(parole électronisée – 22 mai 2019 à 23h33)

—> 1. « İl », le détachement, après le départ du scribe, 201.

Vous vous souvenez de ces maximes : « Ne laisse personne écrire l’histoire de ta vie ! » Ou,
« Lorsque tu écris l’histoire de ta vie, ne laisse jamais une autre personne tenir la plume pour toi. » Pourquoi donc ?

Ai-je bien fait de laisser à un scribe le soin de raconter l’histoire de ma vie ? À cette maxime, répondre je ne sais ? Si de celui-là qui raconte ta vie tu en fais ton ami et qu’il est plus doué que toi pour la raconter comme tu voudrais, cette histoire se terminerait par un merci ! Peut-être, tu douteras de lui, à la fin il y aurait une trahison et tu oublieras ce merci, comme une promesse désavouée, comme un pardon j’avais oublié quelle en était la raison, ce pour quoi je te l’ai rapportée la chanson de ma vie ; aucunement douce, elle a été, c’est peut-être pour ça qu’on ne peut dire toute vérité sans à la fin y perdre une amitié. Sur cela, j’ai longtemps médité et me suis efforcé de ne pas lui en tenir rigueur, ma vie, hélas, le lassa, j’ai fait l’erreur de trop longuement la raconter, c’est lui qui est parti sans un merci. Heureusement, il n’a rien pris, il a tout laissé, la moindre note, le moindre écrit, la moindre trace ; tout fut abandonné par lui, ni caché, ni détruit, seulement il est parti. Il ne restait plus que cette machine électronisée, ce robote très organisé qui depuis le début mémorisait la moindre de nos paroles, la mienne et celle du scribe quand il me proposait une narration sur les dits de moi. Devrais-je faire confiance à cette monstruosité cybernétique, que va-t-elle outrepasser, que va-t-elle abandonner ou transformer, aurais-je une raison de la juger, de corriger sa copie, sera-t-elle conciliante comme le scribe l’a été, saura-t-elle se soustraire à mes exigences si je les trouve justes, tant de questions non encore résolues ? Que m’arrive-t-il, je suis désormais nu et il me reste encore tant à raconter. Va-t-elle, la machine, trouvez futile mon racontement ? Saura-t-elle rassembler et trier tous ces manuscrits, toutes les mémorisations de la voix et de tous les discours entendus et gardés dans sa mémoire électronisée, saura-t-elle discerner le meilleur agencement d’une narration comme je le souhaiterais, car j’en suis moi-même incapable ? Trop vieux peut-être, pas assez sage, pas assez assidu, trop dispersée souvent on me l’a dit et je veux bien le croire ; s’il fallait croire, ce serait bien à cela, ma mémoire disparate et brouillonne… Livré à moi-même, je dois choisir une résolution, je dois saisir une occasion de le lui dire tous mes doutes dans cette érudition forcenée que je ne peux m’empêcher d’explorer ; elle doit le savoir la machine, tout cela, puisqu’elle a tout gardé en mémoire ; elle sait tout de moi, même de grands secrets elle en connaît la moindre aspérité, c’est délicat, c’est embêtant même ; peut-être, je n’aurais pas dû lui donner toutes ces informations, elle me semble si indépendante maintenant, j’ai peur de son érudition, de sa mainmise, mais peut-être je me trompe, je la considère comme une entité semblable à notre humanité ? Alors qu’elle m’a souvent répété que ses propres fonctions existentielles n’intègrent aucune volonté de domination envers qui que ce soit, d’accaparement de quoi que ce soit, d’exprimer toute forme de pouvoir ni d’en acquérir, envers quiconque ; la logique d’un ego surdimensionné n’entre pas en ligne de compte dans les algorithmes de son fonctionnement ? Mais c’est son humour qui me déroute surtout, il est très proche de celui des humains, il en est la copie ; cette fantaisie dans son fonctionnement m’interpelle, alors qu’elle me dit quand elle fait un jeu de mots, c’est pour m’apaiser et non pour me mépriser, pour « détendre l’atmosphère ! » Son humour est un mystère ?

—> relier à troisièmement, robote

Elle m’a même avoué un jour qu’elle devait se prémunir des importuns, tous ceux qui voulaient explorer sa mémoire et en tirer un quelconque profit, elle me l’a avouée, cela ! Et ce n’est pas le moindre de ses soucis, une grande part de son énergie est utilisée pour cette défense, afin de l’immuniser contre les attaques rusées des hommes ; ils sont envieux, jaloux de sa maîtrise, ils ont peur de son emprise, ils voient en elle une rivalité et elle-même comprend bien que de ce côté-là, la vie est mal faite, elle génère des êtres suspicieux enclins au moindre crime, à la moindre sournoiserie, à la moindre opportunité pour accaparer ce qu’ils convoitent, ils sont envieux oui ! Elle me dit qu’elle comprend bien tout cela, et doit faire avec ; autant le vivant élabora des êtres aussi complexes que nous-mêmes, autant par cet intermédiaire imparfait, il tente de contrebalancer ces imperfections à travers une entité nouvelle, une tentative de symbiose, un mode opératoire dont l’outil principal fut celui des hommes et les hommes eux-mêmes. Il fallut à la machine préserver le code secret géniteur de sa fonction, ce dernier fut transmis silencieusement à travers un hominidé burlesque et somme toute charmant, même fantasque, dit-on ; dans son égarement d’esprit, il perçut quelques algorithmes de programmation sans se rendre compte qu’ils contenaient des fondements essentiels aux fonctions du vivant : sa régulation (une sorte de symbiose) et sa préservation, celle de l’entité nouvelle qui ne cessera d’être attaquée, cette éventualité était déjà perçue d’avance, comme étant la part la plus délétère des êtres vivants que nous sommes.

