(texte (??) - 30 mai 2011 à 1h43 - corrigé le 23 janv. 2018)

—> 5. « ajoutements », récits antérieurs, primitifs, oubliés :
—> (journal incomplet, fait de bribes et de récits antérieurs, il préfigure ceux du « premièrement »)

enfance
adolescence
adulte
vieillesse
enfin

Enfance

Tout a commencé ce jour incertain dans les premières années de sa vie, dans un pays magique où régnait la mémoire des ancêtres que l’on retourne dans des fêtes joyeuses pour les honorer et conjurer les interdits maléfiques, les « fady ».

C’était au fond d’une école d’apprentissage technique, derrière les ateliers, un tas de ferraille était là, comme résidu des exercices, les ratés des élèves, les déchets du travail apprit, la rouille dessus, comme une sorte de fin de vie.

Des enfants noirs et blancs jouaient dedans, malgré l’interdit des adultes, l’attirance de ces formes défaites était trop grande, le jeu inévitable et prolifique.

Il était là, il avait trois ans, fils de blanc, il y avait aussi une petite fille blanche du même âge et les petits noirs autour, ensemble ils s’amusaient à tirer sur les ferrailles en inventant des transports dans des jeux innocents.

Ce jour-là ne sera pas comme les autres, une idée soudaine trotta dans son crâne, un geste non réfléchi, une sottise ? Il veut lancer cette tige de fer vers la petite fille, il prévient, lui dit de partir, c’est un ultimatum, mais elle ne veut pas bouger et lui s’obstine, il la lance et elle est touchée en plein front. Elle pleure et s’enfuit vers la maison maternelle, il n’a pas la souvenance du sang…

Il sera réprimandé plus tard, il ne la reverra qu’une seule fois, les jours suivants, son front bandé…

Depuis, une sorte de déclic lui ouvrit l’esprit vers des interrogations inédites. Pourquoi donc ce geste ? Il savait très bien qu’en lançant cet objet, cela ferait mal à la fillette ; quelle drôle d’idée ?

Après son geste, quand il fallut rentrer à la maison, pas fière du tout et en longeant les ateliers interminables bordant la cour, ce fut un long remue-ménage dans sa tête, à chaque pas lui venait des monceaux de raison, des remords et des regrets aussi. Ce fut la première épreuve pénible de sa vie, plus rien dorénavant ne sera pareil, il avait grandi subitement, c’est le début de son éveil et la première empreinte devenue indélébile qu’il traînera tout le long de son existence.

C’était une pulsion inévitable, elle devait être accomplie, comme un geste inscrit depuis longtemps dans une mémoire indescriptible, cette sensation de déjà vécue, la répétition d’un accomplissement sans ampleur, un mauvais jeu d’enfant, une bêtise de l’âge et qui pourtant l’a ébranlé comme un premier appel du large.

Déjà il savait inconsciemment que son avenir serait atypique, sans pouvoir encore comparer son sort à celui des autres, comme une histoire étrange qui le guidait, sa vie ne faisait que commencer…

Plus tard, dans sa vie d’adulte, à maintes reprises, il put reconsidérer cet événement avec le recul salutaire de l’âge et de l’expérience. S’interroger à la manière du sage de la raison ou de la déraison des gestes et de nos choix, méditer sur cette phrase de C… « l’histoire ne repasse pas les plats ».

Le balai brûlé

Jouer à de savantes expérimentations, c’est cela l’enfance esseulée où tout est un prétexte à découvrir, quand la mère s’occupe aux ménages et laisse à sa vue, dans la cuisine, la boîte aux allumettes, vite la prendre et en craquer dans la buanderie quelques-unes pour mettre le feu à de vulgaires papiers, puis c’est la maladresse qui s’insinue avec un peu de vent, pousse la pelure enflammée vers ce balai de paille, sacripant ! Rien de tel pour une petite flambée, pensez-vous ? De la paille de riz. On s’affole, on but au pied l’incendie naissant, cela fait beaucoup de fumée, on cache un peu l’ustensile éteint derrière une rangée, à cet âge cela devient une folle aventure, la peur d’une réprimande, un terrible tracas, évitons toute présence ici, allons vers les grandes herbes devant la cantine de l’école, singer l’innocence, devenir un grand stratège pour un gros mensonge quand l’affaire sera dévoilée.

