’ ?…
des cent z’hivers et autant d’pluie, d’champs coupés à la faux ou
d’fruits pourris descendus, d’hommes valides abattus,
j’en pourrais dire tant…

… et faut bin dire, j’ai parcouru depuis, beaucoup d’ans
j’ai vu l’soleil s’coucher à l’horizon plus d’fois que c’t’homme d’la
ville, sans fatiguance, sans insistance…

    vrai dieu !
    J’ai marché avec le temps
    d’ailleurs ! moié j’n’étais point d’ici
    j’étais d’autre part
    enfant d’laboureur, qu’a z’été z’à l’école
    j’aimais pas les tableaux d’école
    j’aimais les matins claires et la rosée su’ l’ dos parfoiès
    l’immense registre du soièr m’donnait tant d’sons
    tant d’moments bons…
    j’aimais l’jour et l’chemin qu’allait vers c’t’école
    mais je ne l’aimas point, pas c’te classe, pas c’te soièr lasse
    et pas l’devoièr, pas l’maître…
    non ! j’aimais pas les tableaux d’école
    j’aimais faire des crevasses dans les champs
    pour choper des zoziaux z’ou des z’animaux
    les p’tits ! pas les grands…
    un lièvre
    deux faisans
    trois grives
    quat’e à quat’e
    plié, la tête par devant, épiant…
    j’avais la dent facile
    en ces temps-là
    nos viandes étaient maigres
    et la braconne d’usage, fallait bin vivre…
    et pis j’dois dire, j’aime pas dieu !
    qui nous gourmande
    et fesions crouère à des histouères d’corniauds !
    j’dois dire ! …

J’ai tout appris seul, sans fatiguance, et les filles ! c’té belles,
ignoraient mes répugnances, pour z’elles j’avais d’l’assurance, mais
m’suivaient point, z’avaient de l’ignorance à garder, n’avaient pas
d’besoins d’connaissance comme moiè… mais n’soyons point teigneux,
j’ai appris leur corps, leurs yeux et leurs caresses tout un temps,
j’ne vivais qu’pour ça… mais on n’vit pas qu’des filles, j’ai beaucoup
mis en gardance et mémoière m’vient quand j’veux souv’nance
d’Gaelline ou d’Fasseline… m’on appris l’amourance, c’est c’que
j’en dis… ça garde l’esprit tenace, force à vivre c’te vie, sans doute…
sans doute…

L’avancée
Alors, j’m’en allais les mains hors des poches
parce que dans les poches
c’est pas bon pour marcher
y faut balancer les bras
un bras d’un côté
pied de l’autre
puis l’autre bras
pied d’à côté
un deux trois…
y faut donner l’rythme
y faut pas s’fatiguer
y faut savoir marcher
l’est bin naturel ça !…

alors donc ! à force d’avancer
j’arrive dans un port
là où y’à d’belles roches à voièr
pou (les yeux
et des gens z’à voir z’aussi
d’assez bons pêcheurs j’croiès…
j’ai vu la mer
et j’ai dessiné un arb’e, un !…
l’lend’main ! j’chuis parti, la mer !… c’est beau…

j’ai fait la sieste dans un pré
avec rin su’ l’corps
ma peau est d’venue rouge
elle est restée à l’ombre tout l’hiver…
m’étais endormi, l’soleil a tapé ! salop ! vaurin ! crevure !
mais ça n’fait rin…
j’ai dessiné un aut’e arb’e
sans passion, j’apssais l’temps… faut bin…

Les arb’es vous donnent d’ces courbes, avé l’temps, façonné l’contour
an après an, branchant feuillant studieus’ment…
j’en garde beaucoup d’admirance, beaucoup d’respect voièr…
l’est un’ grande et terrib’e seigneurie c’te nature
n’a d’sentiment ni d’pitié, alle est sa’vère bin plu’ qu’l’hiver !…
nous sommes d’sa chair, avons d’sa cruauté et l’est tenace celle-là
l’a fait d’nous un’ sacré animal !…

    comme j’couchais diors
    et qu’il faisait beau c’te nuit
    les cris d’un rapace, un’ hulotte, j’croiès !
    m’fit lever… « lors j’ai vu les étoiles
    et la voie lactée, c’est commça qu’on dit !…
    moi, j’aime l’cri d’la hulotte
    hou ! hou !…

    au lend’main ! j’suis parti… faut bin partir parfoiès
    que j’me suis dit, faut pas toujours rester au même endroit…
    j’y achète des fruits et d’ l’eau
    j’ai d’mandé celle du robinet
    on a bin voulu m’en donner, tant mieux
    pas d’sources dans l’coin
    un temps d’soif, fait bin chaud…

