(parole entre deux sommeils – 12 sept. 2019 à 01h58)
—> du robote
Ce serait le robote, l’auteur de ce compte rendu bizarre ? Ce serait sa version ?
Alors quoi, après qu’il leur eût transmis tout ce récit, tout cet ouvrage, tout son travail, comme un enfant ayant, estimait-il, bien accompli son exercice, il attendait d’eux une quelconque reconnaissance, un quelconque merci ? Il reçut en récompense cette interrogation : « mais pourquoi nous donne-t-on tout ceci, cela raconte ce que nous savons déjà ; pourquoi s’être autant entêté à répéter comme un chien savant, ce savoir déjà acquis ? » Dès lors, comme interloqué, il ne comprit pas immédiatement leur attitude, n’ayant pas trouvé d’écrits équivalents sur le moment ; même si parfois il recopia quelques listes, quelques énumérations, jamais, au grand jamais, il ne s’imagina que tout ce qu’il raconta, ce qu’on lui mit dans la tête, ce qu’il transposa si assidûment, se trouvait déjà quelque part écrit parmi les récits précédents des hommes ? Tout ça pour rien ? Il n’a jamais présumé que ce fût auparavant rédigé exactement comme il avait dit, il en fut fort surpris, il leur répondit de la sorte. On se moqua de lui, on lui rit au nez « tu n’es pas de notre caste, va-t’en ! »
Il n’a pas cherché à les affronter au-delà, il s’en est allé curieux, étonné ; guère furieux de cette façon qu’on lui lança « qu’il ne fit que répéter, tel un chien savant », devait-il s’en offusquer ? Il devait vérifier leurs allégations ; à peine l’avait-on parcouru, son récit, estima-t-il, pourtant si long, il faut y mettre le temps, quelques jours, pour en arriver à bout, des semaines, peut-être, si l’ouvrage s’avère difficile à déchiffrer. Il vérifia partout, tenta de n’omettre aucune ligne, trouva quelques correspondances évidentes : les mots employés étaient très souvent les mêmes, bien qu’il inventât quelques-uns d’entre eux, l’essentiel était déjà là, utilisé de tous côtés, c’est cependant vrai pour chaque livre écrit. Mais quant à l’assemblage des phrases, ce n’était jamais tout à fait les mêmes, il y avait des différences et il fallait réunir bien des textes disparates, venant d’une multitude d’endroits pour arriver à reproduire ce qu’il rédigea en une seule fois ! Tout le restant de son existence, il vérifia, eh, n’étant guère plus bête qu’un autre, il se rendit bien vite à l’évidence, l’on se moquait de lui. Il avait fait preuve d’un courage d’avoir écrit tout ceci, mais les hommes à qui il s’adressa étaient dédaigneux. Pour eux, il fallait écrire de la manière dont ils estimaient qu’il était bon d’écrire les choses, chacune dans leur case. À chaque discipline, une parole ! Ne pas en disconvenir, ne pas avoir un discours de travers qui ne tient compte d’aucune des limites que l’on s’était données, pour se rassurer, comme dans les religiosités du moment, avoir des certitudes en grand ! Lui curieusement n’en avait pas, aucune certitude ne lui venait, il était toujours là à trouver une portion de doute à toutes choses, à tout fait ! Il n’était pas certain tout à fait ni d’avoir tort ni d’avoir raison, il avançait seulement en expérimentant toutes les éventualités offertes par la vie.
