(parole en marchant – 1er juill. 2019 à 18h45)
—> 2. « petit chemin » :
Vous disiez quoi ?
Je disais quoi ?
Vous disiez de tous les mots qui se terminent en « esse » comme la politesse ou la tendresse !
C’est quoi la politesse ? C’est comme l’allégresse, il faut huiler les rapports sociaux pour que tout cela se passe bien…
Vous ne dites pas autrement ?
Ben, attendez, je réfléchis ! Vous croyez que cela vienne comme ça d’un seul coup, que dans un intellectualisme bidon, j’invente toute une sorte de… tout un tas de conneries, on les apposerait dans un livre pour l’éditer et se gosser de cet apanage d’intellectuel, puis affirmer avec un élan d’orgueil « voyez, comme j’ai compris la vie ! »
Vous croyez que ça se passe comme ça ?
Non ! Pas pour moi, du moins. Moi, je fais ce qu’on dit, ça vient où ça vient pas ! Si ça vient pas, c’est que l’on ne me dit rien. L’oiseau par exemple ici, ne me parle pas, donc s’il n’a rien à me raconter, moi je suis comme un idiot, je vous l’ai déjà précisé ! Je dis l’oiseau, mais c’est un symbole l’oiseau, ça peut être le vermisseau, même un sot, parfois dit des choses qui dépassent l’entendement commun ; il en est aussi de plus intelligents, plus éduqués que l’on présente comme de grands intellectuels, affirmer des propos tout aussi bidon, avec une vision du monde dominatrice : « il faut considérer les choses ainsi et pas autrement ! » Ils vous l’assènent, ça, tout de go, et vous ne pouvez pas faire autrement que d’accepter leurs commentaires éclairés du monde, où règnent leurs vives philosophies modernisées, comme si l’homme avait tous les apanages de la vérité ? Nan ! Ce n’est pas si simple, ou du moins c’est « trop » simple !
Comment ça ? « Trop simple » !
Trop simple, parce que nous avons du mal à réduire notre propre considération de nous-mêmes, je vous le dis à chaque fois, c’en est épuisant de me répéter incessamment sur ce sujet…
Il est beau ce chemin avec une petite graminée toute fine * ; ça, c’est plus intéressant : le chemin éclairé au soir par le soleil qui fait une petite avancée comme ça, recouverte par cette herbe si gracieuse ; sur l’avancée des hommes, dans ce territoire de la forêt, que doucement, la nature le recouvre peu à peu de cette petite herbe si fine, si délicate, à côté des roues exubérantes qui ont formé le chemin, la nature est plus subtil. Pourtant nous en faisons partie, mais nous appartenons plus à une défaillance, une erreur momentanée des choses et des existences, qu’une qualité… comme là, cette graminée ; notez la rime !
Vous aimez les rimes ?
Oui, ça m’amuse !
Vous disiez donc ?
Je disais quoi ? Oui ! Même le plus sot d’entre nous, celui considéré comme inculte peut avoir des fulgurances de perception, elles ne seront pas à la portée de tous ; même le pire des salops peut exprimer des choses d’une qualité extraordinaire, le monde n’est pas tout blanc, tout rose, sombre ou clair, il possède toutes les nuances ; eh, dans ce que nous faisons, ce que l’on disait tout à l’heure de la délicatesse, c’est quoi, c’est une allégresse du sentiment, c’est à l’inverse du désespoir. Qu’est-ce qu’il disait l’autre déjà, cette phrase magnifique ? Ah oui ! « La mélancolie, c’est un désespoir qui n’a pas les moyens », c’est tout à fait ça ! Eh bien, il faut se méfier des tendresses exclusives, comme des politesses qui sont des expressions flatteuses ; la tendresse est une exclusivité que l’on accorde à celui à qui l’on octroie ce geste particulier, il est là pour satisfaire et permettre une bonne entente, un agrément ! Vous savez que beaucoup d’entre nous ne vivent… n’ont jamais vécu ce genre de choses, le monde leur apparaît terrible ; à aucun moment, il n’y a une tendresse, un geste tendre envers eux, ils sont dans le malheur permanent, ils s’y habituent ; sans l’être heureux ni malheureux, si pour vous, ceux qui vous ont mis au monde sont incapables de vous la fournir cette tendresse, vous vous en trouverez démuni. Mais comme la plastique de la vie, disais-je, est capable de s’adapter en permanence, cette tendresse manquante, si elle est comblée par autre chose qui apporte un équilibre suffisant, aucune tendresse ne s’avérera nécessaire. Moi je le vois bien…
Et de la maladresse ?
