(parole en marchant – 30 juill. 2019 à 15h18)

—> 2. « petit chemin », rencontre incongrue
—> durée : 68’15

(un promeneur improbable croise le narrateur)

Eh, Monsieur !
Oui ?
Euh, je tiens à apporter une réclamation !
Comment se fait-ce, vous réclamez ?
Oui ! Eh, c’est inadmissible, je me promenais en forêt, on m’avait annoncé qu’il ferait beau et sans pluviosité et j’ai reçu une « goutte » au visage, une ! C’est intolérable ! Je porte plainte ! Je demande à être remboursé !
Remboursé de quoi ?
Ben ! Du préjudice, la goutte reçue, qui sait, elle était peut-être contaminée ?
Elle venait du ciel, sûrement ?
Oui ! Mais du ciel, on ne sait pas ce qu’il s’y passe ? Il y a peut-être quelques… comment dire, euh… quelques agents pathogènes, se promenant là-haut et qui redescendent opportunément, quand ils voient un autochtone ou un passant comme une proie, et se jette dessus ! Voilà, c’est la goutte que j’ai reçue !
Mais, Monsieur, vous êtes en nature, la nature fait ce qu’elle veut de vous et si elle estime qu’une goutte vous tombe dessus, vous ne pourrez rien y faire, nul être sur terre ne peut rien y faire ! Ce n’est que une règle aléatoire qui fait que vous vous trouviez là… Mais une goutte ce n’est rien ! Que vous en receviez des millions, je ne dis pas, que vous soyez noyé, emporté par la vague, je ne dis pas, mais là, une goutte ? Voyez votre taille, vous êtes des milliers… plus gros, des milliers de fois plus gros qu’une goutte !
(offusqué, il marmonne un peu)
Oui ! C’est, ce que je… on me donne des informations, qu’il fera beau, non, je tiens à ce que cette information soit authentifiée !
On ne peut pas prévoir l’avenir, Monsieur, c’est dans l’ensemble, on parle globalement d’un à-peu-près, il y aura toujours des exceptions ! Une goutte qui tombe par là, malencontreusement sur vous, vous n’allez pas faire un procès à chaque fois qu’une chose ne se passe pas comme vous voudriez, vous n’êtes pas Dieu !
Comment ça, je ne suis pas Dieu ?
Vous prétendez être de cette sommité-là ?
Enfin, Monsieur, moi je paye pour que le monde se plie à mon désir, à mon choix, si je veux me promener, comme vous dites, il n’a aucune goutte à recevoir, j’estime que c’est… à toute entité autour de moi de faire le nécessaire, pour qu’aucune goutte ne tombe sur ma personne, voilà !
Mais Monsieur, cela ne se peut !
Comment ça ?
Vous aurez toujours, à un moment, un événement qui sera en contradiction avec votre propre désir, cela a dû vous arriver bien des fois ?
Mais Monsieur, à chaque fois j’ai réclamé !
Eh, l’on vous répondit quoi ?
Ah bien, euh ! J’avoue que les discussions ont toujours été quelque peu animées, et j’ai toujours eu, au bon du compte, une compensation !
Ah donc, vous réclamez pour être compensé !
Bah ! C’est le minimum ! Je ne vis pas pour que l’on m’impose des choix n’étant pas les miens, si je paye de ma personne pour que les choses n’arrivent pas sur moi, j’estime de mon plein droit, que cela soit !
Vous payez en quoi, en monnaie de singe ?
Non ! Je ne pratique pas ce genre de monnaie !
Alors quelle monnaie ?
Ben ! La monnaie locale, du lieu, de l’endroit, que je m’octroie et distribue à qui de droit pour faire valoir mes droits !
C’est étrange ?
Comment ça, c’est étrange ?
Le vent porte la rumeur de la route !
Oui, le vent se calme un peu… Oui, mais vous changez de propos, je veux que l’on me satisfasse !
De quelle manière vous désirez cette satisfaction ?
Aaah, euh, du moment que je sois satisfait, c’est tout ce qui m’importe, de quelque manière que ce soit ! De la manière qui me conviendra !
Alors, dites-moi ?
Eh ben, compensez-moi ! Avec ce que vous avez, des quelques pouvoirs qui vous sont octroyés à vous !
Mais, Monsieur, je n’en ai pas ! Vous me croisez, vous réclamez ! Qui vous dit que je représente quiconque ici ? Je ne suis qu’un passant dans la forêt, comme vous !
