(texte final – édition du 13 oct. 2017 à 23h49)

—> 1. « İl », prolegomena, dans les rêves : 16. [o af] où il a ce don extrème de la tragédie

La possibilité d’un rêve…
plus chaotique que d’habitude,
un qui lui serve de leçon.

À l’adolescence, encore pubère, à la peau claire et douce de l’enfance finissante…

(Effectivement, ce détail attachant : sa peau a perdu la couleur noire de ses origines ; plus précisément, nous dirions plutôt « ses lointains ancêtres » des pays très chauds, ayant immigré dans les régions du nord où le soleil brille moins, à la rencontre de leurs cousins néanderthaliens avec qui ils établirent des liens et aussi parce qu’il était primordial de se couvrir les jours de grands frimas, à force, eh bien oui, « la peau a déteint », et comme la nature nous colore selon qu’il fait beau ou froid, à la mesure de la nécessaire brutalité d’une lumière lorsqu’elle croît ; que l’on peste en ignorant cela, ridiculise ces frileux…)

Bref, il a pratiqué la lourde expérience des attouchements sensibles sur les corps, sans timidité, et il eut une envie irrésistible de sentir comme une sueur après des jeux qu’il croyait interdits. Ce fut après cela qu’il s’imagina pouvoir dénicher avec un intense émoi, des sentiments et de l’amour vers son prochain. Mais, idéalisant trop son rêve fou, il y mit tellement de principes et des alinéas à n’en plus finir, qu’à force, une fois alors, pris jusqu’aux tripes, gueulant sa rupture à propos d’une idylle trop pudique, il pleura ; s’illusionnait-il d’une nouvelle manière de chérir ? C’est là qu’il fut désolé, l’adorée demeurait un être frelaté, irrésolument ; il ne le comprit qu’après les éloignements de la désunion…

Pour s’épancher, de cela il savait comment faire maintenant et navrait d’ennui femmes, amis, voisins, ennemis. Il en rajoutait toujours trop, le sentiment exacerbé jusqu’à l’outrance.

Alors, sa jeunesse, il la raconte pour dégoûter, car il se persuadait qu’elle fut tout le temps ratée, et il n’en dit que ce qui l’accable et abandonne les meilleurs moments aux oubliettes de sa pauvre cervelle ; ou du moins, c’est ce qu’il en laisse comprendre, ce grand amoureux du drame perpétuel.
Comme il adorait se perdre dans les marigots immondes, il a tout essayé, jusqu’à mourir d’avance, avant l’heure ultime et ce fut encore manqué. Probablement, qu’il n’y croyait pas, expérimentant la chose, comme une répétition de théâtre et se voyait déjà en « grand comédien », vous exprimant avec joie certaines mises en garde, cela peut faire sourire.

Actes éthyliques,
ou dipsomanie
pathétique aussi

Ce qui suit fut rapporté par des alcooliques en état d’ébriété, si habitués aux usages éthyliques, ils possédaient malgré tout ce parler exact et juste, une lucidité rare des hommes de peine et saouls, ceux-là que la vraie vie a endurcis, dans des labeurs sans soif (ne riez pas) et la cravache du salaire piètrement gagné. Ils nettoient vos bouses, sans joies ; étonnez-vous qu’après, à la pause, ils s’abreuvent pour éponger un vide plein de fatigue et qui menace ; dans la cité, ils sont vos racleurs d’ordures ; cette peine ajoute de la peur aux murs, et derrière il y a des gens huppés qui frissonnent, craintifs et protégés, « ils attendent que tu termines ta très sale corvée, exécutée pour presque rien en somme. »

Mais nous parlerons plutôt de son ivresse, la sienne, celle où il dépeignait comme à son habitude, sa vie, qu’il trouvait si merdique, la noircissant suffisamment pour la fondre avec la couleur de la nuit, et d’un soir, trinquant jusqu’à la fermeture du bistrot, avec les ouvriers à la dure besogne, il s’est oublié dans l’expérimentation de ses premières soûleries…

C’est dans ces méandres de la rue, alors qu’il suivait en chancelant ses compagnons de beuverie, sur la route du retour, que s’introduisirent des malfaisants ; émus par l’aubaine, n’y croyant au début guère, leurs calculs les firent jouir d’aise, ils l’avaient entendu précédemment, déblatérer sa sombre vision du monde et vanter sa déplorable existence, ils voulaient le punir de l’ennuyante cérémonie qui les assomma tant ; ainsi dans un passage, ils lui dérobèrent tout un pan de ses convictions.
– Dans la vie, on prend parfois des coups et tu dois admettre que tu le méritais bien.
– Que cela te serve de leçon !
– Cela va t’endurcir, pauvre idiot !
Puis, non satisfaits de l’avoir tant sali, non satisfaits de ne lui avoir enlevé qu’une partie de lui, celle que l’on dit des plus intimes, ils le dépouillèrent finalement de tout, pour qu’il demeure enfin nu, debout, en cette rue, et le laissèrent là, abandonné, vide et désolé…
Croyez-vous qu’il entende cette raison ? Aucune note de cette musique n’entre en lui, la prière reste métaphysique et la mélodie ne joue pas, elle musarde, il la fredonne vaguement, mais on ne la perçoit pas vraiment ; son corps devenu absent, la chose charnelle du devoir et des sens a oublié toute présence, il en a perdu jusqu’à son essence ; le monde lui reproche sa parure, son approche et des dédales de verbes sans attrait ni opulence. Alors frénétiquement, debout, sans honte bue, il rugit de vilains mots très méchants, c’est de là que datent ses premières misanthropies.