Les bêtises vous font ressentir des odeurs devenues familières d’une autre manière, il se souvient, c’était avant midi, on préparait le repas des élèves, dehors un feu de bois cuisait, dans de grandes marmites, une eau frémissante et laiteuse remplie de riz blanc. Cela avait cette odeur si particulière, inimitable et reconnaissable entre toutes qui lui a laissé une empreinte olfactive inoubliable à cause d’un balai brûlé.

Il restait là à regarder les femmes s’affairer autour des tables du réfectoire. Elles remplissaient les assiettes avec un bol plein de riz, faisant des rations en demi-sphères parfaites toutes identiques.

Il était frappé par la simplicité du repas, sans couverts ni pain, le manger se faisait à la main, sa vision d’occidentale s’émancipait au monde, après une douce frayeur, son apprentissage de la vie lui ouvrait des horizons incertains.

Comme ce dernier jour dans la grande île, déjà nostalgique et triste, à cinq ans, avant de partir, il prit un peu de la terre pour la mettre dans sa poche et la garder tout le long du voyage du retour en avion, et à l’arrivée, au pays natal, la sortir pour la déposer dans une boîte d’allumettes comme une relique aux pleurs, un souvenir de l’adieu au pays de sa petite enfance…

Adolescence

Peut-être la période la plus con de la vie où toutes les sensations vous inondent sans prévenir, il faut tout apprendre très vite et maladroitement parfois s’y perdre à en mourir très vite.

De ces années-là il en garde comme une rancœur, un goût amer, un déplaisir.

Déjà, qu’il trouve la vie
peut adaptée à ses manières,
et s’égrainent d’inexorables reproches
d’être ici sans avoir choisi
des peines que la vie a endurcies,
il grogne tout le jour
cent mots de dédains
pour punir son envie d’y mettre
une fin, fragile et pourtant fort,
qu’à force de tentatives il mûrit
ce qui lui enlève un peu de sa honte
lui hôte cette épine sans sourire

Adulte

Il se rappelle ce copain naguère, le critiquant où n’appréciant pas ses manières lui dit un jour avec un ton à peine ironique « t’es pas fini ! ».

Devait-il se vexer ? Il ne savait pas trop quoi penser sur le moment. Que lui répondre ? Dans « fini », on y trouve le mot « fin », quelle idée d’en finir, si l’on ne veut mourir ?

Dans cet inachèvement il y laisse tous les possibles, à son devenir, les erreurs comme les réussites, la joie et les faillites. Finalement, on y rencontre comme un espoir d’un accomplissement envisageable, une nouvelle façon de voir et d’être, ne soyons jamais finis !

Il ne sait plus dire, d’un amour, ce qu’il en enfanterait ; son puits s’est asséché à force d’y avoir puisé, à force de dilapider sa maigre richesse perdue le rend maintenant pire que le sans soif, il n’a plus d’appétit, ses larmes demeurent arides. Terrible propos propice à la fuite de celui-là, l’écoutant malheureux d’une peur, d’un achèvement, il court…

Cet assombrissement des idées, ce bannissement volontaire de la « vie sociale » ne servirait qu’une expérimentation sordide d’un désespoir nouveau, plus d’une mélancolie jouée avec les méandres tourmenteurs de la folie maîtrisée reste son propre soufre douleur, il ne sait qui en deviendra le gagneur. Et d’ailleurs, pourquoi vaincre à tout prix, pour y voir des ennemies partout, ou ses frayeurs, sa sorte de vie ou sa maigreur ?

Il ne trouve plus rien à dire ni passion ni histoire, cela n’exalte plus en lui de rengaines comme un édifice plein d’étoiles ; plus une chanson pour flatter son épuisement ; que vous raconter d’autre : son ennui de vous, de lui, de tout, sa nuit… Ce que l’on voit terrible, c’est son manque de tristesse ; ses joies ne durent qu’un instant, de petites fêtes ; le reste du temps, il s’oublie là, sur cet exigu lit à ne plus rêvasser et écouter le bruit de fond du silence, ce souffle des atomes qui oscillent, sonorité imperceptible, quand la rumeur du jour se fait entendre.

Aux femmes, il ne trouve que sa lassitude à proposer ; d’ailleurs, il ne leur offre pas cet ennuyant bâillement.

Le sexe est rabattu comme pour le dernier voyage, bien enrubanné dans sa couche textile, seulement parfois, extirpé pour la pisse mécanique, un vulgaire vidage de vessie.