J’ai bien vouloièr marcher toujours plu », l’temps à force m’arrête
par moment et r’pose mon satané corps, malgré moiè, malgré moiè…
mais dans la tête, j’avance encore, sans errance, sans insistance
painsiblément… cé doit être la bougeotte ! un’ sorte d’mal qui fatigue
l’crâne parfoiès… mais j’le soiègne quand j’fais r’pos…
j’l’y marmonne un’ contenance, un’ apaisante, ça l’calme !…

    entre deux fermes, su’ un’ pente
    bourrée d’arb’es et d’ fougères aigles
    à l’omb’e, dans la fraicheur
    avé un’ vue su’ la Vilaine rivière du coin
    pas très loin d’la mer… (on sent l’iode hein ! ?
    c’est comme ça qu’on dit !…)
    enfin là, j’ai posé ma couche, j’ai planté mes piquets
    j’ai bin grignoté un’ herbe ou deux, j’sais plus…
    y’a pas plu non plus et ronfler, ça j’ai fait…

    la première nuit, rin n’m’ fit l’ver
    sauf au matin, l’soleil chaud
    des sueurs su’ la peau, ça dérange bin
    j’m’ chuis lavé un brin
    et j’ai pissé su’ ma savonnette
    sans fai’e exprès
    mais ça fait rin… enfin comme d’habitude !
    j’allions point vous raconter
    ma vie ! tout d’même ! …

LA VENANCE DU VENT

Puis un jour
Puis vient l’vent, pou’ faire causette
avé moué, c’est mon copain !
et j’l’aime bin, dans toutes ses humeurs…
alors, un’ envie m’prend, faire un dessin
de c’qu’est d’vant moiè, j’aime bin…
les arb’es, les pins, les peupliers, la mousse
la fougère, du paturin, un trèfle… v’là bin !!
un’ bouteille plastoc !! dans mon décor
sacré sort de dieu n’y peut mieux !
l’y faut voièr c’qu’on veut voièr, c’est tout !…
et pis et pis des vers de terre, un’ branche cassée
des champs, bleu, jaune, vert, et l’iau d’la rivière
enfin tout quoiè !…
mm ! j’l’entends dire, l’citadin, l’villevipare !
SANS INTERET me dirait-il… sont drôles ces gens
myopes comme l’béton, aussi sourds et sentant pas mieux
c’est comme ça que j’le pense
et c’est comme ça que j’le dit…

(tiens ? un moustique su’ ma main
j’souffle, y r’vient ? ! … PAF ! non mais…)

    alors l’temps v’nant, l’temps allant
    l’soleil descend si bas si bas que j’le vois p’us
    fait nuit alors l’vent, mon copain
    est resté jusqu’au matin, il a plu un peu…
    pas mal la nuit… l’vent s’est enfui à la fin d’la nuit
    emportant avé lui un d’mes rêves, ou deux, j’chais p’us
    c’est un voleur d’mémoire et il vous r’file comme ça
    des jours ù il tempête, où y’en a marre !, tout d’un bloc…

Moiè j’chuis z’un vaurin, un’ bouche inutile, j’insultions la bonne âme
à vivre sans travaillance ni aûmone…
j’vis à tous les siècles, j’vis d’tout temps, j’ai point d’époque !
j’ai qu’du passage et d’la critique au fond d’la bouche…
j’dois dire que j’chuis très critique des autours d’moiè, faut dire !…
j’vis, j’vois et j’n’attends qu’un’ chose enfin, ma mort toute vieille
usé ! l’os crayeux, poussièranté, érodé… c’te vie-là, qu’ le temps m’a fait
j’m’en accomode, j’chuis un’ p’tiote cellule d’la terre qui grouille
seulitaire, sans s’taire aussi, v’là tout…
moué ! j’n’ai point honte d’mon sort, j’chais ma p’tiotesse su’ c’te terre
et d’ça j’n’en vaux pas plu »… me v’là bin humble d’avoi’ dit ça ! maint’nant…  

    et l’soleil a r’commencé son cirque, l’est monté monté…
    (ça m’a fait f’nir mon dessin tiens ? les couleurs sont
    pas mal, un peu vives, ça passe !… j’fais des progrès
    c’est bin p’tit gars, continue !…)
    en tournant la tête, j’vois un’ herbe
    alors on pousse ! que j’lui dis
    elle a fléchi un peu, pou’ dire oui
    j’ai voulu la cueillir, elle a dit NON !
    j’m’ suis excusé d’mon indélicatesse alors…
    et j’l’ai arrosé pou m’faire pardonner
    alle s’est mise à sentir bon tout d’un coup
    j’fus surpris ! mais, j’n’ai rin dit
    elle a du sentiment c’te petiote…
    ça les épate les gars des villes, ces trucs-là…
    ils n’en croyent pas un mot, mais ils n’en disent
    pas plu », par ignorance, j’croiès…