(la machine enregistreuse n’a plus d’énergie pour continuer)
* (agrostide commune [Agrostis capillaris])
…
(parole en marchant – 1er juill. 2019 à 19h16)
—> 2. « petit chemin » :
Alors nous disions quoi ? Nous avons été coupés par la technologie, qui manquait d’énergie… voilà donc ! Nous disions quoi ?
Euh ! Je ne sais plus, Monsieur !
0’19 (les oiseaux s’approchent progressivement, curieux, ils le chantent aux autres de la forêt…)
Moi je vous dis hein ! Je vous raconte ce qui me traverse, je ne mémorise pas grand-chose, c’est passé, c’est passé…
On va devoir encore écrire tout ça, des mots inutiles ?
Oh non ! On peut constater que l’inspiration vient et puis elle ne garde pas tout ; trop d’informations en même temps, si vous n’arrivez pas à en dépouiller tout de suite tout le contenu, il est très difficile de reproduire cet instant, puisque je pense qu’il ne nous est pas donné en permanence. C’est une situation, des conditions très particulières, voyez ! C’est trop d’informations en même temps ! Si vous avez trop de machines autour de vous qui vous sollicitent, vous n’êtes plus à même de faire des choix ou d’avoir un esprit clair, vous ne pourrez pas le faire indéfiniment ; il n’y a que les machines qui sont dédiées à ce genre de tâches, des automates préparés pour cela, à avoir le bon geste de la décision adéquate, mais ils ne sauront réaliser que des choses extrêmement simples, au bout du compte et répétitives ! À chaque nouveau geste, à chaque nouveau comportement, il faudra le lui apprendre. La plastique de notre biologie nous permet cette autoéducation que la machine, le robote, n’a pas encore, enfin du moins, pour les robotes que nous connaissons ; mystère, mystère ! Pour ceux qui seraient construits à notre insu par on ne sait quel ingénieur suspect ou génial, cela pourrait arriver ! Moi, personnellement je n’en sais rien…
Oui ! Vous avez l’air de vouloir nous dire quelque chose, Monsieur ?
3’13 (en font, le chant des oiseaux s’intensifie)
Non ! non non, je vous dis que…
3’16 (il est distrait par un chant particulier !)
Il y a des secrets qui sont bien gardés… me dit le Pouillot véloce ! Il insiste comme d’habitude « ta ti ta ti ta tiii ! »
à 3’22, le chant du Pouillot véloce, sur les mots « qui sont bien gardés… »
3’46
Moi je dirais que c’est la Mésange charbonnière !
Vous avez peut-être raison, je mélange, je suis vieux ! Faut excuser l’homme !
Oh… Ce sont des oiseaux communs pourtant !
Ben oui ! Qu’est-ce que vous voulez, c’est comme ça ?
04h13 (soudain, un Pouillot, le vrai, lance une tirade !)
D’ailleurs, les deux sont l’un à côté de l’autre, puisque je les entends, « tititi truiii ! » Ah ! Vous les entendez ?
4’38 (les Pouillots véloces les observent et d’un chant ironique, ils modulent des phrases qui se répondent…)
Oui oui, je les entends ! Là, c’est le Pouillot véloce et l’autre c’était…
4’53 (l’oiseau lui souffle une réponse)
la Mésange charbonnière qui insistait tant !
5’01 (le Pouillot est tout content !)
5’07 (il s’approche encore et chante tout près !)
Oui ! oui oui, je t’ai reconnu, t’as pas besoin de… ça va !…
5’15 (il insiste, lui souffle des réponses possibles à ses interrogations…)
Ah oui, ah ben, évidemment !
05h24 (l’oiseau chante en même temps)
Qu’est-ce qu’il vous a dit ?
Oh ben, c’est entre nous ! On va pas raconter tous nos secrets…
5’32 (l’oiseau lui souffle ce qu’il doit dire !)
Ah bon ! Vous avez des secrets ?
5’38 (l’oiseau s’éloigne)
Oui ! Comme celui qui vous dirait que je suis fou ?
Mais non, mais non !
Mais si ! Pour le commun des hommes, je suis fou ! savez-vous ?
Ah ! Une coupe fraîche, on abat encore…
Oui ! Cette semaine… oui, oh, je désire pas y penser, cela me… m’énerve ! Je risque d’avoir des arguments peu flatteurs, mais comme vous les connaissez déjà, n’en rajoutons pas ! Le monde est ce qu’il est… n’est-ce pas ?
(ils marchent longtemps en silence, les oiseaux sont partis et il n’a plus d’inspiration, il est vide d’un manque qui le gêne, sauf un bruit d’avion au loin…)
Il n’y a que du silence, aujourd’hui, et j’ai perdu tout ce que je dis, c’est bien fait, j’avais qu’à faire attention !