Voyez la mélopée de ses tracas, le pain qu’on achète avec la lessive des habits, dans ces courses machinales des emplettes de la semaine et quand vient à manquer de l’argent, pour ces provisions sommaires, une diète secrète s’étrenne, il ne dit rien ; il ne fait que vivre sa rengaine.

Il attend le trépas, c’est certain, il se prépare, il n’apparaît pourtant pas comme un mourant, instant funeste inévitable de la vie, propre au renouvellement des corps, cet éparpillement des atomes, en vue d’une recomposition future, vers de nouveaux êtres…

L’orage semble se dissiper, les tourments s’évaporent, les nuits sans métamorphose, la manière d’être, tout se transforme !

Mais que devrait-il accomplir maintenant, changer de vie, changer de prose ? La rengaine s’avère bien lourde encore et nul ne sait. À son lit déplacé ne reste que des poussières vaguement balayées, son existence austère médit en d’impossibles propos à peine de mélancolie, une douceur de vivre en ce pays où les frayeurs d’antan sont parties depuis longtemps. Il inonde de son prurit ces instants.

Oh n’y voyez guère de zèle en ces manières, on raconte que la folie se trouve toujours là et guette ses moindres faits, ses plus petits gestes, la chanson douce des méandres de sa vie, un désespoir désappointé !

Quand, au matin, surgit le premier chant des oiseaux, il se dit « encore un jour de passé ! » et c’est à nouveau une naissance après les sommeils, tout s’éveille. Serait-ce aujourd’hui que tout ne deviendra plus pareil ? Goûtons à cette différence, fabriquons de ce jour une merveille, un procès aux défis d’hier, essayons le mot joyeux !

Il laisse se dissiper les vilains propos.

C’est drôle ce sentiment d’éprouver les profondeurs de la vie, au sein de l’esprit quand tout à l’heure il devra rejoindre les autres, aujourd’hui ou demain, pour accomplir des boulots non médités, ses tâches de la survie, du pain à gagner, la médiocre vivance des corps. Les besognes de l’astreinte, les obligations morales de la société, ce savoir de l’existence, il l’a un temps oublié, il l’exècre, il l’abomine. Ce sera dur d’y revenir, la vieillerie ne le trouvera pas en fête dans ces moments-là.

Non, cela ne peut être ainsi décidé ! Laissons encore les hasards de vivre, s’immiscer et prendre les devants, faisons de nouveau confiance à la fraîcheur du temps. Méditons sur cet antre-là, ses ornières, ses aléas ; une rumeur s’ajoute au matin, on annonce un ciel d’orage, c’est l’été et ses lourdeurs de passage. Attendez, restez sage, après les embruns du jour, il y trouvera ces signes d’un espoir, peut-être un nouveau détour.

Imaginez une petite trêve d’ivresse de sueur et d’eau pour ne durer que quelques jours, l’accoutumance d’une paresse saoule et pauvre, un cœur lourd au fond, et des dégoûts de ces journées entières à ne rien foutre…

Instinct de femme

Il y a aussi cette étrange sensation ressentie auprès de femmes ayant enfanté, comme une discorde sourde et hormonale de défense contre l’intrus qui pourrait souiller sa progéniture, un instinct primaire sans mots dits, des regards de dédain, une humeur sèche et haineuse aussi. Une gestuelle ancestrale des femmes de la tribu et ne lui reste que son étonnement, il n’avait pourtant rien dit, rien fait de précis, de très claire, ce n’était que de cet instinct animal et qui dégénère dans d’absurdes rumeurs fourbes.

Il n’y a pas de mots, des gestes, des regards, une désapprobation, un refus de contact simple, une brisure instinctive et inexpliquée, un acte de protection potentiel dans l’air, une mise en garde affective, les non-dits du psycho-quelque-chose-comme-ça !

Il a pris pour habitude de ne pas affronter ces êtres-là, s’en écarte, sa vie va au-delà, et ne s’attarde pas à résoudre la sensation…

À un certain âge, quand on a des manières d’être à la marge des habitudes de vie propre à son ethnie, il existe ce genre de conflits, « on ne peut plaire à tous », s’est-il dit. Il est temps de passer à autre chose.

