(texte final - édition du 13 oct. 2017 à 23h49)

—> 1. « İl », prolegomena, dans les rêves : 14. [af] évanouissement

Il se souvint de ce jour où le corps réclame. C’était au fond d’une librairie, cherchant un livre à voler pour s’instruire, n’ayant point le sou. Il se leva du rayon, n’y trouvant guère de quoi lui plaire, un étourdissement s’empara de lui, il ne comprit pas tout de suite ce qu’il lui arriva, mais s’appuyant contre l’étagère, il saisit bien vite son état, il avait faim ! La veille, pour le principe, quelques morceaux de sucre au fond de la boîte lui donnèrent son dernier repas, voilà tout.

C’était sa « révolte » des petits matins froids, dans un pays d’abondance « avoir faim » pour goûter à cela, « sa diète austère » parce que c’était son choix à cette époque-là, un idéal de bon teint qui sied à d’artistiques idées, une anarchie dérisoire jusqu’au bout du nez, sa misanthropie n’était pas encore née.

Ne riez pas à l’embonpoint de sa bonté, il n’en a pas, vous ne recevrez que du dédain. Voyez plutôt un être étrange s’emparer de lui, à faire fuir plus que de raison la soif malsaine de son regard ; il englobe tout, tant que fuse un rayon de lumière, ses yeux hypnotiques emmagasinent l’infime nuance, la couleur de cette ombre, le floute d’une brise dans la ramure des nuages et du ciel.

La mémoire ! voilà le dessin, voilà ce présage, voilà cette volupté acquise où s’égrène à l’esprit cette manière apprise jusqu’au tréfonds de lui, trône en haut de sa tête, comme un mirador guettant la moindre mignardise de ces entrefaites à moitié mûres, à moitié défaites des laideurs du jour, ajoute un chagrin de plus dans la raideur de son cou.

Que vous demeuriez un de ces « dilapideurs » du sou, un de ces enfriqués de tout, méfiez-vous et craignez qu’il ne s’adresse à vous si par mégarde vous le croisez. Attention, vous dis-je ! Il détient un verbe dédaigneux aujourd’hui et avec un pédantisme outrageux, risquerait bien sur vous une insulte ou deux.

N’approchez pas ! il milite, il révolutionne, il porte le flambeau, il fonde des barricades ; curieuse chose qui alimente ses pas, sans jamais avoir participé à quoi que ce soit, aucune grève, aucune manifestation ni ouvrière ni même avec des prières, aucune doctrine de façade, il est le « fameux rebelle » du moment, tout seul comme un grand ; il se voit déjà « héros ! »
Mais qu’avez-vous décidé dans votre funeste avancée ? Détournez-vous de lui, il vous regarde !… Vos élégants habits vont ajouter à son irritation, c’est trop tard, à quoi bon vous prévenir, attention ! il va vomir.
— Je possède de jolies entremetteuses qui font rire ma cervelle, me forçant à oublier qu’hier vous déteniez un dédain à me flanquer le moral par terre. Ce n’est pas comme cela que l’on arrange mes affaires !
— Mais…
— J’ai la honte au front quand vous dilapidez vos maux, devant les assemblées vénéneuses de vos soi-disant beaux quartiers, au fric fou et gaspillé avec indécence d’une manière très rupine ; j’exècre cette manière de vous et, de vous à moi, j’y appose mon holà ! Que l’on crève ou pas autour de vous, cela vous indiffère, vous mettez la morale par terre, la piétinez hardiment ; il faudrait que l’on vive timidement aux alentours de vos tanières, pour ne pas vous ombrager, oh pauvre dessin ! dans vos demeures, froides et orgueilleuses.
— Mais, pourquoi me dites-vous tout ça ?
Il tente une dérobade, en vain ; « c’est qui ce moulin à paroles ? »
— Oui, j’ai eu faim pour vous montrer que cela existe enfin, ici ou ailleurs ; voudriez-vous que ceci, on vous le cache ? « Oh cette horreur ! » Attendriez-vous que systématiquement, nul ne le dévoile dans vos journaux, aux news des télés ardentes de mille faits entre les publicités indécentes ; qui arbore un bonheur glacial et dédaigneux aux entournures, la réalité masquée des misères du monde, un balancier incliné vaniteusement tout à votre avantage ? Se pourrait-il qu’un jour tu changes de pose, toi le pingre emmitouflé dans tes matelas d’or ?
Il rattrape celui qui veut s’enfuir et continue son verbiage peut-être inapproprié, mais ce n’est pas suffisant pour qu’il se taise !
— Il n’est pas utile de me persuader que ces richesses fondent et déséquilibrent tout un pan de cette humanité trop nombreuse, aussitôt renié, comme de la vie, son grenier ; et nous laisser « croire » jusqu’au désir, à cette maladive contracture qui abomine les cerveaux ; c’est malin ! Qu’un seul horizon vaille le coup d’être tenté, « le vôtre » ; je ne vous envie pas !
— Arrêtez enfin ! Je ne suis pas celui que vous croyez ! vous n’obtiendrez rien de moi, assez !
L’homme importuné affirma un ton suffisamment percutant pour qu’İpanadrega se taise un instant ; juste quelques secondes d’un regard intensif de défiance, quand il reprend sa marche et essaye une escapade, İpanadrega le rejoint de nouveau et ajoute à son discours arrogant, d’autres mots très inspirés ; d’une voix encore plus vive, il exulte !
— Vous êtes « gaga ! » de vos richesses et cela se soigne, voici la solution : « une cure de pauvreté », celle de l’ascète, dans un ermitage approprié pour vous pousser à vomir tout ce qui fut dérobé. C’est cela mon remède, il apparaît illusoire pour vous certainement, mais il guérit mes pensées à tant de dédain et c’est ma réponse ; elle illumine votre front, une sueur me le fait remarquer ; et puis aussi, j’entends la miséreuse mélodie de votre cervicale enveloppe entêtée me dire avec cette voix qui lance un râle détestant : « cause toujours ! » Je connais bien cette ironie avec un sourire en coin ; mais qui de nous, deviendra le plus malin, quand arrivera le dernier jour, enfin !