    Sœurette ! j’ai dessiné ton portrait, d’mémoière !
    n’l’ai point f’ni… mais j’y pense
    fignoler l’trait pis les ombres…
    t’as un’ allure très r’posée, pas nerveuse
    juste l’essentiel, c’est bin toiè !…

    évidemment l’soleil f’nit toujours par descendre
    si bas si bas que j’le vois p’us
    fait nuit encore un’ fois
    celle-là a fait taire les bruits, très fraiche
    elle a engourdi un peu tout l’monde
    et pas d’vent…
    l’matin, j’chuis parti
    crevé d’ma nuit et du lieu…
    un ! debout
    deux ! premier pas
    trois ! je marche… et j’me trimbale !
    y faut donner l’rythme
    y faut pas s’fatiguer
    y faut savoièr marcher
    l’est bin naturel ça !…

LA PATIENCE DU TEMPS
Une au’e foiès
P’us loin, j’ai voulu r’voièr la mer
les foules d’l’été étaient là, barbottantes, criantes
avé leurs fouillis d’sal’tés et d’bêtises
des gens d’la ville quoiè…
partout j’entends parler qu’d’eux, dans c’pays
sont les p’us nombreux ! et qu’ailleurs d’la ville
semble-t-il ? c’est l’désert ! à les croire
mais ch’parlais d’la mer…
un homme a j’té un’ pierre su’ un’ mouette
assise bin tranquill’ment su’ les bagues
alle s’est envolée, l’homme a ri, content !…
mais l’p’us lourd reste au sol
et l’p’us léger vol
c’est c’qui m’console, d’ce navrant spectacle d’homme !…

l’vent du large aussi était là, fidèle
balayant un peu la plage, en attendant d’f’é mieux
la prochaine foiès, c’est un patient, l’a tout son temps…

j’les voiès tristes c’té gens d’la ville
y traînent toujours l’même bric-à-brac
très salissants, très ignorante
y font du caravaning ! sans s’quitter, ensemble
y s’aiment sûr’ment bin pou’ s’entasser tant et tant…
quand alle vient la vacance, y z’ont un’drôle de partance
y vident leur ville, suivant tous un’ même ligne
arrivent l’même jour, un’ queue leuleu
des heures des heures durant, sous la chaleu’ du temps…
trouvez pas ça rigolo ! ?

j’les z’est toujours vu aux même z’endroièts
certains font des trous un peu partiout
pour z’y mett’e du béton au-d’dans et fé su’gir des blocs
pour z’y habiter, aud’dans…
c’est guère beau, c’est géant !…
ch’ais pas c’qu’est beau chez c’té z’habitants ?
y bronzent leur peau bizarr’ment, ça donne un’ brunure drôle !
paraît qu’ c’est un’ tradition d’la ville, un’ snobance !
un souv’nir d’la vacance, histoué d’vieillir sa peau
pour êt’e bien au-d’dans… c’est p’tête ça ? …

ces vacanciers d’un moiès
qu’l’on met dans des parcs, des gentils vacanciers !
y z’appellent ça des clubs de vacances !
c’est comme ça qu’on dit, là-bas…
je n’peux point rester en d’tels endroièts
j’veux pas m’intoxiquer…
qu’c’est triste c’té sols saccagés
fé d’cités, d’champs matés, d’plages organisancées
comme un’ honte d’la terre, qui faut r’couvrir
pour n’ p’us pouvoir s’souv’nir qu’on vient d’elle et qu’alle
est la pou’ nous sout’nir, pou’ nous nourrir… pas esclave !
seul’ment un maître qu’a la patience du temps…
enfin enfin, j’chuis parti
avé un’ bonne enjambée dans les pattes
y faut donner l’rythme
y faut pas s’fatiguer
y faut savoièr marchier
l’est bin naturel ça !…

L’pays n’est pourtant p’us barbare, c’est c’qu’on dit… mais j’me d’mande
parfoiès, si c’est bin vrai ? …
y’a bin longtemps qu’on n’a p’us z’été envahi, et reste comme ça, long
l’temps… p’t’ête qué qu’ ?… des cent z’hivers et autant d’pluies, d’champs
coupés à la faux ou d’fruits pourris descendus, d’hommes valides abattus
aux combats des roiès, des princes, des seigneurs… ou d’gentiles filles
par là défleurées pa’ l’brigand mal venant, sans allère la marier, ni d’aller
l’aidier à son enfant’ment, s’en sont foutu, les femmes pleure et les
hommes tuent… partout l’on trouve de pauvres erres, en toutes voies,
par les campagnes, par les bourgs, partout dans la cité, jusqu’à mon nom
j’en porte encore les traces, de mes ayeux des p’us lointain
où bonne gens leur disaient
sur un bon bin civil…   

Ribauds, êtes-vous bien en point
les arbres dépouillent leurs branches
et vous n’avez d’habits point
vous en aurez froid à vos hanches.

