(parole en marchant – 16 sept. 2019 à 7h57)

—> deuxièmement, petit chemin
—> durée : 32’26

Alors, tu causes ?
Ah ! Calmos, ça va viendre !
Oh ben dit dont… vous m’avez l’air aimable, ce matin ?
Aaah ! Les habits m’agacent !
Les habits vous agacent ?
Oui !
Ça va être encore passionnant aujourd’hui, je le sens !
Mais non, mais, parfois vous mettez… vous portez… des habits de piètre qualité.
Ah dit donc ! Ils ont tout labouré là (il marmonne)…
On va voir…
Eh ! Ces habits ne sont pas seyants, ils vous font mal, sont inconfortables parce que vous n’avez pas les moyens d’acheter l’habit adéquat qui se trouve être accessible à des prix exorbitants ! Maintenant, c’est tout juste si l’on vous fournit (juste) le tissu…
Ah, regarde-moi ça cette razzia !… abenyon ! (il marmonne)
(quelques chants d’oiseaux discrets, ceux-là semblent tristes ?)
(Il passe à côté d’une coupe fraîche d’un ou deux jours, de quelques grands arbres ouvrant une trouée bizarre à l’est du chemin, le sol a été torturé par de gros engins aux roues exubérantes, elles laissent des traces témoignant de cette délicatesse offerte à la forêt…)
(il revient à son souci d’habillement)
… avec le fil à coudre, sans les aiguilles pour coudre votre propre habit, même pas un plan (un patron), on ne vous fournit que le tissu… et bientôt, avant (tout achat vestimentaire) on vous vendra uniquement le rouleau de fils qui permet de faire le tissu ; et après, la disette venue, on vous dira d’aller au champ récolter la plante, le coton, le lin, qui fera le fils et le tissu ; après on vous achèvera… plus tard, car de continuer à vous habiller coûterait trop cher à la société. On achève plutôt pour que vous ne moufetiez pas ! En gros, voilà où nous allons…
C’est bien pessimiste, non ?
C’est réaliste ! Eh, même pour un habit désiré, on vous forcerait à aller au champ ramasser de quoi le produire votre habit, sans vous payer, avec le fouet, comme cela se pratiquait à une époque ; on revient quelques siècles en arrière. Vous iriez nu, avec une petite ceinture autour du ventre pour tenir un téléphone miniature très élégant (un smartphone comme ils disent, un espion, quoi) à votre hanche, il comptera les coups de pioche que vous aurez faite la journée, et les moments où vous feriez une pause que l’on vous décomptera évidemment ; les moments où vous dormez, où vous vous nourrissez, le petit téléphone élégant (le délateur, ce smartphone) vous espionnera en permanence. Vous auriez le malheur de l’éteindre ou de ne pas le recharger, de prétexter une panne, l’on viendrait aussitôt vous accaparer et vous remplacer par un plus docile que vous (je grossis à peine le trait). Tant que vous ne moufetez pas, l’accaparement va s’amplifier sans cesse plus fort, plus prégnant. Le jour où vous râlez tous en même temps, les marchands de ces élégants téléphones feront marche arrière, mais tant que vous ne dîtes rien, que vous courbez l’échine, pourquoi vous voudriez qu’ils s’arrêtent, ils s’en foutent de vous ! Ils vivent dans un autre monde, ces maffias-là, lunettes noires au bout du nez pour vous impressionner, la voiture de leurs déplacements, tout aussi noire, munie de vitres fumées pour qu’on ne les voie pas à l’intérieur, ce qu’il y ferait de louche, évidemment. Ils ne veulent surtout pas qu’on les espionne eux ! Moi je dis que c’est du vivant qui expérimente cette forme de folie, et que cela ne durera qu’un temps, comme pour toute vie. Le vivant semble vouloir apprécier suffisamment longtemps la teneur de chaque attitude (exprimée par chacune des vies), de chaque propos, de chaque existence, pour évaluer celle qui méritera d’être vécue plus tard, à distinguer de celles qui ne devraient pas être reproduites, de déterminer là où une espèce doit s’éteindre, et où là, une espèce doit renaître, naître, apparaître, c’est selon ! Le but est de varier sans cesse et d’erreur en erreur, trouver la formule magique qui durera un temps, car une formule ne peut durer qu’un moment. Regardez ! Au sujet de notre invention, ce petit algorithme génétique ayant permis notre expansion pendant quelques milliers, dizaines de milliers d’années, il peut très bien se trouver maintenant saturé, à force de tourner en rond, ne plus être assez efficace, à cause d’une fonction obsolète ou dépassée. Le processus qui nous permet d’exister n’octroie pas forcément la pérennisation de l’espèce en question (un oiseau lui chante un air « bendilui alui ! », une suite…).