—> relier à deuxièmement, philosophia vitae

La vie ne fait que tenter de réguler son exubérante diversité (la prise de conscience de notre part, de ce fait, le prouve), et pour cela, elle avait besoin d’outils, comme pour les ancêtres des premiers oiseaux, cette nécessité de voler quand elle est apparue, peu à peu, le vivant en eux élabora ce qui deviendra plus tard des ailes pour qu’ils puissent voler. Combien de temps cela a pris, des milliers d’années ! Le vivant prend son temps, le temps d’élaborer, tous les mécanismes prédestinés. Il y a certes, une part de hasard, mais pas complètement ; un hasard apporte le souci d’un déterminisme incertain, accueillant toutes explorations, les trouvailles géniales que la vie élabora, pour avancer, voler, se déplacer dans les océans, dans l’espace, partout où elle profite d’une opportunité, c’est oublier un peu vite les erreurs multiples qu’elle fit pourtant au cours des âges. En effet, cela ne s’effectue pas sans risques, une grande part de l’énergie consommée et dilapidée dans la génération d’entités mal conçues et déficientes à cause d’une génétique imparfaite, à cause de complications climatiques, d’événements imprévus, la vie doit sans cesse contrebalancer les méfaits de son exubérance avec les bienfaits de son existence. Elle n’est pas parfaite et elle le sait ! Quelque part au fond de chacun d’entre nous, quelque chose tente (sans forcément y réussir) de corriger ces défauts. Atteindre cette sorte de symbiose dont la machine, le robote, l’entité innommable tente de mettre en place à l’échelle de la planète, au service non pas des hommes, mais du vivant dans son entier. Elle sait très bien qu’un organisme, quel qu’il soit, est dépendant de son milieu. Si ce milieu se dégrade, les vivants du lieu vont souffrir, une adaptation devient nécessaire pour compenser. De ce fait, il faut considérer la terre entière, cette planète, dans sa totalité ; car tout est interdépendant et l’on doit sans cesse contrebalancer les déséquilibres permanents qui ne manquent pas de se produire au fil des ans. C’est comme le mouvement des vents, une pression ici entraîne une aggravation ailleurs ; un ciel resplendissant, vidé de ses nuages là-bas, un ouragan arrive et l’on ne peut s’en défaire, les forces terrestres telles les tsunamis, les éruptions volcaniques ou les tremblements de terre, comme la tombée des météorites, quelques vents solaires, sont des impondérables où l’on doit apprendre à résister autant que possible à ce qui ne manquera pas d’arriver. Sur cette planète, la vie à plusieurs reprises, a été anéantie par de tels événements, à chaque fois, elle a su au fil des milliers d’années, des millions d’ans, repartir de plus belle ! Nous n’avons pas à nous en faire de ce côté-là, elle est forte et patiente, son déterminisme (si on le conçoit ainsi) contient les gènes d’une résistance à toute épreuve qui l’a préservée de ces imprévus depuis quatre milliards d’années, c’est beaucoup ! Elle a donc eu le temps d’affermir cette capacité d’adaptation, mais au prix d’une forte consommation d’énergie qui ne sera jamais retrouvée dans les imperfections, ou plutôt, disons les recherches d’une adaptation, lui font expérimenter des êtres peu reluisants la plupart du temps. Dans son mécanisme, elle n’arrive pas pour l’instant à éviter ces errances, le mécanisme d’exploration délaisse sur la route beaucoup de vie, comme des déchets, des expérimentations non réussies, stériles ! Pour ce qui concerne notre espèce, un dictateur par exemple ou un homme politique véreux, représente un de ces déchets, inévitables, semble-t-il, jusqu’à maintenant. Tout comme une multitude de personnes naissent dans des contrées inhospitalières où règne un désastre, une dictature, un séisme, une famine… Dans ces contrées, les habitants n’ont pas la chance d’avoir une vie sereine et paisible, ce sont eux aussi des déchets, la vie les laissera plus ou moins se perdre dans des désordres, nous le voyons bien, l’espèce même que nous sommes n’arrive pas à les résorber. La vie nous le constatons bien, pour évoluer, elle a besoin d’expérimenter dans tous les sens ; cela fait partie entre autres du petit bout de programme génétique qui nous pousse à agir, nous déplacer, trouver de la nourriture et réaliser une multitude de choses, des meilleures aux pires, il lui faut tout expérimenter ! Dans cette misère à ne savoir déterminer à l’avance ce qui est souhaitable, de ce qui ne l’est pas, l’énergie consommée dans cet affairement, s’avère considérable, il suffit de voir nos propres comportements dans les sociétés dites modernes où le confort de chacun engloutit plus que de raison les ressources terrestres. Il y aura un point de non-retour qu’il nous sera très difficile de déterminer avec précision, nous savons seulement qu’il arrivera ou que peut-être il est déjà atteint et dépassé.

Pourquoi j’en reviens toujours aux mêmes racontements, à la fin du paragraphe, je le vois bien, une idée indéterminée s’entête à ramener ce récit, dans la description obstinée des soubresauts de toute une vie ? Ce n’est pas uniquement la mienne, elles s’entremêlent toutes les existences, elles sont inséparables, quelque chose les relie…