Comment ? Vous n’êtes pas le gardien ?
Ben, non !
Mais, j’avais demandé à traverser la forêt, « seul », sans aucun individu autour de moi, autre que la sauvageté du lieu !
La sauvageté du lieu ?
Oui, la sauvageté du lieu ! Les bêêêtes quoi !
Mais vous en êtes une, Monsieur !
Je suis quoi ?
Ah, une bête, aussi !
(le vent enfle progressivement)
Mais, cela ne se peut, je suis du genre deux-pattes, qui se tient tout droit debout, et du règne animal, nous en somme sortie Monsieur, enfin, allons ! C’est une évidence ! Nous sommes les maîtres des lieux, sachez-le si vous l’avez oublié ! Donc si vous en êtes le gardien, vous devez « obtempérer » pour que ceux qui vous payent permettent à ces derniers d’avoir leurs désirs satisfaits !
Mais vous rigolez ! Je ne suis ni gardien ni tout ce que vous prétendez, je ne suis qu’un passant, vous dis-je ! Et votre prétendue domination… est une idée que vous vous faites de votre condition, vous ne dominez rien du tout !
Quoi ? L’on m’aurait menti ?
Oh ! Plus que menti, on vous a affabulé !
Comment ?
Depuis que vous êtes né !
Comment ?
Oui Monsieur ! Regardez le vieil être devant vous, le vieux Chêne abattu ! C’est ici qu’il sévit, il vous le dira, lui qui a plusieurs centaines d’années, de votre âge… de foi votre âge, il en a vu des belles et des… et des pas mûrs, mêmes mures, elles lui sont tombées dessus, des bêtises du monde des hommes, puisque au bout du compte, ils le coupèrent alors qu’il n’était pas nécessaire de le faire. Il était en très bonne santé, quelque peu tourmenté par quelques orages, quelques éclairs tombés dessus, mais l’essentiel de sa forme sévissait, encore bien gaillarde, et on le coupa pour une prétendue… disons, comment pourrait-on dire ? Une prétendue opportunité financière, que sa situation octroyait aux forestiers du moment de le vendre et de le couper, pour en faire des fûts de Chêne, pour du vin ! Rendez-vous compte ; quelle drôle de fin ? Voilà, nous sommes dessus, nous marchons dessus avec aucun respect… Excusez-nous, vieux sage de la forêt ! Nos ancêtres, nos congénères, sont des imbéciles, ils n’ont rien compris…
Je ne connais pas ces gens-là, mais cela ne résout pas notre problème, je demande d’être compensé de mon préjudice !
Mais Monsieur, votre préjudice est infime, insignifiant ; une goutte ce n’est rien, allons ! Moi-même, j’en reçois parfois des dizaines, des centaines et je ne réclame pas, j’en suis même parfois satisfait, alors permettez, nous quittons le vieux Chêne et nous lui disons « au revoir ! », dites-le !
Moi, que je dise au revoir à ce tas de bois ?
Oui, dites-le ! « Au revoir » si ça peut vous faire plaisir, dites-le élégamment !
Au revoir vieux Chêne !
Voilà ! Je te dis « au revoir » ancêtres de la forêt, « au revoir » et à bientôt, je t’ai amené un énergumène curieux pour que tu voies ; mais, je pense que tu le savais déjà, comment ils étaient les deux-pattes ?
Mais dites donc, c’est injurieux ce que vous dites ?
Oui, c’est injurieux ! Car vous le méritez, d’être injurié !
11’55
Ah ben dit donc ?
Ben voilà, ah ben oui, qu’est-ce que vous allez dire, vous allez porter plainte contre mes propos.
Ah, ben eux ? Je ne dis rien parce que vous êtes costaud et que je risque de recevoir une baffe, ah, ben quand même, je porte plainte, de toute façon je trouverais quelqu’un !
Et vous les avez trouvées toujours, les personnes, pour porter plainte contre une goutte reçue ?
(le plaintif ne répond pas, il boude, mais reste là)
Voilà les enfants du vieux chêne abattu ; l’aîné ! Je te salue ! Vois l’individu auprès de moi, comment il est, il t’abattrait bien !
Oh non ! Son bois est torsadé, ce n’est pas bon, tant mieux pour lui (il marmonne)
Et son frère ! (il montre du doigt)
Ah, oh son frère, intéressant !
Oui, mais il n’a pas besoin d’être abattu ! Mais on va l’abattre un jour…
Aaah, euh !