Mais sur qui brailles-tu ? Vois, il s’enfuit, te croit fou et a peur pour sa vie ; laisse-le, allons ! N’ajoute pas à ton insolence, des gestes que tu pourrais regretter.

Autant cracher dans un désert,
sans lien ni présage,
il a une arrogance au front,
une marque au fer
indélébile rouge,
une flagornerie pas sage ;
la maigreur recherchée
et l’épitaphe orgueilleuse
qui sophistiquent ces mots,
compliquent les outrages
sur des choses pas si simples
et puent de la gueule.
Vaniteuse carrière, médite
la petite fredaine à
sa mémoire qui hésite.
Perds donc ce ton avec tes
idées gamines ; laisse alors
à la fin de la ligne, un point.

*

Il est des jours apaisés où il ne crache plus à la gueule des inconnus ces mots qu’il trouve si vertueux ; il s’essaye au discours, à partir des idéaux humanistes de sa maigre expérience, lue dans ces quelques livres au hasard des rencontres fortuites, ou alors chez les bouquinistes du pont aux arts de sa ville ; et puis, avouons-le pour lui, il n’en comprend pas toutes les saveurs de ces savoirs intenses, à ses yeux éblouis, lui qui n’a pas encore vécu l’idylle, la formidable aventure ultime, sa conquête d’une île.

Il réalisait bien, au fond de lui-même, que toutes ces belles paroles, ces grands principes, ces idéaux, il n’en pratiquait guère, et qu’il était perdu à tant les élaborer dans son quotidien ; mais à l’âge des jeunes années où l’expérience est à peine née, il doit bien commencer par mettre quelque chose à son début ; oui ! il a toujours la soif des apprentissages et voudrait bien plus encore… Cette pensée le taquine assidûment.

*

Je le vois bien, vous vous agacez, à l’entendre ainsi gémir, cela vous donne à comprendre que s’il en produit tant, de ces mots tapageurs, c’est pour vous montrer, comme un enfant, « qu’il sait dire ! » Puis, qu’il attende de vous comme une reconnaissance, c’est cela que vous pensez de lui n’est-ce pas ?

Mais voilà, l’illusion est permise, de reconnaissance, il en a déjà subi l’arrogance, des plus fortunés que lui ; en échange, il reçut des cailloux, de ces mots justement, si rocailleux, qui vous dérobèrent l’apparence d’un présage ou deux, des engueulades, des remontrances et puis aussi des rires que l’on décoche à propos de lui, sur un ton clair, une façon moqueuse de le dépeindre ; vous avez outrepassé sa foi, c’est pour cela qu’il méprise cette reconnaissance si facile ! Non, il n’est pas cet enfant rêveur désirant écrire un vaste roman qu’il ne saurait décrire, il voudrait dépasser tout cela, il demeure dans le fruit de ma voix, moi l’auteur de son dit intransigeant, je dois bien l’admettre, qu’il y règne avec un certain dépit, d’ailleurs j’évite de contrarier sa prose, même quand il médite et me cause.

*