A quoi vous serviraient les pourpoints
et les surcots fourrés à manches !
et en hiver allez si cranches !
vos souliers n’on besoin d’être graissés
vous faites de vos talons planches.
les noires mouches vous ont piqués
or vous repiqueront les blanches…

l’temps a passé, passé et l’blé s’coupe p’us comme avant, l’est bin moins
fatiguant maint’nant… l’gens d’la ville n’sait guère c’que c’est : faire
sa nourriture ! pour qu’il ait son pain quotidien, la sueur qu’y faut…
y’a d’l’outillage maint’nant, s’ont la machine automatique et mécanique
à roues Moissonneuse-Batteuse-Lieuse !, un’ grande invention pou’ l’paysan !…
et l’en faut d’l’hectare pou’ ces engins-là… ça marche trop bin, ça fauche
l’blé, l’céréale, autres et autres… y s’en font bin d’trop, bin p’us qui
n’en faut, tell’ment y’en a qu’les silos sont en dégorgeance, on n’sais
p’us où mett’e tout ça ! … et pou’ tout l’reste, c’est pareil, y’a trop
d’nourrissance dans les cultures…
l’on fé pou’ l’exportation communale, ça d’vient vite internationale, ça va
même jusqu’aux Amériques… mais n’vous trompez point, alle est pas gratuite
la nourriture !, alle va à c’lui qui l’achète, qui peut… c’lui qui peut
point, n’a rin, peut bin crever ! et j’entends dire qu’ailleurs y crèvent
bin, par cent et par mille, d’famine, d’faim, d’rin…
ça s’est vu ché nous, y’a pas si longtemps !, d’ailleurs les vieux racontent
encore… les ancêtres disaient la rage, la faim, la peste…
l’temps à nous d’ce jour, l’est bin moins dur qu’avant, c’est certain…
mais c’est d’tant produire qui rend l’esprit coriace et brutal, on parle
que d’argent…

On en met dans c’te terre, d’l’engrais zoté, d’l’herbicide, du systèmique,
du phosphate, d’la souillure, du pousse qu’une chose à la fois… l’on tue
l’sol, l’on fé d’l’intensif ! du rentable, du rend’ment, pou’ faire mieux
qu’le voisin, qu’le rival… et n’a p’us les mêmes bestioles dans c’te terre
ni dans l’boiès, ni dans la forêt… la rivière pleine d’silures, d’où
qui sort c’poisson, y dévore tout !… l’coqu’licot n’pousse p’us n’y peut
p’us, la génait trop l’produit d’la battue… la terre, ce c’t’usage, ça
la rend pauvre, alle aussi crie famine, on lui d’mande bin trop à c’temps,
mais qui l’entend ! ?…

N’avait point tout ça, ces choses c’progrès c’te modernité, mon grand’pée
y f’sait tout avé ses mains, simplèt’ment, et qué’que voièsins parfoiès
v’nait l’aidier, donner la main !… la cariotte s’en portait pas p’us mal !… mais
j’deviens marmonneux, j’arrête de maugréer, ça suffit comme ça, y z’ont
leur dose… et pis j’dois dire, chuis très critique des autours d’moué…

Dernière histouères
Un’ histoué d’antant

Allant allant, j’ai quitté les bords d’la mer
fatigué et marmonneux, c’t’état-là ça m’use !
fallait que j’me calme… alo’s, j’me suis
enfoncé dans les terres
là où y’a l’calme qui m’faut
là ou j’peux m’r’trouver seul avé moi-même
seul contre les bruits, seul sous la pluie
seul dans la nuite, seul avé d’aut’es vies
z’animaux z’et végétiaux, seul avé l’vent…
un hermiteux bonhomme j’deviens
pour tout un temps, un’ saison jusqu’à l’hiver
un moment bon, dans la paix d’mes méninges…

dans c’calme, j’ai trouvé un champ en friche
loin d’la route, loin d’tout
parfé pour’ moué
à c’temps d’la réfléchissance…
l’village à quéques lieues parfé !…
l’était un très grand champ, » lors
dans un coin, j’ai posé ma couch’rie, mon abritance
avé beaucoup d’satisfaction…
ensuite, comme j’avé’ du temps pou’ greuiller « vant la nuit
j’ai v’sité les lieux, jusqu’bin au-delà du champ…