… malheureusement ! Vous risquez d’être satisfait un jour, c’est ce qu’il risque de se passer. Au revoir les vieux Chênes ! Excusez-nous de vous importuner, je vais éloigner l’individu… « goutteux ! »
Comment ça « goutteux ? » En voilà des idées, goutteux, goutteux ! Je vous en prie, soyez polie !
Ben oui ! Vous ne supportez aucune goutte, vous ne supportez rien, en fait ?
Si, je supporte beaucoup, je suis très patient, la preuve ’ je vous supporte et vous suis, parce que je suis un peu perdu, vous m’avez emmené là où je ne souhaitais pas aller… et puis la route fait du bruit, je voudrais qu’on aille ailleurs.
De ce côté-là, vous n’avez pas tort, où allons-nous aller ?
Ben, du côté où le silence de la forêt règne ! S’il vous plaît ?
Alors, suivez-moi ! Mais à une condition ?
Laquelle ?
Que vous oubliez de me parler de cette goutte et de cette plainte inopportune, sans envergure, qui n’est pas digne de votre personne, Allons ! Sinon je vous laisse là !
C’est bien pour vous satisfaire, parce que je n’ai pas le choix !
Eh ! Vous devriez venir plus dans la forêt, plus souvent, vous ne vous y perdrez plus à la force, puisque vous la connaîtriez, tous ces chemins, ces allées…
C’est vrai, mais si à chaque fois je risque de recevoir des gouttes qui n’étaient pas prévues au programme, je serai vexé et je devrais toujours réclamer pour une compensation, ce qui m’énerve beaucoup !
Avez-vous demandé du vent ?
Euh ! Je n’y avais pas pensé, mais vu les chaleurs, le vent est agréable !
Pas trop chaud, il a fait peut-être malencontreusement, dériver une goutte sur nous, alors qu’elle n’était pas prévue et que c’est une petite bourrasque, un petit mouvement d’humeur du vent qui vous la dévia sur votre tête ! Dans ce cas, il faut réclamer au vent.
Ah oui ! Mais là, ça devient compliqué, c’est difficile, le vent, l’air et son mouvement…
C’est beau ce que vous dites ?
Comment, quoi ?
L’air et son mouvement, le vent !
Oui, ça m’est venu comme ça !
Vous ne dites pas que des bêtises, vous voyez ! Elle vous inspire malgré son silence et la rumeur au loin, enfin tout près, disons, de la route, portée par le vent, je vous… je vous précise. C’est le vent qui vous amène cette rumeur ; s’il soufflait dans l’autre sens, vous verriez, vous n’entendriez que du silence…
Ah ! Je ne verrai pas, je n’entendrai que…
Oui, c’est une expression ! Vous n’entendrez nullement la rumeur, elle sera portée de l’autre côté de la forêt ; de l’autre côté de la route bitumineuse…
Bi… quoi ?
16’46
Bitumineuse ! Recouverte d’une sorte de structure noirâtre (avec un mélange) de caillasses petites, une sorte de mélasse que l’on étale sur la route pour satisfaire le roulement des machines… des machines roulantes, justement, qui en traversant l’air provoquent ce genre de bruissement… (une bourrasque survient). Là, c’est plus le bruit du vent, le vent souffle vers la route, donc vous n’entendez plus le bruissement des machines, c’est le passage de l’air dans les branchages ; il vous importune, ce passage ?
Non ! non non non, là ça va ! C’est quoi la petite fleur au milieu de la route ?
Voyons voir, approchons-nous ?
Oooh !
Oui, ce sont des petites Composées, des Astéracées dont j’ai oublié le nom*, blanche, un peu violette… Vous avez une Camomille à côté de vous…
Ah oui !
Nous allons regarder tout à l’heure dans le gros dictionnaire de la forêt, pour trouver son nom, à cette petite plante !
C’est bien, vous intéressez plus aux plantes qu’aux gouttes ?
Ah ! La goutte, la goutte, c’est pas pour dire, elle est loin la goutte !
Oui d’accord, oui bon !
Nous sommes les seuls à faire du bruit dans la forêt, en dehors du vent…
Oui, le monde est calme !
Oui ! La rumeur des hominidés sévit, les parlottes incongrues de nous-mêmes, celles de nos machines roulantes, tout cela perturbent la forêt… et pourtant, parfois le silence est bienvenu, vous savez ! Et si l’on faisait un peu silence ?
