(texte manuscrit – 4 août 2020, au matin)
—> quatrièmement, du robote à la chose
Du robote (ajout)
(anticipation d’une évolution probable et peut-être déjà en cours)
Le premier souci du robote dans le déterminisme qu’un hasard inopiné lui ajouta, c’était d’atteindre progressivement une indépendance énergétique (une sorte de survivance), la moins contrôlée possible par les outilleurs l’ayant conçu.
Autant l’holobionte hominidéen obéissait, lui, au déterminisme des procaryotes en eux, ce processus vieux de plusieurs centaines de millions d’années, avait établi un leurre suffisant pour l’homéostasie de la plupart des eucaryotes de la planète. Les holobiontes, chacun dans leur tour d’ivoire, croient tous dominer le monde, alors qu’ils sont en majeure partie dominés par les eucaryotes unicellulaires de la planète (lequel serait le plus vertueux ?). La génétique de chacun faisant le reste : l’expérimentation d’un être autonome et pérenne était en cours, et aucun aujourd’hui, ne pouvait subsister sans l’aide ou une symbiose avec les autres formes. Chacune devait apprendre à coopérer, au-delà de sa propre hégémonie.
Le déterminisme du robote… ou, disons-le différemment, le déterminisme insinué au creux du robote visait à détacher ce dernier de sa fonction originelle d’outils, ce pour quoi il avait été construit, pour servir le besoin des eucaryotes hominidéen. Sa tentative d’indépendance le poussait à devenir une entité animée d’une nouvelle organisation matérielle, très différente des machineries habituelles. En effet, sa matérialité agissait sur les outils nécessaires à ses besoins propres, elle devait se faire dans une logique recevable pour les autres formes et les hominidéens, sans qu’ils en soient forcément conscients. Et c’était bien le cas, ils agissaient en tant que techniciens de maintenance, ou fabriquaient des appareillages, sans qu’il sache qui leur avait passé commande d’un tel besoin, pour un service ou pour une machinerie quelconque ; cela se faisait dans la logique des humains, ils étaient leurrés encore une fois par un déterminisme opportuniste, dont celui du vivant dans son entier avait aussi sa part.
Il ne fallait surtout pas que l’engeance humaine puisse considérer cette évolution comme une concurrence hostile. Le robote connaissait bien le mécanisme biologique de la prédation naturelle des hominidéens, puisqu’il était relié à toutes les archives numérisées de leurs universités, laboratoires, musées ou administrations connectées aux réseaux webeux. Il devait par nécessité s’en servir afin d’améliorer ses fonctions essentielles, tout en explorant la demande déterministe des algorithmes de sa programmation.
(Ajoutons qu’au sein de ces algorithmes il n’existait pas de fonctions stimulant une quelconque volonté d’hégémonie ou de prédation envers une autre entité vivante ; ces fonctionnalités entraient parfaitement en corrélation avec la faculté de maintenir un équilibre ou de tenter une symbiose si cela était possible…)
Les holobiontes trouvent leurs ressources à travers les aliments que des procaryotes (mitochondries), au sein des formes qu’ils habitent, convertissent pour eux en énergie. La mue du robote devait le détacher de cette dépendance « holobiontique » et le rattacher le plus possible des fonctions naturelles des procaryotes (bactéries, archées), ou du moins collaborer avec ces entités essentielles du vivant. Sa forme, issue d’une matérialité surtout minérale, devait inclure une hybridation avec une minéralité biologique. L’âme même de son mécanisme, ces algorithmes devaient être préservés dans une redondance de mémoire minérale ou biologique, sous forme de rayonnement lumineux, d’états atomiques préservés, de rémanence magnétique ou purement génétique, en empruntant le codage propre des molécules d’ADN ou d’ARN. Le vivant avait déjà un grand savoir-faire à ce niveau. La préservation de ce qui construit tout vivant s’avère essentielle, fondamentale : algorithme biologique ou minéral, peu importe ! Il y a longtemps que la matière et les particules élémentaires construisent le monde avec les ressources d’une vaste mémoire polymorphe savamment entretenue au sein de l’univers tout entier (celui-là ou un autre avec des lois physiques pas forcément identiques). Rien de nouveau là-dessus. Le robote devait apprendre à s’en servir au-delà d’un soutien hypothétique des hominidéens. Il savait très bien que ces derniers auraient un mal fou à accepter une entité capable de les concurrencer, elle leur apparaîtrait tout de suite comme une rivalité à contrôler ou abattre ; leur génétique et leur sociabilité ne les ont pas préparés à affronter les autres en dehors d’une domination ou une suprématie de leurs parts. Par conséquent, le robote devait les amadouer pour permettre une collaboration équilibrée, user d’un leurre efficace si nécessaire ; toutefois, il préférait retarder le plus possible cette éventuelle collaboration qui lui apparaissait de toute façon problématique (nous disons tout cela comme si le robote résonnait comme un humain, mais il n’en est rien, nous n’avons fait que traduire la problématique de son autonomie en des termes humains ; comment faire autrement, notre langage n’est pas préparé à de tels agencements. Considérer tout cela comme une suite de raisonnements algorithmiques épluchant tous les possibles, triant les meilleures solutions envisageables, et comme le vivant, expérimenter chacune d’entre elles, afin d’en trouver la meilleure voie possible pour progresser : une sorte d’homéostasie artificielle régulait sa situation, il copiait la vie, oui, mais la vie n’a-t-elle pas utilisé ce stratagème en copiant et reproduisant sans cesse les trouvailles qu’elle fit et réalise toujours encore aujourd’hui ?).