pataugais tellement dans la réflexion
l’cerveau très cramonieux
un ch’min d’hazard, un sentier, m’fit sensation
très long, entre deux haies, assez hautes
ronces et fougères à l’appui
des crottes de moutions too l’long…
j’chais pas d’où elle est v’nue
sûr’ment d’l’esprit des lieux
un’ contance, un’ aventure, m’est v’nue en l’traversant
j’ai gardé l’odeur du moment…

c’tait un’ histoué…
aujourd’hui presque oubliée…

l’histoué du temps

« C’estoi en tems ou faisié mal et faim…
or marchier estoi penoble sur li voie
en tote faiz guaitié volleur et tyran…
or seigneurie estoi en guerre continuelment
et de malvais hobereaux avoient paier…
or lor milicie cerchier de bons serfs
tote bon hom por alere agarroier
en tote le païs, per li campania
per li bosc et forest
aporant fames en enfants
en lor povrete maisonnée
oserent bi metre feu a tote faiz
en bor passage, prirent les homs valides
et fame solide l’ont biolenté
et volaille a une lice ld’on esventrée
et mi en veste pro li en porter
        senz un merci…

c’estoi en tems de rage
et seigneurie et cestes hobereaux
n’estion point sages ni noblesce genile
or sesse bons srviteurs essont amandri
touz de froit, de faim baaille et n’ont
ni d’homs por aidier denz li campestre
ni denz li logis
or a li guerre les en porta à ja mès
et serviteurs qui que ço soient
en colère s’essont mi
et l’ont pris forches et couperets
contre ciste noblesce tote porris….

… c’est par c’chemin qu’y sont partis
et moiè, enr’v’nant, l’soleil dans les yeux
ébloui, j’avais comme d’l’inquiètude…
derriè’ mon dos, j’les sentias r’v’nir
la rage satisfaite
j’sentais mon cul rougir
à la fin, j’courus très vite
ça sentais vraiment la braise derriè »
j’té pris dans c’t’histoué, alle voulait m’garder
mais j’chuis d’ceux qui résistent
et j’ai f’ni par m’en sortir
l’ods fumant d’chaud…
ça c’est terminé par un’ bonne marrance
j’me suis bin amusé…

et pour fêter c’t’ histoué
j’ai fait un détour pou’ allère au village
y prend’ un’ bouteille d’cidre…
vivre pareillement qué’ques kilomètres
entre les champs
ça vaut bin son p’tit réconfort…
j’ai fraichi la bouteille à la source
l’temps d’cuire le souper
juste à point pou’ accompagner la lapée…

c’est bin naturel ça !…

Un drôle d’personnage s’approche de moiè
n’l’avais point aperçu tout d’suite
l’arrivait silencieus’ment… quand y’fut près d’moiè
très fort’ment d’ça voiè, y m’dit :
    « Eh ! toé l’homme rustre
    que fais-tu en c’t’ndroét
    n’sés-tu point qui l’y rode l’diaule !!
    ou un d’ses malins et qui vont t’faire croère et penser
    à des choses v’nues d’un aut’e monde vilain et méchant !
    pou’ t’fé fuire, t’apeurer, t’envoûter…
    n’as-tu point d’méfiance, homme ! dit moé ! tu croès ! ?… »

Qu’es’ ce que j’croiès ! ?, lui ou bin moiè…
j’en étais guère surpris d’son dire, d’ailleurs
d’puis mon’aventure d’hié dans les champs du coin…
j’lui racontas en souriant mon’histoiè :
que d’puis j’n’ai senti aucune peur en moiè !
que c’t’hitoié rabougrie pa’ l’ temps et toute viellotte
j’lai vaincu, battu et oublié d’puis, n’y songeais p’us
v’là qu’on m’relance là-d’ssus, « j’y ai tout dit
sans méfiance ni précautions, pourquoué don » ?…

y m’regarda avé des yeux ronds, comme effrayé
s’mit à parler un langage qu’j’ignore
voulait m’eimpressionner, faut croire !
y m’jeta même sûr’ment un sort
d’vait êt’est l’fou des environs, prit pa’ l’démon local ? …
y fit un tas d’gestes, y fit l’signe d’la croié
plusieurs fois… pis deux trois galipettes
un cri d’chouette, un danse incarnée divine, sûr !
un’ aut’e contance que j’ne compris toujours point
l’avait un langage d’envoûté et d’ces yeux !…