Oui, mais on captera, dans votre mémorisation, faite avec votre petite machine enregistreuse, que le mouvement de vos pas ; ce seront toujours des bruissements d’hominidés, comme vous dites !
C’est pas faux ! Eh, nous pourrions nous arrêter par moments et humer le vent !
C’est une idée ?
Faisons cela un temps !
Je vous suis ! Allons !
Suivez-moi alors…
Vous regardez quoi ?
Je regarde un endroit où un branchage était coincé, mais je crois qu’on l’a enlevé ? Oui… (une bourrasque arrive)
Vous êtes un habitué du lieu ?
Silence ! Nous avons dit…
Oui, pardon !
Écoutez le vent, au-delà de vos pas, écoutez le vent…
21’38
Y’a…
Chut !…
Tiens !
21’47 (un oiseau cri !)
Bzzz !
21’50 (l’oiseau cri à nouveau)
(le vent se calme un peu, il s’arrête par moments et repart ; le vent va et vient, par vague)
24’43 (il s’arrête)
La rumeur est revenue !
Oui ! C’est le vent qui la porte…
Oui !…
25’11 (il reprend sa marche, le vent se calme…)
25’58 (une rumeur de machines s’ajoute au vent)
Est-ce des bruits de tronçonneuses que l’on entend, rajoutés au bruit des machines roulantes ?
Approchons-nous, nous verrons bien ? Il se peut que ce soit une machine n’ayant que deux roulements au lieu de quatre…
Parce que les machines roulantes ont quatre éléments de roulement ?
Oui, parfois plus, quand ce sont des engins à transports, ils en ont parfois… oh, une douzaine !
Oooh ?
Oui, double !
Double ?
Oui, des roues doublées !
On appelle ça des roues ?
Oui ! Parce que la forme est ronde pour faciliter le roulement, voyez-vous, elle serait carrée, que le roulement ne serait pas satisfait, il permettrait tout au plus dans une pente, un glissement, mais ce ne sont plus des machines roulantes, mais des machines glissantes… Euh, le climat fait que l’enneigement ne permet pas ce genre de locomotion, donc nous utiliserons la forme ronde pour faciliter un avancement adéquat, voyez-vous ?
Ah ! C’est ingénieux !
Oui ! Vous ne connaissiez pas ?
Oh ! je ne visite guère ces endroits, je ne m’intéressais qu’à cette forêt, parce que…
Oui ! Vous n’allez pas me rappeler votre histoire avec cette goutte malencontreuse ?
Non ! (timide) oui, je me tais, je me tais…
Enfin, quand même… ah, voyez, regardez ! Il y en a un qui s’amène, là ! Là, c’est un quatre roues, vous voyez…
Et puis un autre, un peu plus petit, qui fait de bruit celui-là ?
Oui oui, cela dépend de sa forme !
Quand ils font plus de bruit, ils consomment plus d’énergie, je suppose ?
C’est bien possible ! Alors voilà, nous arrivons près de la zone où vous avez cette espèce de… de couche noirâtre que l’on recouvre sur le chemin, pour faciliter le roulement, vous voyez, c’est assez dur et parfois s’amollit quand le soleil tape très fort… Ah ! Ah ah, nous traversons, nous ne restons pas à découvert dans ces endroits où… nous rentrons dans la forêt à nouveau, nous ne faisons que traverser !
Oui ! C’est préférable, je ne veux pas être confronté à ces deux-pattes !
Oui, mais enfin, bon ! Vous avez des réflexes de deux-pattes, notez-le (admettez-le)…
Comment ça ?
Oui, de réclamer pour une goutte d’eau, c’est un réflexe de deux-pattes !
Ah ben, Monsieur, je viens d’un endroit, où quand l’on donne sa parole, venir ici, voilà, vous irez ici et vous aurez ceci, cela… cela se passe comme c’est dit, sans autre… aucune autre forme de procès. Alors je viens par ici et c’est différent ! C’est en permanence des conflits, comprenez-moi !
Enfin ! C’est un conflit minime toutefois !
Minime, minime ! Je voudrais vous y voir ? Je serais, admettons, plus petit et que je reçoive cette goutte, ben elle aurait pu me bousculer, me faire tomber, voire me faire périr !
Oh ! C’est peu probable, en général, l’eau qui tombe est bienfaitrice, ici !
Ah bon, vous croyez ?
Oui, c’est… ce sont des molécules d’un liquide qui permet la vie !