*

{Vous pourriez le constater à cet endroit, ici, par là, une fêlure s’est installée, l’avez-vous remarqué ? À peine visible, elle laisse une trace indéfinissable, un léger repère dans les mémoires, cet éveil égratigne si peu les consciences, une empreinte vaguement dévoilée, c’est tout… si elle persiste, nous vous avertirons de nouveau par pur souci littéraire, soyez rassurés ; que l’ouvrage n’en soit pas plus amplement fissuré…}

*

Parce que, cette autre nuit, il s’ennuyait fort et par dédain de lui, par art de faire du bruit, dans un canot pas à l’eau, cherchant au fond d’une boîte sans couvercle de quoi finir son ivresse, il trouva là, oh ! là, la petite bouteille du rhum de survie laissée à cet endroit à cause de son importante nécessité ; alors lui qui fuyait son « emmerdante solitude » dans sa dérive, profita encore d’une griserie de renégat.

Puisqu’au matin clair il s’éveillait, la bâche autour du cou, celle qui recouvrait l’embarcation, et qu’il s’emmêla d’explications à propos de « ce qu’il foutait là » devant une gent policière et portuaire circonspecte ; dans un cauchemar pathétique, il reniflait à nouveau une dose de vie à l’abandon, qu’on vient de mettre dans un fourgon pour l’emmener paître hors de la ville, sur un terrain vague et vague à l’âme… Le destin en bandoulière avec un air très ridicule, il pisse au bord de la ravine ses dernières eaux, du soir de sa mauvaise mine, essayant de se vider de son ivresse et rester vivant ; une besogne tapageuse l’a assommé, lui ajoute ce mal au front, comme une merdique vitrine à ses ennuis. Drôle d’expérience, songea-t-il, à l’heure de son existence où, tout en bougonnant, il lui semble redevenir lucide…

*

Vague à l’âme,
je bois un peu d’eau
et je reprends ma route 8

*

Déjà, que la croyance, nous a enlevé
un petit bout de notre désir de soi ;
déjà, que la croyance nous empêchait
 de penser par-devers soi ;
déjà, que la croyance nous interdisait
de nous poser des questions ;
ces questions sur l’autour de soi,
du moi, moi et puis tout
ce qu’on instrumente à l’insu de toi ;

ajoute des substances extérieures à tes envies,
où l’on te dit « avec ces drogues, tu t’évades » ;
pour qu’enfin le corps, l’âme, sorte de soi ;
ne posséder plus aucun contrôle
puis laisser divaguer ;
voilà !

Pris par des sortes d’esprits plus forts que soi,
par-devers soi ;
absorbé de ces remèdes qui te brûlent la gueule
et puis qui restent, quel qu’il soit,
pour oublier ce que l’on est,
et qui t’emprisonnent malgré tout ;

dans mon crâne, y’a des écueils,
qui croisent sous l’apparence d’un fou,
cette recette, où tu peux y lire
de médiocres idées ;
malgré le refus de ce qui nous advienne
et ces liqueurs qui s’accrochent au foie,
par-devers soi ;

ajoute des propos auxquels on ne tient plus,
laissant divaguer le corps à ses plus bas instincts,
ils te disent de ne plus rester à soi ;
cette nouvelle annonce
une petite mort qui devient,
ce moche abandon de soi,
crache à la gueule de toute maîtrise,
en fait, ce que l’on méprise,
cet oubli de soi.

*

Quelques fois dans les fulgurances d’amours incertains se noie l’esprit des plus malins, croyant tout connaître, et puis ont blessé de pauvres êtres passant là par mégarde auprès de ces coquins ; ces dédaigneux, faisant exprès de médire, ils leur ont volé tout un bout de leur existence.

Les hommes sont ainsi bâtis, de ces tourments de haine, avec des attachements sans destins ; méfiez-vous, leur sort nous en a caché plus d’un, des manigances du genre pas bien fin.

Ne jugez pas, votre âme n’écoute ni conscience ni pardon. C’est vous, c’est moi, c’est tous ; la vie nous pousse et laisse à notre cœur, un battement, et de nos corps, y ajoute son bâillement ; « j’y trouve ici, la cause de son ennui. Je suis témoin, j’y ai vu sa pressante envie de nous enfouir, dans ces dédales du temps où le remonté ne se peut pas ». Il suffit d’un moment, comme ce coup de vent qui balaye devant la porte, les détritus, les mouvances passées, pour en finir avec les élans de nos mémoires.

De notre sort, qui s’en inquiète, sinon ce qui nous a mis en tête l’idée du changement et que la mort soit un épuisement, et la vie, un recommencement. Qui vous parle d’éternité, qui empêche d’advenir de nous comme à une ordure, de se pourrir en terre, ou de se noyer en mer ?

Le destin fidèle à lui-même, sans rengaine, comme la joie reste toujours sereine, comme le rire, un éclat, comme tout ce que vous voyez est !

Vous pourriez dire, « Je sais ce temps, son ventre m’a changé et j’ai cru l’atteindre mille fois sans pouvoir l’attraper. »

Imaginez la raison de cette thèse-là, qui voudrait nous faire « croire » en cela « si différent de l’animal ? »

Isolés ? Qui a dit qu’une barrière difficilement franchissable gênerait tout dialogue entre toutes vies, que des mondes nous sont masqués, certainement ? Et cette Nature, qui ne cesse de nous montrer, pour que l’on apprenne, de nous et du reste ; suis-je cet aveuglé-là, peut-être bien, à tenter malgré tout d’observer ce qu’on ne peut voir, lève les voiles, et deviens cette vie qui cherche à se comprendre ? Dans les nuées, une infime particule explore d’interminables lambeaux pour y trouver une vérité ou la réalité, l’une se fige et l’autre n’est jamais tout à fait perçue.

*