(puis revient la mémoire perdue tout à l’heure, le vent l’a ramenée à leur insu)
Vous parliez de la délicatesse, comme de la gentillesse ?
Voilà ! la délicatesse, c’est comme une gentillesse qui s’exprime à travers une tendresse… (il se mouche)
Vous le diriez comme ça ?
On peut le dire comme ça !
Il y a beaucoup de mots en « esse » à la fin ?
Oui ! Comme paresse et détresse : « la paresse c’est une détresse qui n’a pas les moyens ! »
Aaah !
Oui, c’est comme la mélancolie qui est une forme atténuée du désespoir (snif). Il est des mots pour chaque proportion dans les affects qui nous traversent, ou qui s’expriment au-dedans de nous, voilà tout ! (snif)
On peut peut-être arrêter là ?
10’03 (les oiseaux reviennent)
Ah !… On n’a pas extirpé grand-chose ce soir ?
10h18 (l’oiseau au loin, répond en même temps)
Ben oui, le silence est là, encore une chaleur un peu pesante ; la nature se repose… Vous savez, trop d’expression en même temps c’est de l’énergie et dans certains cas, l’énergie, il faut la préserver.
11’26 (snif)
11’45 (snif)
(agacé par les moucherons virevoltants sans cesse autour d’eux, il ajoute)
Il y aurait combien de moucherons dans la forêt ?
Oh ! Des millions, si ce n’est pas des milliards ! Plus c’est petit, plus ils sont nombreux (snif), parce qu’il faut moins d’énergie pour des petits êtres que pour de gros êtres ; plus l’être est gros, moins ils seront nombreux, c’est normal (le Grillon s’approche). Et plus ils sont gros, plus ils sont constitués d’une multitude d’êtres, c’est notre cas, nous sommes multiples, multicellulaires, eh, on ne le répétera pas assez, chaque cellule d’un être multicellulaire * contient en son sein un certain nombre plus ou moins grand de bactéries archaïques ; vous savez ces petites mitochondries, comme on dit ! Vous avez le système équivalent pour les plantes, c’est le même processus. La multicellularité est consécutive de l’être unicellulaire. L’un n’est possible que parce qu’il y eût l’autre au début, et que la présence de l’autre, si elle est rompue ou on l’élimine, l’être multicellulaire cesse d’exister (snif) ; il en est la conséquence, la construction d’une évolution commune ! C’est ça que nous n’arrivons pas à bien percevoir dans notre vie quotidienne. Nous sommes, en permanence, sollicités (snif), à travers notre émotivité, par ces êtres qui nous habitent, ils sont pourtant bien là, nous entretiennent et nous permettent d’exister. Nous sommes liées à leurs humeurs ! Eh, si l’humeur de certaines bactéries est nauséabonde ou dans un mal-être, dans un déséquilibre, nous-mêmes, nous le serons par conséquent, c’est inévitable ! La santé réciproque de chacun des êtres nous composant s’avère fondamentale afin de permettre une symbiose, autant que possible, la plus heureuse qui soit. Quand l’être se porte bien, c’est qu’il atteint ce type d’équilibre, dans une symbiose, c’est obligatoirement (snif) l’association de facteurs venant d’entités différentes qui se sont associées ; vous avez cela dans la forêt où les êtres multicellulaires coopèrent avec les êtres unicellulaires, mais entre êtres multicellulaires comme les champignons et les arbres, il y a aussi une association pour subsister ensemble dans un partage bien compris, de la part de chacun. L’un ne va pas sans l’autre ! Le problème des hominidés que nous sommes, tout intelligents que nous sommes, c’est qu’ils n’ont pas compris cela, pour la plupart ; c’est-à-dire, ils ne conçoivent bien un possible contentement que pour eux seuls et cela leur suffit, dans l’ignorance du mécontentement de l’autre qui le subisse, « mon contentement à moi me suffit ! ** » Vous voyez ? Ce n’est pas tout à fait pareil ! Donc l’éveil, c’est à cet endroit qu’il devrait être, dans la perception de l’autre. Pas l’autre, mon semblable à moi, mais l’autre dans une altérité plus large, l’être qui ne me ressemble pas ! Voilà !
* Sauf avec les associations de molécules de transport comme le sang des animaux ou la sève des plantes
** J’ajouterais cette remarque : la plupart des êtres multicellulaires éprouvent ce contentement de soi dans l’ignorance de l’autre (c’est un processus génétique archaïque). Toutefois, notre domination matérielle, notre occupation des sols, notre population sans cesse croissante, comme la prise de conscience de certains d’entre nous, des conséquences de cet envahissement, ce vivant là en nous, nous poussent à admettre que notre propre survie sur cette planète est étroitement liée à la survie des autres !
…
Sonagrammes audiométriques :