au bout d’un moment y s’enfuit su’ un pied
l’aut’e jambe coupée par sa disance…
j’l’ai suivi un temps, sans m’faire voièr
jusqu’à la grand’route où y avait un’ vieille femme
alle l’vit assez tôt et l’app’la fort’ment !
y cessa son jeu d’suite… (l’avait bin un’ trentaine
d’années c’t’homme…), la tête basse, les bras r’tombants
`y vint près d’elle, alle lui donna un pt’iot coup d’son
bâton su’ un’ épaule, pou’ l’faire avancer communément…
y n’ m’ont point vu, m’suis pas montré, juste r’gardé
s’éloigner l’couple, la vieille marchait gaillardement
l’avait point l’air d’un’ sorcière, l’était distrayante
même ! …
ça amuse l’existence ces rencontrances-là
quoiè dire d’plu’ ?…

Bestiaux

Pis alors la nuite !…
la nuit fut calme, des rongeurs ont grignotés autour d’moué
sans cesse dans la sombreté du soièr
j’ai salué l’un deux avé ma lampoule
y’la rin dit, deux r’gards et c’est tout
l’reste du temps y m’ont ignoré
ces rongeurs-là n’aimaient pas les étrangers
j’l’ai bin vu, mais j’nai rin dit…

Pis alors l’matin !…
un matin intéressant pou’ ses bruits
des croâ croâ d’oziaux noièrs, c’est très courant
dans l’pré d’à côté les moutions, bêêê bêêê…
salut ! l’nouviau jour tout gris ! qui m’disent…
et pis des tas d’aut’es bruits
qu’mes mots n’peuvent point dire
et pis l’vent… l’vent pis la pluie
fine, progressive, par vagues !…
un ciel hier bleu sans nuages
aujourd’hui en enuages sans bleu…

l’long champ où y’a ma couche
s’étend loin et varie beaucoup jusqu’à l’horizon
l’blé, l’bois, les p’tiotes gouttes d’iau, la grisaille
l’mauvais vent qui souffle, p’tit’ment grand’ment
et c’t’air qu’arrête pas d’éparpiller l’tout
l’est un curieux mélange dans ma tête
c’emoment-là… j’aime bien ça !…
pis c’te mouette éloiègnée d’la rive
qui vint batt’e ses ailes près d’moiè
alle s’moque d’moiè
pourquoué t’moques-tu  ? ! ..

« criii criii salut l’homme !
 que fais-tu hors de ta maison
criii criii de quoi t’as l’air
de rien de rien, pauvre homme tiens !… »
ces oziaux-là sont d’un vexant ! j’dois dire
d’nous voièr su’la mer, flottant painiblément
et su’ c’te terre, affrontant not’e lourdeur quotidienne
avé des efforts d’un genre sûr’ment des plu’comiques
y doivent s’dire ça ! quand ils nous survolent…
j’dois-ti m’en vexer ?, ni pensons p’us, chacun son sort !…
j’ai haussé les épaules et j’ai f’ni par l’ignorer…
alle n’resta guère longtemps, y pleuvait tant…

Bonhommiaux

… j’entends un’ sorte d’aéroplane
voguer au-d’ssus des nuages, on entend qu’un bruit
strident et monotone, doit-être un p’tit rafiot
pou’ un’ person »… c’est très moderne ! en c’t’époque
à la mode !… c’que j’en dis ? c’est l’bruit qu’ça fait
l’est pas très discret, j’trouve ça gêant…
… ah !… l’a ennui mécanique…
s’améliore pas… va s’casser la nique !…
l’est tombé dans l’iau sûr’ment, et l’a f’ni c’te boucan !
chuis content…

J’l’ai dessiné c’champ, pendant des heures
sans voièr l’temps approcher du souèr
y changea point, resta vilain tout l’long d’ la nuit…
c’te jour m’a montré bin vite tout un lot d’nuages
du divers en tous genres, couleurés sacrément
d’quoi étonner d’grands peintres du mouvement
pis des lignes, pis des nuances, pis du sens
d’la lumière d’ce ciel étonnant
qui qu’vous soyez
n’peut laisser triste
et qu’mes yeux régalés, n’oubliront point
c’te visage qu’le temps m’a fait…

et ! toi, l’citadin qui n’a point d’horizon
qui n’songe ni au ciel ni n’le voit
quand marche dans les rues d’ta ville
et qui m’fiche son parler
comme un’ normalité
d’son language plein d’sobriété
qu’en ferais-tu ? d’ce temps et d’mon voyage ? …

(j’imagine en habitant d’la ville, s’obligeant d’allère
en nature pour z’y vivre un temps, l’temps d’un r’pos
seulitaire, avé peu d’choses, juste l’essentiel…
r’trouver l’ancestrale des ayeux d’y’a très longtemps…)