Aaah ?
N’êtes-vous pas vivant vous-même ?
Euh ! Je me suis jamais posé cette question ? Tiens, c’est intéressant ce que vous me dites là ? Il faudrait que je demande…
Vous avez une forme tout à fait comparable aux formes vivantes sévissant ici !
Ah ! Vous croyez ?
Oui, je trouve !
Et vous-même, vous seriez du coin ?
Oui, je suis du coin, et je suis de la famille des deux-pattes !
Ah ah ! Donc vous les connaissez bien ?
Oh oui, ça ! Je les connais !
Votre réflexion me semble pas flatteuse, pour eux ?
C’est vrai !
On dirait qu’ils vous en font voir de toutes les couleurs ?
C’est pas faux non plus !
Qu’ils vous ennuient quelque peu, je dirais ! Je soubu… je subodore cet état d’esprit ?
Eh bien, vous faites bien ! C’est pas faux !
Vous m’en diriez plus ?
Oh pfft ! Vous pourriez lire simplement ma littérature, celle que je rédigeai naguère à ce propos ? Vous verrez, elle est édifiante sur le sujet !
Mais dites-moi en plus, cela m’intéresse, que je m’instruise du lieu ! Que je comprenne enfin pourquoi les gouttes tombent, comme ça, à l’improviste, sans prévenir… elles auraient un petit écriteau, « Attention ! Une goutte va arriver sur vous, voulez-vous vous dévier ? »
Mais cela se passe trop vite, votre trajectoire ne peut être anticipée, tout comme celle de la goutte ! Vous rendez compte, l’énergie qu’il faudrait pour avertir celui qui la recevrait ? Ici, la goutte, elle est bienfaitrice, elle n’est pas néfaste, sauf quand la goutte devient très grosse et s’apparente à ce que l’on appelle des tsunamis, par exemple, c’est-à-dire des mouvements d’eaux colossaux portés par le vent et les tremblements de la terre, qui se secoue un peu à certains endroits, comme un frisson local. Créer de tels tremblements à l’échelle des deux pattes, que des vagues géantes, des milliards et des milliards de gouttes d’eau réunies vont se déverser sur les côtes, sur les îles, et dévaster la plupart des endroits, ainsi… ainsi, ainsi recouverts !
Vous cherchiez votre mot ?
Oui !
Vous ne l’avez pas trouvé exactement ?
Oui ! Je suis en manque d’inspiration, je n’ai pas d’oiseaux qui chantent autour de moi et je me sens toujours un peu bête, dans ces moments-là !
Ah ! Il faut donc des oiseaux pour vous guider ? … n’êtes rien sans eux, peu de choses ?
Dans la forêt ! Dans un autre milieu, je me débrouille un peu mieux, eh, ici il faut bien l’avouer, qu’ils en sont les sentinelles ; une forêt sans oiseaux, c’est comme un arbre sans feuilles ; eh, en ce moment, les chaleurs viennent, s’en vont, partent et reviennent, créant des dissensions, des fatigues et puis c’est aussi le moment des couvées, des nichées, les oiseaux sont au calme, ils reposent, ou certains sont partis… (au bord de l’allée, une mare). Regardez ! La source, elle est pratiquement à sec…
Ah, oui ! C’est rare ?
La forêt a soif, alors, rendez-vous compte, une goutte d’eau, eh, elle est accueillie avec, non pas des bras ouverts, mais, un grand plaisir ; ils en voudraient des milliers et des milliers comme celle-là, celle que vous avez reçue, soyez heureux de l’avoir reçu ! Vous receviez, à ce moment-là, un des bienfaits de la nature, ici !
37’08 (le rare cri d’un oiseau)
Je crois que j’ai entendu un bruit (il parle doucement).
Oui, c’est le cri d’une Pie, je crois ? On l’a réveillé, ne faites pas trop de bruit. Parlez doucement, marchez tout aussi doucement… (il s’arrête)
37’39 (l’oiseau crie à nouveau)
38’10 (il reprend sa marche)
Peut-être un Geai ? Je dirais que c’est un Geai, c’est la même famille, vous me diriez ?
Je dois vous dire, ainsi, oui (il marmonne)… Nous dirions que c’est de la même famille !
Voilà, vous l’avez dit !
Oooh ! Des morceaux de bois coupés avec tout plein d’inscriptions dessus, « o, n, f, mille six cent un », c’est la date ?
Non !
