(texte final - édition du 13 oct. 2017 à 23h49)

—> 1. « İl », prolegomena, dans les rêves : 15. [af L] malitia

La possibilité d’un rêve…
ajoute des railleries à son ordinaire,
plus que des messes basses.

Oh, il vous en donne du souci, vous, la justice de ses ennuis, sa conscience désapprouvée à la volupté trop éveillée ; elle ne lui apporte aucune envie et vos épanchements ne font rire que les souris. Vous dites,

— Trouvez un travail, occupez-vous à des tâches non aimées, c’est une corvée qui vous apparaîtrait salutaire.
Inévitablement, tout cela rime avec « ennuyez-vous ». Un gros doute s’installe, vous l’avez agacé ! Et voilà, de cette chose inéluctable, il n’en accepte pas la musique.
— On ne m’achète pas ! Et ne plaisante encore moins face à vos tralalas mondains qui en ont grugé plus d’un.

Quand voudrez-vous me mettre au rendez-vous des plus isolés, des plus opulents, ces fortunés dans leur niche,
celle susmentionnée aux terres encerclées de barricades ;
ont-ils peur des plus pouilleux d’entre nous,
pour y adjoindre autant de barrières à leur ivre héritage ?

Je ne connais pas une richesse gagnée
sans une filouterie, au passage.

Je ne connais pas un pouvoir gagné
sans une canaillerie, pas très sage.

Il sent la pauvreté qui vient lui ajouter toutes sortes de misères, et sait que vont arriver certains, pour lui conter un drôle d’air. Que disiez-vous déjà ?
— Mais que cet homme est seul !
— On ne le voit jamais avec quiconque.
— Il ne dénigre personne ?
— A-t-il aussi affirmé des choses aimables ?
— Ni messe basse, aucune hélas.
— Loin des filles !
— Loin des femmes ?
— Loin de nous.
— Loin de tout…
— Mais que nous cache-t-il, cet individu isolé, un mensonge, un de ces secrets inavoués, qu’une fatale presse aura vite fait d’étaler ?
Médisance !

« Je ne connais pas un combat sans adversité,
celle du plus riche, accablé à l’idée
qu’on lui chope d’un coup toute sa fortune ;
je ne connais pas ce combat sans désespoir,
celui du plus pauvre, découragé à survivre toujours
en grappillant ce qui reste ;
mais que lui a-t-on ajouté en tête ?
Il rêve également de ces richesses,
il veut aussi devenir cet homme enfriqué,
c’est à pleurer… »

Ajoutons cette formulation des choses courantes à la réalité banale de notre espèce animale, que nous résumerons ainsi :

« Selon l’anathème très béotien, qui trouve là un juste équilibre dans le partage équitable des biens emparés, ce concept révolutionnaire, épousé égoïstement par certains, masque aux autres, des accaparements incessants, et fonde une vertu sur ce partage “entre soit” de la rapine coutumière ; c’est ça le drame, dans ce commerce inavouable ; que peut-on prendre de plus à l’homme démuni de tout, son cœur, un rein, sa vie ? »

İpanadrega aurait pu se calmer… mais non, il ose concevoir, pour mettre au frontispice de ses idées, des allégories, des sentences, il se veut grand penseur et lance des aphorismes pour aiguiser son idéal, le poing presque tendu :

« Chaque lutte recherche sa parcelle de victoire,
chaque lutte préserve un territoire,
chaque lutte porte une conquête
pour un peu plus de liberté ; peu importe votre camp,
c’est toujours pareil, au-delà des ententes,
il reste ces affrontements, ces ruptures d’équilibre,
“the mechanism of life” soit dit en passant. »

— Ah non ! on ne comprend plus rien là, c’est quoi cet intellectualisme bidon qui crache sur nos richesses et notre savoir-vivre ? Cette poésie anarchiste qui veut le désordre. Faites venir « la garde répressive », qu’elle balaye tout et reclasse ce fauteur de trouble au fond du trou !

Ces sinistres propos, nous vous avions prévenus, prédisent l’idée encore vague d’une rumeur, l’émergence risquée et spontanée des vermines mal lavées, qui prolifèrent invariablement dans ces esprits vils, peu instruits « de la bonté possible du monde » ; il faut toujours qu’ils salissent pour s’approprier un bout de votre être, en tirer la substance de leur force qui ne cesse de naître.

Leur joie ? Ajoutez des peines à ceux qui ne vivent pas comme eux, et de la sorte ils y voient des lépreux, là, ici, partout, pour vous donner l’envie de fuir…
— Mais que cet homme soit seul, cela n’est pas normal !
— On ne le trouve jamais avec quiconque, c’est trouble.
— Qu’il dise du mal de quelqu’un, alors ce sera louche !
— Oh ! qu’il en parle en bien, ce ne serait guère mieux ?
— Ni messe basse, aucune ? Vraiment ?
— Loin des filles, ce doit être un pédé… oui, oui !
— Loin des femmes, c’est un pervers ! j’en suis sûr !
— Ooh !
— Loin de nous, il complote.
— Loin de tous, a-t-il été des nôtres ?

Écoutez cette phrase charmante, « ces étranges étrangers animent notre peur au-dessus de tout ! » Fatale amie qui rôde avec l’inconnue, n’y trouve aucune chose reconnaissable, ou si peu, la comparaison devient impensable ; imaginez-vous flirter avec des gens à l’allure curieuse, aux mœurs ignorées, celles des autres mondes, aux mangeailles incongrues ici, où l’admirable se confond avec la rapacité des désordres humains, cette litanie « sale » qui pousse certains vers des idées ordurières qu’on appelle bêtement « le racisme » ?

Et pourtant, et pourtant, au départ, nos lointains ancêtres d’où venaient-ils ; dans de grandes et multiples migrations, ils peuplèrent toutes les terres habitables un peu partout, au fil des ans, au fil des siècles, au fil des milliers d’années, depuis des temps immémoriaux, et puis la souvenance du passé, de l’endroit d’où ces ancêtres très anciens naquirent, s’est évanouie, comme pour ensevelir ces transportements devenus aujourd’hui « honteux » 7.

N’irritons pas trop vite les esprits qui pourraient s’énerver de cela. Sachez toutefois que c’est avec une joie indescriptible qu’il reviendra vers ces idées vénéneuses, aux dires de certains… İpanadrega n’aura de cesse de tourner autour de cela comme un rapace avec sa proie… d’ailleurs il me demande de rajouter :
— Alors, si cela t’ennuie, lecteur, laisse donc ce livre, il pourrait t’apporter des embarras, et t’excéder très certainement ; on m’a parlé du pourrissement des âmes closes par la doctrine abusive et l’oubli… ah ! ah ! ah !

*

Pourtant, l’oubli, le pardon, la bonté, la compassion, c’est comme la beauté d’un geste simple, une pomme tendue dans un papier essuie-tout humecté d’eau où elle fut décrassée puis nettoyée ; fruit des discordes ou fruit donné par abnégation, pour un moment de réconfort, « un croquez-moi donc » bien détendu, une miséricorde attendue, un abandon des désordres malvenus. De toute façon, quoi qu’on accomplisse, quoi qu’on dise, au bout du compte, aura toujours raison de nous cette chose écoulante que l’on nomme « le temps » ; l’affirmer devient banal.

*