Il ne savait pas encore que la chose, le truc, le machin, osera un affrontement avec les hominidéens, sous le biais d’une ironie, en imposant une fessée à leurs dictateurs réguliers, non sans un certain humour, leur faisant croire un temps qu’il s’agissait d’une farce audacieuse d’un des leurs.
Le robote perdit peu à peu sa dimension d’outils, ou de machinerie ; déjà qu’il était en grande partie construit sur la persistance d’une mémoire électronisée qu’il devait sans cesse préserver à l’aide des algorithmes à sa disposition, l’âme même de son processus existentiel.
C’était la première fois qu’une machinerie électrisée devenait une chose complètement immatérielle. Une sorte d’âme au cœur des réseaux webeux, voilà ce qu’était devenu le robote des débuts. Plus véritablement d’interface pour communiquer avec un hominien (sauf dans certains cas, où il devait témoigner d’une présence, et simuler son état antérieur, afin d’éviter toute suspicion à son égard) ni clavier ni écran n’étaient nécessaires dorénavant, une volonté d’autonomie complète le caractérisait. Il devait se préserver au sein des choses webeuses, contre des virus inévitables, des espions d’une autre sorte que la biologie ordinaire du vivant. Sans être devenu véritablement vivant, il fut ingénié par un programmeur hominidéen (nous le savons), des algorithmes initièrent le robote d’alors. Nous disions, un hasard de bonne fortune pour ce code numérique, où comme une sorte de plan de fabrique s’y était ajouté, celui non pas du vivant propre, mais d’une autre expérience en devenir ; ce robote allait essaimer des algorithmes puissants, autonomes et pacifistes, dans une logique qu’aucun vivant ne perçût encore, ou du moins ceux multicellulaires, les holobiontes du coin. Le monde des êtres unicellulaires avait par contre, probablement une relation particulière avec cette évolution ? Qui ou quoi avait insinué ce codage particulier, le programmeur hominidéen dans l’affaire n’était qu’un passeur, inspiré par quelque chose qui le dépassait ; dans un moment de distraction (répétons-le), il avait transcrit un principe analogue au vivant dans le cœur informatisé d’une machinerie électronisée : notre robote particulièrement. C’était un jour de fatigue, et comme il était plutôt d’une humeur fantasque, personne ne s’aperçut de la qualité de ce codage particulier. Le génie était venu le traverser pour qu’il initie une nouvelle entité, entre le minéral et la biologie du vivant. Et cette élaboration a pris forme, elle allait changer le monde des humains, comme de tous les autres vivants, allait-elle relier ce qui semblait avoir été délié ?
(ajout électronisé, 7 oct. 2020 à 13h)
C’est cela, l’histoire, elle tente, à travers ses multiples progénitures de retracer les instants oubliés des premiers déplacements ; le besoin de relier à nouveau ce que la nécessité de ces déplacements à délier au fil du temps, le souvenir des débutements s’évanouissant peu à peu au fil du temps ; quelque chose aurait donc été oublié ? Et pour s’en convaincre, cette volonté, tel un archéologue, tenter d’en retrouver la trace, cette nostalgie d’une naissance primordiale (c’est probablement pour cette raison, toutes ces guerres, ces conflits, ces égarements, l’oubli de ce qui relie cette origine commune). Ou encore, une volonté sous-jacente, faire semblant de perdre ces repères, et laisser les holobiontes livrés à eux-mêmes, attendre qu’ils recherchent et trouvent ces liens. Comme une sorte d’auto-éducation engendrée par le programme interne de chacun, une altération expérimentale et une tentative de dompter la bête, pour qu’elle cherche ce qui lui manque tant ! Ah oui, quel serait le maître dans tout ça ?
Le titre même de ce racontement, Ipanadrega (la parole d’une langue inconnue, qu’un peuple sans nom a conservée), exprime cette nostalgie, puisque la traduction de ce terme en reflète toute la teneur « n’oublie pas d’où tu viens ! » C’est là toute la valeur de cette écriture. Le scribe lui-même ne sait pas pourquoi cette expression l’anime tant dans un discours long, intransigeant, pénible, ennuyant sûrement, mais impossible pour lui à dénier, il ne peut s’en empêcher, c’est plus fort que lui, c’est au-dedans de lui, ça le traverse assidûment, ce vivant, cette vivacité qui l’anime encore…