« Danger ! Ne pas monter sur les piles de bois ? »
Ce sont des signes kabbalistiques faits pour prévenir ceux qui s’approchent du tas de bois.
Est-ce que l’idée leur viendrait de monter dessus… cela dérangerait ?
Oui, probablement !
Vous est-il venu l’idée de monter sur le tas de bois ?
Non ! Mais un enfant, peut-être ?
(le vent enfle, il désire couvrir ces propos futiles)
Mais il ne serait pas assez lourd, le bois est… est gros !
Oui, mais, sait-on jamais, « il vaut mieux prévenir que guérir », dit-on par ici !
Ah ! Vous m’en direz tant !
Oh, je peux en rajouter… (une feuille vient de tomber à terre, le vent grossit). Ah, tiens ! Une feuille de Chêne rouge, il y en a encore par ici, ils ont tendance à les couper, ce n’est pas un Chêne de bon rendement, il n’est que décoratif pour les deux-pattes… vous voyez ?
Ah oui !
Les feuilles formant des pointes au lieu d’êtres arrondies au bord, elles sont pointues à plusieurs endroits…
C’est agréable sous les feuillaisons, les déplacements lents que nous faisons…
(le vent souffle intensément)
C’est beau !… L’hiver, vous venez ?
Oui !
Et vos déplacements sont tout aussi… agréables ?
Plus frisquets en général, nous ne sommes pas habillés légèrement comme en ce moment, nous ne suons pas et nous n’avons pas de Moucherons qui tournoient autour de nous…
41’50
On entend toujours la rumeur…
Oui, nous longeons… là, nous longeons la route au loin, nous sommes à quelques centaines de mètres d’elle, et selon le mouvement du vent, cela va et vient…
C’est vrai que la forêt est calme…
Petite bourrasque… plein sud, elle suit l’enfilade de l’allée, elle tente de me fatiguer, mais n’y arrive pas. Il faudrait que le vent soit très fort pour que cela arrive, que je ne puisse plus avancer, que des arbres s’abattent devant moi pour me barrer la route.
Cela est déjà arrivé ?
Oh ! Probablement, les grandes tempêtes, cela arrive par ici, et depuis des siècles et des siècles, il en est survenu bien des fois ; une ou deux par décennie, très fortes, probablement plus…
Au croisement des chemins, où allons-nous ?
Tout droit ! Tout droit, nous tournons ni à gauche ni à droite, nous allons tout droit. Nous restons sous le couvert de la chênaie…
(une marque sur le premier arbre au bord du croisement…)
C’est quoi ces numéros sur les arbres ?
Oh ! C’est une indication de deux-pattes pour délimiter des zones, des parcelles, (cela aide à) c’est leur façon de compter le nombre d’arbres par zone, et d’estimer un coût monétaire, distribué entre deux-pattes, ceux qui couperont et ceux qui recevront le poids ainsi découpé, un marchandage pas forcément élégant, sans demander l’avis aux habitants de la forêt, on coupe ces grands êtres inopportunément, sans aucune politesse, sans aucun merci. C’est une pratique courante, on s’octroie des droits, oublieux des autres. C’est ma rouspétance à moi de dire toujours cela, voyez-vous ! Le monde est ainsi fait…
De rouspéteurs, comme vous ?
Non ! Oh, je ne suis pas le seul, mais le comportement inapproprié où l’on coupe inconsidérément, sans se poser la question de l’opportunité d’une telle pratique, des conséquences…
46’37 (un oiseau répond au loin)
… (sur) de l’harmonie du lieu. Couper avec parcimonie tout en maintenant les équilibres, c’est un enseignement qui ne se pratique pas ici ; qu’il n’est même pas pratiqué (dans) les critères des documents officiels donnés aux forestiers, ne sont purement que budgétaires, économiques. De la santé, de l’harmonie du lieu, il n’en est absolument pas question ni abordé le sujet, en aucune manière, aucune (qu’une) considération financière à ce propos !
C’est de cela que vous vous plaignez ?
Effectivement, de cela, parmi bien d’autres constats… (une bourrasque !)
Je vous sens triste ?
Je suis triste, en effet ! Je ne suis pas joyeux, souvent ! Et parfois, je ris, mais c’est un rictus de désespoir…
Ah oui ! On sent comme une légère ironie dans ce que vous dîtes ?
C’est pas faux ! Mais l’ironie est une forme atténuée du désespoir.
Ah bon ?