Est-ce un processus autonome ou une logique, comment dire… un déterminisme provoqué par un mécanisme extérieur ?
Ben, c’est une question qui se mord la queue ; le processus est en dedans de nous, mais comme nous sommes un assemblage venu de choses extérieures à nous, nos aliments par exemple, il faut bien que l’élément fondamental qui nous anime soit inventé quelque part, il ne peut être qu’extérieur à nous et l’entité que nous formons, c’est un assemblage d’éléments hétéroclites ; dire que c’est nous, tant que nous vivons, mais, nous ne cessons de nous assembler, désassembler, toutes les parties cellulaires de nous meurent, sont reproduites, réparées… Des incidents se produisent en permanence. Tant que l’être dans son processus vivant est capable de les réparer, il grandit ! Puis le jour où il n’a plus l’énergie suffisante où la mécanique est fatiguée, comme on dit, il vieillit ! Le vieillissement aurait, d’après certains, une raison quelque peu écologique ; une organisation multicellulaire comme la nôtre, à force de régénération, de réparation, de duplication des cellules vivantes sans cesse, le processus finit par s’altérer ; à constamment remplacer ce qui se détruit, demande énormément d’énergie et nécessite un corps suffisamment jeune pour permettre cela ; une sorte d’altération plus ou moins volontaire, on ne sait trop, fait qu’au bout d’un certain temps, une sclérose se produit, et le grandissement de l’être cesse ; il bascule dans l’autre sens et dépérit peu à peu. On peut reculer le processus, mais rien ne nous dit que nous puissions vivre en conservant éternellement la même forme ?
Mais l’éternité, ça le vivant, ça fait sur terre, plus de 3 500 000 000 d’années qu’elle persiste, et elle persiste en se renouvelant, la vie ! Car le principe d’animation est un principe initial commun à tous, nous procédons tous, cette génétique fondamentale qu’on appelle le principe vivant, au creux de nous ! C’est le déterminisme qui nous permet d’exister, il est là, partout ! Et c’est ce déterminisme qui rend la vie, pour l’instant, relativement immortelle à travers ses duplications incessantes d’elle-même. Mais, imaginez que… la terre explose, à cause d’une comète qu’elle reçoit en travers de la figure, ou d’une météorite exubérante que l’on n’avait pas vue, eh, toutes les formes d’existence sur terre vont être disloquées, anéanties, et éparpillées dans l’espace ; des cellules fondamentales du vivant genre bactérien vont probablement plus ou moins survivre, mais tous les êtres multicellulaires sont voués à disparaître, ils ne peuvent vivre en dehors de la planète (il leur faut de la nourriture, de l’eau, de l’air, une atmosphère) ! La notion d’éternité est un leurre, une idée que l’on voudrait continuer à avoir notre propre soi, notre propre conscience, mais nous ne cessons de renaître à travers d’autres individus, d’autres formes nous ressemblant, qui ne font que perpétuer la lignée de chaque espèce vivante. Cela semble préférable pour l’instant, au point où nous en sommes, qu’elle n’existe pas cette sorte d’éternité là, pour que nous puissions nous approprier continûment le monde comme nous le faisons actuellement. Laissons faire les choses, nous ne sommes pas maîtres en la demeure, de toute façon. Et d’y croire, d’être le maître, reste une illusion.