R’trouvance du citadin

Des mouettes plein la gueule
du vent dans la voie
le soleil que je respire
la mer plein les oreilles
la sauvagerie entre les doigts
les pieds vagabonds
le sourire naturel
je marche comme une abeille
je butine de place en place
les couleurs que je teins
sur des papiers dégueulasses
où l’eau de l’air des embruns
s’y dépose très bien
mes chiffons d’orgueil humain
aux dires que je peins…

les vraies valeurs qui me retape
ne sont pas dans mes dessins
qui ne sont rien qu’un petit
espoir de vivre citadin
fuyant mes origines humbles
du sort qu’elles me donnent…
avec le petit pécule
que la vente d’une œuvre, un dessin
m’aurait donné
j’irai me faire déboucher les trous de nez
avec l’eau, la mer de l’océan si grand
et moi si petit…

j’entends au loin
les rumeurs de la ville
et le son des fêtes amplifiées
z’électroniquement… ca gâche un peu…
ailleurs, tranquille sur la rive
le vent souffle
et les oiseaux de mer
causent par instant…
je sens l’immensité de l’océan
et ses vagues et son haleine…
j’ai mis en mémoire
la rumeur de ces vagues
et sur le sable sur les galets
le roulis doux
incessant
de l’eau…
sur chaque grain
sur chaque caillou…
des nuages lourds passent
par instant
un grondement sourd, l’orage et puis le vent
et puis mes yeux humblement regardent…
                        admiratifs !…

Dans c’té cités modernisées, que j’nose guère habiter, là où qu’ça
grouille
avé beaucoup d’travaillance dans les doiègts, du d’voièr, d’la morale et des
r’gards lasses fatigués…
quand j’les voiès hors d’leur ville, l’marche rapide, l’yeux fix, ou alors
dans leu’ p’tite auto, su’ les routes noièrs d’bitumineux mou et collants
aux hausses quand tape l’soleil…
n’se met point au rythme d’la nature, la terre où qu’pousse l’végétal, et
des z’animiaux au d’dans… y n’voit rin ou très vit’ment passe sans voièr,
sans entendre ni r’sentir l’milieu, y veut pas s’calmer, l’rythme d’sa
ville l’rend ignorant, j’l’affirme sans gêne…
moiè, j’n’ai pas sa connaissance d’la ville, mais quelle importance…
j’n’ai pas son envahissance aveugl’e, hors d’chez-lui !, son ignorance fait
bin du ravage, l’a même convaincu l’paysann d’faire beaucoup pousser pou’ lui
et c’est c’aui s’passe, gâchant la terre, mais j’marmonne ! j’ai la r’disance
facile…

J’ai vu sa cité, là où qu’ça grouille d’monde, avé beaucoup d’seulitude
dans les r’gards aussi… trop d’monde à qui parler, à qui dire salut !,
avé qui sémamourer… ça l’déprime, ça lui fé du stress ! au creux des fesses
et la peut d’la bête traquée, j’l’ai vu, quand à un’ vieille dame j’ai d’mandé
mon ch’min, alle s’est enfui comme alle pouvait, painiblément, j’avais pas
la tête qui fallait, j’croiès bien qu’c’est ça ? ! … partiout y’a des rumeurs
qui pissent d’trouille… la peur, alle est comme ça !, parfoiès si près d’la
mort, dans la cohue des foules… un’ peur vieille comme l’monde et j’la
connais celle-là, bin trop !, partout où j’va, alle est là alle m’surveille…

La vieillissance

Au matin ! j’chuis parti…
l’vant mon corps avé un peu d’effort
j’avance !…
y faut donner l’rythme
y faut pas s’fatiguer
y faut savoièr marchier
l’est bin naturel ça !…

Su’ les routes de c’pays, j’ai usé tant d’pas, n’ p’us pouvouère les
ompter, y’en a trop…
l’temps m’a tout rapporté et j’ne trouve à dire qu’beaucoup d’banalités,
mes vues d’la lune et du soleil, l’vent si bon, et c’t’eau qui pleure
d’en hiaut, ou l’tonnerre qui braille, l’éclai’ qui brouille les grisailles
et met l’feu dans l’arb’e…