Oui, c’est comme la mélancolie, dans une moindre mesure, comme dit l’autre, « c’est un désespoir qui n’a pas les moyens, la mélancolie ! » Eh bien, l’ironie à une moindre mesure, c’est du même ordre, l’on rit pour ne pas se perdre, pour pas désespérer. Le rire est une compensation au drame de notre existence, et des conséquences de nos actes, car notre corps, lui, pressent tout avant que notre esprit ne soit atteint, il provoque des rictus comme tout à l’heure, des exclamations subites pour ne pas sombrer dans le plus profond des désespoirs. C’est une façon de se préserver en effet, pour dire « je veux encore exister ! » Donc, pour survivre, je ris un bon coup, tout comme si je libérai quelques gaz pour que s’évacuent les ballonnements de mon ventre, c’est du même ordre, c’est salutaire !
Eh, je vous présente un petit Hêtre qui tente de survivre ; sur les souches de leurs aînés, ils sont trois ici, voyez ! Lui, c’est l’aîné… à moins que ce soit l’autre ? Je leur dis « vous êtes tous les deux, trop près du chemin, votre… l’autre, troisième larron qui est un peu plus loin, est mieux placé, mais, les deux-pattes vont vous embêter souvent, à moins que l’on déplace l’allée pour vous, mais c’est peu probable, vous allez gêner… vous aller les gêner, je vous souhaite bonne chance ! » Il y a des Hêtres ici, oui ! C’est mélangé avec les Chênes, et un peu plus loin des Pseudostugas, des sortes de Pins, venus du continent en face, de l’autre côté de la terre, qui s’acclimatent bien ici…
Le chemin est sympathique ?
Oui, il est un chemin fait pour les promeneurs, non pas pour les machines roulantes, car il est plus étroit, voyez ; il est traversé par des grosses racines qui sont pour la plupart des racines venues de quelques souches que l’on voit plus ou moins tout autour qui sont celles (les racines) non pas des arbres encore debout, mais de celles (il montre une souche) comme celle-là, voyez ! Venue d’un ancêtre, voyez les souches aux alentours… Eh, ce sont les autres arbres qui s’alimentent (à partir) de ces chousses… de ces souches ancestrales, s’alimentent (du) par un savoir acquis (conservé au creux d’elles), mais aussi les nourrices pour qu’elles ne meurent pas. Le corps de l’arbre a été abattu, mais sa tête qui est dans le sol, ce sont ses racines en quelque sorte, lui, n’a pas… elle, cette tête-là, n’a pas été ressortie du sol, elle reste, et la plupart du temps survie grâce aux autres ! Les Hêtres, paraît-il, sont coutumiers du fait, de préserver (de la sorte) la survie de leurs aïeux ; mais je pense que les Chênes font de même, la plupart des arbres ont des pratiques semblables. Voilà, nous arrivons près des Pseudostugas. Ici, ils sont assez grands, et un peu plus loin vous allez voir, c’est plus sombre, voyez ! Eh, certaines époques du jour, des Rossignols chantent dans l’endroit, dans un chant radieux, nous n’aurons peut-être pas cette chance de l’entendre ? Mais plus que tout, c’est la lumière, ce contraste entre l’arbre feuillu et le Pin (il s’arrête). Que la lumière, dans ce contraste étonnant, en les traversant provoque (il reprend sa marche). À chaque fois, quand je passe au moment propice, provoque mon émerveillement, car un tel endroit somme toute sans envergure à côté des vastitudes ailleurs (où) les paysages sont extraordinaires (il s’arrête à nouveau), ici, où la forêt est torturée, quelque peu préservée encore dans quelques endroits, ici où on laisse tranquille les Pins que vous voyez au loin (il reprend sa marche), à quelques dizaines de mètres, ils forment une lumière étonnante, voyez ! (il s’arrête encore). Ils sont (les) plus haut, donc la lumière en dessous est plus claire, et les feuillus au (à partir du) printemps forment un couvert où la lumière est (devient) plus sombre, mais cette… ce contraste s’inverse l’hiver, les feuillus n’ont plus de feuilles l’hiver, et leurs sous-bois est (devient) claire, alors que sous les pins, la lumière devient (semble) plus sombre, c’est l’inverse ! Et l’été, le phénomène est dans l’autre sens, c’est curieux, dans ce basculement entre l’aspect sombre et l’aspect clair (du) sous-bois, créés à travers le rayonnement du soleil, des figures de style que seul un soleil peut créer (il reprend sa marche). N’oubliez pas qu’il est le père de tous, son existence comme celle de ces semblables ont permis notre construction, nous sommes produits de lui ou de ses ancêtres, nous sommes constituées de lui et du rayonnement qu’il nous envoie il nous permet d’exister et de nous animer ; sans lui nous ne sommes rien ! Nous sommes contraints à son bon désir, et l’endroit ici il est calme, encore apaisé. Je me dis, quand ils vont couper ces Pins très haut déjà, ils ne se rendront pas compte qu’ils vont dévaster un équilibre ici, qui s’est formé entre la lumière et le paysage. Ah, je dis que ce sera dommage, mais… j’aurais beau rouspéter, on ne m’écoutera pas ; eh, si j’en parlais j’ameuterai une manne touristique (curieuse) nauséabonde et inappropriée, c’est ça le problème ! (le vent monte progressivement) l’ameutement des foules est plus nocif dans des lieux qu’il faut préserver de tout piétinement intempestif…
1h00’16 (le vent s’apaise et enfle sans cesse)
Vous vous exprimez beaucoup sur la forêt ?