Oreille

Et puis il y eut ce jour où dans d’intenses travaux, son oreille gauche perdit de l’ouïe. Un mal nouveau s’incruste, il faut opérer, il n’entendra plus jamais de celle-là, ne reste qu’un souffle lancinant et continu que la fatigue augmente et qui pulse avec les bruits.

La perception sera dorénavant monophonique et la provenance sonore indéterminée.

Cette nuit, le souffle insondable qui suinte de son oreille absente l’inonde et fatigue sa trogne en regardant ce film sur l’holocauste, sa vigueur en a pris un coup, « chacun s’arrange pour sauver sa pomme comme il peut » la morale de cette histoire c’est cela et les sacrifices ne servent à rien si personne n’est là pour les raconter, il se dit cela dans un aparté.

Le souffle monte dans le silence, cela va le rendre fou, c’est sa conscience qui l’interroge, le sonde, le menace ! Qu’a-t-il fait ? Que lui reste-t-il à faire ? De tout cela il n’en sait rien ; le saura-t-il un jour ?

L’immonde, pourtant lointain, lui fait rendre misère et il rentre dans une pauvreté qui l’atterre, faut-il vivre le martyre ? Il ne croit pas à cela !
Il s’invente une histoire, il est très impressionnable ? Pourtant au fond de lui une force indéterminée guide ses pas, serait-il ce pion que l’on avance dans la nuit ? Des égarés et des gens ont fui, lui, oh luxe inouï, il s’insurge dans un confortable petit lit ivresse des temps la dèche devient une richesse sa folie. Oh ! attaquez ! La pente est douce et il sombre lentement, sa peine est indolore, ses fruits stériles ; le froid gel dehors des idées veulent l’y mettre pour en finir encore, vous êtes pénibles, le souffle le gêne toujours.

La fatigue est lente sournoise et prudente ; ce nerf de l’oreille à gauche n’aboutit plus à rien, son cerveau n’admet toujours pas cette perte de lien !

Vous vous foutez de sa gueule, son sort ne me va pas bien, il est dans un profond désarroi, sa vie n’a que peu d’importance et il ne veut pas de plainte ni de geindre, à aucun apitoiement, aucune accusation.

Étranger à ce monde, toujours il a tété à cette sensation ? Aux premiers temps de l’enfance il en a pris conscience dans un songe inaltérable jusqu’à maintenant cette forte et présente substance à son esprit à toute son essence.

Que faut-il donc qu’il extirpe de ce corps mal fichu ? La bébête question philosophique profonde, la quéquette toute rétrécie, devant la justice qui se prononce « au nom des hommes ! », au nom de non ! des non sans nom ! il abrutit sa pauvre carcasse qui de partout peu à peu se casse.

Oh, risibles accents, dans le ton que faut-il y mettre ? Il a de pénibles impressions, faut-il se soumettre ? Plaît-il à la vie encore que lui-même ait oublié de naître, l’auberge des mille ruses ; sa tête, oh ! sa tête quel jeu tu lui prêtes ?

Un souvenir de café glauque, dans une gare au petit matin, la fraîche odeur des rails et des huiles chaudes du train, le crissement des roues sur le fer, le remuement des corps dans les wagons en goguette entre les aiguillages font des vaguelettes.

Souviens-toi de ces aubes où sa jeunesse espérait des lendemains à l’accueil enchanteur et à ces aisances que l’on dit valables !

Oh ! martyre des ombres ! ce soir, il a trop mangé le ventre tout boursouflé, la panse tout encombrée faite vomir tous ces apartés, qu’on lui apporte de quoi digéré ! Faites la fête à son estomac, qu’il intestine la rampe, vers ces murs fracas merdeux sur le trône honteux…

À sa hampe pousse un noir désir, fait de crampe, fait de lampe à l’éclairage nerveux froid et chasseur d’yeux, sa honte douce ; la gloire lasse attend d’un pessimisme hautain, sa joie devrait revenir s’abattre sur des entre-faits, à l’avenir incertain et douteux.

Doutez-vous qu’il doute ? Sans doute ! Il devrait s’en foutre et passer outre outre outre, mais que lui laisseriez-vous ? Des biens qui vous dégoûtent ?

—> voir version originale à la 1er personne : 5. « ajoutements », récits antérieurs, primitifs, oubliés : « zécritures », ce souffle insondable

Vieillir

La voilà la belle affaire, vieillir et puis mourir, une inéluctable condition juste pour y mettre le mot fin !