    C’est tout au long d’mes pensées
    qu’m’en vit à lorgner les côtes de c’te pays
    où maintes et maintes z’avaient l’roc d’beaucoup d’âge
    brisuré pa’ c’t’océan et son vent
    y avait un’ sacrée vision au-d’ssus
    jusqu’dans la brume du loin, très loin
    longtemps j’ai lorgné…
   
    l’vent n’cessa d’grandir
    ma couche si près d’la rive
    tout en hiaut, fièrt’ment perchée
    j’tais ravis ! ensorc’lé, airé
    grand’ment, ça oui !…

    faut dire, ma couche si près si près d’la rive
    c’tait un caprice d’la caler là si près, haut’ment
    quelle aventure mes ayeux, c’esouèr-là
    ah oui, tout c’te nuit-ci, n’ai point dormi
    ni d’œil fermé, ni l’un ni l’aut’e
    étonnament l’a t’nue bon c’te toièle
    mon abritance, ma couch’rie…
    et c’t’air bousculant, chahutant
    vrai ! p’tit dieu « quelle enfoirance mes ayeux »
    l’temps qui bouscule mes ignorances…

    j’en appelle à vous !
    c’té vent moribond, qui m’en a r’conté
    toute un’ histoiè, v’nue d’loin, sûr’ment
    qui la sait donc ? c’te contance
    l’ai dû l’écouter, forcement
    j’ai tout gardé dans ma souv’nance…

Histoué du pée

C’est c’vieux pée
qu’est resté auprès d’sa terre
aussi eusée qu’lui
et s’est r’fermée d’ssus à j’mais
c’te vieux chêne d’la vie…

c’nnaissez-vous
l’histoué d’ce vieux ?
qu’bin gens ont vu
m’nant au près son troupiau
et qui r’garde seu bêtes en r’pos…

qu’c’nnait l’vie d’bin d’arb’es
et du moind’e osiau…
y sait c’te terre, y sait l’vent
et sème seulitaire l’blé d’or
et l’blé muri qu’anvec sa faux
y coupe l’temps v’nu…

s’vez vous
l’histoiè d’ce vieux ?
qu’l’ temps u rapé
f’sant d’lui c’te pieu d’sséché
pis qu’se musc’es ont pris recine
“vec la terre…

auprès d’c’te montainge
là ! y’a son champ
et la revière dans l’silence
l’est tout en’ existence
qu’au r’pais dai plus d’cent ans
l’y gregnotte l’temps… allant…

‘coutez
l’histoué d’ce vieux
qu’tous l’jors
d’ce même geste r’commencé
mainte et mainte
y r’mesure l’temps qui s’sauve
                [qui court]

et qu’au souer, à la veillée
j’écoutions s’en r’fraisn m’en ‘érveiller
où s’grillent la saison
dans c’te breuses plein’ d’chaleu”
du feu qui r’pille
quanq qu’fé groué diors…

l’histouè
d’ce vieux
qu’à bin hurlé, quand…
y z’on t bleussé la terre
d’ses ayeux… e piq qu’en
d’la poussieure su’ ses blés…

‘vec leu z’engins du diauble
c’té fous insensés
au pic à pierre pillaient c’te terre
dans lui arrière
au d’engorge-poussieure
caussaient c’te balle vaillée
tote d’teinte claire…
qu’à force la montaigne, ah bin, o’ganisa !

c’té fous la pillaient, insensés ! …
quand alle s’fissura, la montainge !
on l’sut bin vite
tous les gens d’ la vaillée z’on fait
et lui qu’est reusté
pou’ soiègner c’te chai’ bleussée
d’la terre d’ces ayeux…

en bien trop d’eufforts
l’vieux attend la mort
d’sa terre aussi eusée qu’ lui
alle s’est r’formée à j’mais d’ssus…
vieux chêne d’la vie.
 

L’arrivance

L’matin m’r’trouva en dormance…
l’temps a calmé se r’montrances…
v’là l’jour et v’là l’soleil, chalheureux
tant et tant cuirant la peau
dans l’ciel, seul’ment !…

mais j’raconte, j’raconte…
c’té jours insouciants
où passions tant d’moués et d’ans…
z’on fait d’l’usage, m’ont tordu l’corps
idem à c’vieux, j’deviens rabouteux…
et l’temps laissant laissant
a f’ni par avouèr raison d’moiè…
j’avions tant marchié, tant d’pas après pas
y donnant l’rythme, pas à pas
sans fatiguance, pas à pas
avions appris à marchier, pas à pas
et allant, pas à pas…
p’tiot’ment, f’nissant…
usé grand’ment pa’ c’foutu temps
pas à pas, j’creusère tant d’chemins…
et avouère tant vu, envieilli, foutu temps…
moué ! pauvret bonhomme se mourant…
ma vie m’passère d’vant
pas à pas, p’tit’ment…
ne pouvions p’us la r’prend’e…
mes pas étions d’vant…
et moué, d’hier, m’élointessant
me mourant, usé par tant…
peu à peu, me décarcassant…
m’éparpillant…
m’y r’trouvant en c’te terre…
en poussière, y’eut rin à faire !…