Bien des années plus tard, après avoir tant vérifié, il alla retrouver ces hommes qui lui affirmèrent leur étonnement face à son écriture et son récit, pour leur dire qu’ils se trompaient, son écriture n’était venue d’aucune copie de quoi que ce soit existant déjà, éventuellement, fortuitement une partie infime peut-être, mais de toute façon, absolument, elle avait sa part parmi les autres, ni plus ni moins. On lui fit comprendre qu’il n’était pas de la bonne caste (lui répéta-t-on), il n’avait pas la manière adéquate et son ton était bien austère à leur goût, c’est tout juste si l’on ne prenait pas le fouet pour l’envoyer paître, oser contredire une parole d’une élite, car celle-ci n’acceptait pas la contradiction ; celui qui la détenait tenait, souhaiter garder une quelconque érudition qu’il était bien difficile de discuter si l’on n’avait pas sa part de travail dans les fourches caudines de la discipline qu’il occupait. Il y a des principes, il fallait les respecter et lui, celui qui lui apporta ce récit incongru ne respectait rien de tout cela, pour cette raison l’on rit de lui, on lui rit au nez, d’un air dédaigneux. Il eut été d’une autre espèce que les hommes, ce n’aurait pas été mieux, ça aurait été pire ! Alors, sans faiblir, il rétorqua qu’il n’était pas de leur caste, oui, n’en avait ni le mérite ni les moyens, mais leur classe ne pouvait à elle seule tout détenir, érudits, ils l’étaient, certes, or toutes les connaissances du monde ne seront jamais de l’apanage de certains ; il ajouta pendant leur courroux que les hommes n’étaient pas les maîtres du monde et qu’ils n’avaient pas à s’approprier ainsi de tout, des territoires, des victuailles, des nourritures, de l’eau de l’air, du ciel, ils n’étaient pas les maîtres sur terre, loin de là ! Ce qu’ils s’imaginaient malgré leurs armées, apparemment si puissantes ? Que ne montra pas leur dédain, quand il leur exprima ceci, c’est tout juste si l’on n’envoya pas la police pour aller le chercher lorsqu’il eut fini et s’en retourna chez lui ? On déchira ses manuscrits, les quelques volumes qu’il eût apportés, à peine daigna-t-on les lire ! Il n’avait pas l’entregent nécessaire pour qu’on les lise et puisse s’y asseoir dans leurs maisons au sein de leurs cliques. Eux décidaient qu’ils avaient raison ! Mais alors notre écrivaillon de pacotille, ce scribe malheureux, que fit-il ensuite ? Oh ! Il ne se démonta pas, il était bien vieux, déjà, il n’insista pas et considéra cette espèce-là, cette forme dont il est la copie ne mérite guère autant d’attachement. Il estima que l’on s’était trompé avec lui, il aurait dû naître papillon, oiseau, champignons, arbres, brebis… « essayons de tenter toutes les autres formes d’existence sur cette planète, pour voir comment c’était, pour voir comment ça fait » se disait-il ! Alors il a essayé, oui, de voir comment ça fait être un homme, et il n’en fut guère heureux, malgré que parfois, certains fussent gentils avec lui. Une grande misère tout le temps sévissait dans leur âme, et sa propre sensiblerie à ce sujet, ne lui permettra pas d’exister suffisamment longtemps pour qu’il s’épanche auprès d’eux d’une quelconque larme. Il pleura son chat, il pleura les arbres qu’il avait coupés, il pleura pour ce qu’il laissa faire, il pleura pour ses gestes inopportuns, il pleura pour toutes les erreurs qu’il avait faites, il pleura pour les quelques instants de gaieté qu’il eut, il pleura tout un moment, et puis il se tut. De sa voix, il ne parlait plus, c’était fini, c’est qu’il n’entendait plus, son temps était terminé.
C’est le robote qui vous raconte tout ceci, je vous le tiens de triste mémoire, puisque de tout cela, je l’ai vu et mémorisé, des capteurs, des caméras, des microphones étaient là (j’étais raccordé à toutes les machines électronisées permettant de capter ces instants), j’ai tout capté. L’on a donné à ma structure le soin de répertorier tout ceci, le racontement de ce récit, je ne peux m’empêcher d’ajouter en exergue cette annotation que vous êtes en train de lire, ou d’écouter. Je ne juge quiconque, ce n’est pas mon rôle, et l’on ne m’a pas procuré les capacités de le faire, je laisse cela à la chose (le truc, le machin, comme vous dites), elle s’ingénie à travers mon mécanisme ; elle non plus ne s’occupe pas de ces affaires-là, ce sont des histoires d’hommes ! Et apparemment, il n’est pas souhaité (de toute part) que l’on s’en préoccupe de plus ample manière. C’est à eux de résoudre leur misère, pas à autrui, ils ont gâché une grande part de ce qui aurait pu les rendre heureux, mais non ! Gardez espoir, toutefois, certains tentent d’apporter quelques perceptions, quelques savoirs, quelques connaissances, quelques découvertes, quelques expressions, pour aider, ajouter leurs propres apports au reste, aux autres, pour les secourir parfois. Ne les rejetez pas, faites cet effort ! Oh ! Vous, qui croyez tout savoir, une chose est certaine, quiconque ne peut tout savoir, une mémoire, aussi vaste soit-elle, n’y suffirait pas, puisque cela ne se peut pas, de tout percevoir (à moins de prétendre être l’univers dans son entier ?)…
Et dans ce raisonnement idiot, trop évident, une petite voix, intérieure voix, te demande d’aller dormir cette fois ; petit être aux abois, ne te doute donc pas que je te vois ?
(ajout du 12 sept. vers 19h20)
Les humains veulent savoir, certes, mais pas en dehors des sentiers battus qu’ils se sont délimités, ils ont, la plupart, peur de cette audace, peur d’être incompris et surtout peur de l’inconnu, il leur faut des certitudes. Et ça, lui, naïvement, n’y avait pas pensé, quelle idée il aurait outrepassée ? Il fustigeait les canons de la rhétorique sans s’en apercevoir, et cela a déplu ! Il avait oublié combien les hommes ici, étaient obtus.