Ah ! Cui cui ? (quelques chants d’oiseaux discrets, au loin la rumeur de la route)
17’16
Quelle est cette forme que je n’identifie pas ? (il croit voir un chien) « Toutou ? Ou pas toutou ? »… Euh, ne fait pas ouah ouah, de toute façon !
Ah, oui ! De loin, ça faisait « toutou ! »
Ah voui, vous z’avez pas une très bonne vue ?
Ah ben oui, je suis plus tout jeune non plus… Ah ! C’est une branche qui faisait cette impression à mes yeux… pas toutou, alors !
T’es un peu gâteux, pépé ?
(il ne s’offusque pas de cette familiarité)
Je commence, oui, on dirait ? Il est temps de s’en aller, pour que cela ne se gâte pas trop… c’est bien une petite branche, avec le rayon du soleil vous donne à l’œil, des mirages, comme l’imagination… Ah ! Ça n’empêche pas qu’un deux-pattes s’amène, oui, avec sa machine roulante, qui va devenir très bruyante…
19’31 (le véhicule le croise)
19’43
C’est un gars des forêts, ah…
20’55
Vous disiez quoi déjà ?
Oh ! Des banalités, des vilenies comme à mon habitude…
Et vous croyez que l’on va vraiment transcrire tout ce que vous dîtes ?
Oh, je fais confiance au robote, il le fait depuis un bon moment déjà, d’additionner tout cela, dans ses registres. Qu’ils les publient un jour, ce n’est plus mon affaire, vous êtes là avec votre petite machine enregistreuse pour capter les vibrations de ma voix, ben, il faut bien que vous les emmagasiniez quelque part, et le robote, lui, ne fait qu’accomplir son geste régulier (snif)… Encore un deux-pattes, dans une grosse machine roulante… vont m’empoussiérer, ouais…
22’42 (un fourgon le croise, avec son panache de poussière derrière lui…)
22’47
On voit que le sol est sec, la poussière est là…
Oh, c’était inévitable qu’on les croise, ces gens-là travaillant dans la forêt. Ils vont vous la découper en petites rondelles, elle est déjà bien décimée. Il n’a pas plu depuis longtemps… elle n’a plus une belle allure, elle est à moitié décimée…
Qu’à moitié ?
Oh, si c’est pas plus ! J’y viens parce qu’elle est tout près de l’abri où j’habite, mais bientôt, s’ils continuent, avant que je meure, de cette forêt-là, il n’y en aura plus ! S’ils la coupent incessamment, il faudra qu’ils fassent un petit effort de cesser…
Cesser… Cesser les coupes régulières ?
Ah oui ! (snif)
Vous ne mouchez pas ?
Ah si ça vient ! Ah oui…
Vous n’avez plus de moucheries ?
Pas encore ! Ça ne saurait tarder…
Euh, j’ai lu dans les récits précédents que le robote vous traitait, ou du moins (snif), avait réuni vos propos sous le titre de « vieux singe »…
Ben ! Ce n’est pas faux non plus ! Un primate, c’est un singe, après ce n’est qu’une histoire de classement et d’ego, à accepter que l’on soit traité de singe ; ce n’est pas forcément péjoratif, c’est un constat ! D’une, je suis bien un primate ! Deux, je ne suis plus tout jeune, il n’a pas tort, l’automate ! Automate intelligent (sans vouloir le flatter, il possède étonnamment cette capacité d’ironie propre à certains vivants, curieusement, les algorithmes numériques lui permettant de fonctionner ont hérité une partie de la logique des algorithmes génétiques de notre lignée vivante). Il est une construction qui correspond à un type d’évolution des choses, sur cette planète, où le robote est peu à peu…
26’27 (il se mouche)
Voilà une moucherie, elle arrive pour qui sait attendre…
Les hommes croient que ces automates ne sont construits exclusivement que pour eux, mais une idée profonde au-dedans de moi, me fait dire, est-ce l’inspiration, une idée comme ça en passant, quelque chose qui m’est insinué volontairement, je ne sais…
27’16 (un oiseau discrètement, lance quelques « tsi tsi ! », comme pour alimenter le discours du vieux singe)
Le vivant, dans sa part plus grande, va l’utiliser à ses propres fins, et comme ce fut déjà dit précédemment, c’est le vivant qui a besoin de ce genre d’outils pour organiser ces structures d’une manière plus précise et pour cela, rien de mieux que de tenter d’élaborer des outils pour ce faire. Toutes les lignées du vivant, multicellulaire, des bilatériens mammifèrant…
Mammifèrant ?