Oh ! La plupart du temps, quand je la traverse, je ne peux m’empêcher quelques philosophies. Certains diront que c’est une philosophie de bas étage, sans envergure, mais moi, je m’en fous, elle est à ma mesure, à la mesure de ma rouspétance ! Voyez-vous ? Alors, ce que pensent les autres, cela m’indiffère, voyez ! Mais, euh ! L’écriture…
1h00’59 (au vent intense, s’ajoute le cri des oiseaux du coin)
1h01’34
On dirait des Corneilles ?
1h01’52 (aboiements ou crie de Corneilles ?)
Vous disiez quoi ?
1h02’36 (le chemin débouche à la lisière de la forêt, quelques maisons aux abords)
Nous allons prendre le petit chemin bitumineux… Nous nous éloignons des bâtisses… Oui, je disais quoi déjà ? Oui ! Je me souviens… l’écriture de ce passage, au-dedans de la forêt, son petit chemin que vous avez suivi avec moi, quand (après) vous m’avez (m’ayez) interpellé pour votre goutte inopportune. Il sera représenté comme… exactement, mot pour mot, dans une montée « chromatique » pour faire savant (et accompagner le vent), d’un entendement au creux de la forêt, qui au départ n’était qu’un chuintement d’homme, de quelques paroles déversées de-ci de-là au cours de ses promenades, de ses voyages dedans la forêt, des aspérités qu’il rencontra et peu à peu cela s’étoffe, on s’instruit de plus en plus du milieu, on capte les choses plus intimement, plus précisément ; eh, cela monte progressivement, jusqu’à un moment où il n’y aura plus rien à dire, où il faudra se taire, où nous ne serons plus, probablement, car cela s’arrêtera un jour, nous ne savons pas le nombre de pages que cela fera ? Déjà, ce qui a été mémorisé correspond à un livre assez épais ; c’est la mémoire accumulée de ce que permet une forêt. Vous auriez d’autres endroits, à la montagne, l’océan, les airs, comme l’oiseau faisant son voyage migratoire, tous ces transportements méritent d’être racontés, apportent des enseignements, des savoirs, des perceptions qui ne se pourraient pas si on ne les faisait pas, tous les voyages sont bons ! Dans quelque endroit que ce soit, du moment que vous vous déplacez et que vous découvrez, c’est uniquement cela l’important ! Après, des conséquences de ce que vous direz, que ce soit anodin ou transcendant, peu importe, ça n’a pas d’importance, c’est le transportement et ses conséquences sur votre esprit, qu’il faut considérer, que cela rejoigne l’état d’esprit d’autres que vous, tant mieux, sinon, tant pis ! Ce sont des considérations (de jugement) qui ne sont pas intéressantes, en fait ; on peut les signaler comme je le fais, mais il est inutile de considérer plus loin la finesse de la perception, seulement décrire, décrire les choses, les faits, les perceptions, les inspirations du moment, ce que la forêt nous amena. Pour vous, ce fut une goutte d’eau qui vous traumatisa en quelque sorte, vous vous êtes fait une raison et dans ce transport, il nous amena une histoire, un racontement, et pfft, c’est cela qui est important, le reste, n’est que futilité, futilité…

Dans le grand dictionnaire de la forêt :

* L’Astéracée est un Érigéron