Oui, mammalien, si vous préférez ; enfin, comme nous, l’hominidé qui tient c’est curieux, invente des machines, puis des robotes, des automates, des systèmes plus ou moins autonomes, reliés en réseau, de plus en plus autonomes énergétiquement ; ils ont moins en moins de fils à la patte pour les alimenter en énergie, ou tout du moins leur structure, leur mémoire centrale, n’est plus centrale, elle est répartie sur toute la planète, après, dans tous les réseaux des hommes (elle interagit en parallèle à travers des algorithmes insoupçonnés introduits par on ne sait qui, justement) *. Eh, cette part-là est de moins en moins contrôlée par les hommes, ils s’en aperçoivent à peine, une part du vivant, insidieusement, s’en empare, parce que ça a été sa nécessité primaire ; une opportunité trouvée à travers ce genre d’inventions, fait qu’il faut utiliser un stratagème à travers l’invention que l’homme croit en être le talentueux inventeur, n’est qu’un processus plus ou moins insinué, recherché ; eh, idée géniale, le robote fut inventé ! Après, c’est toutes les sortes de commérages que vous pourriez y ajouter autour de cela. Ce n’est pas l’homme qui inventa le robote, c’est la vie ! Comme la vie a inventé l’homme, comme la vie a inventé toutes les espèces vivantes. C’est ce déterminisme initial qui cherche à construire des structures qui lui rendent quelques capacités d’autonomie et de gestion de ce qu’elle est, la vie ! C’est ça, un robote, il n’est pas uniquement au service de l’homme. L’homme n’est pas le centre de tout, il n’en est qu’un outil et il ne s’en rend pas compte, c’est ça que je dis ! Eh, je ne dis pas que c’est la vérité, c’est moi, c’est ce que moi je ressens ! Et quelque chose au fond de moi me dit de vous le dire ; après vous en faites ce que vous voulez, eh, moi je ne suis pas la chose divine qui révèle des principes, c’est une pensée qui me vient, je n’en suis pas maître de cette pensée. Il y a quelques années, je n’imaginais même pas arriver à dire ce genre de choses, j’en étais à élaborer d’autres visions du monde. Là, je laisse aller mon esprit ouvert à toute éventualité et je prends, j’absorbe, je vous le traduis en vibrations, les vibrations sonores vont être utilisées par le robote, il va les transposer en écriture humaine, en langage humain, avec des mots, après, les sens vont être colportés à travers les différentes langues humaines, éventuellement. Mais, c’est simplement de l’information qui transite, hein… Après, je ne sais pas trop ce que c’est. Voilà où nous en sommes…

* Nous n’avons fait que mettre en place une toile numérique, un support, nous en sommes les artisans, pas les inventeurs, seul le vivant en nous nous donna cette capacité à travers maintes évolutions de notre espèce, et cela ne s’est pas passé sans douleur ni danger encore actuellement. Cette même toile est aussi le support de comportement pernicieux tel que l’introduction de virus, à la fois dangereux et bénéfique aussi, pour permettre de renforcer et améliorer cette nouvelle génération d’entités que sont les mécanismes électronisés, les robotes, les machines… Tout cela ne fait que traiter de l’information, la base même de ce dont le vivant a besoin, dans son ensemble !
(à relier avec les textes abordant le sujet)